N.-L. Perret: L'Institut suisse de Rome

Cover
Titel
L'Institut suisse de Rome. Entre culture, politique et diplomatie


Autor(en)
Perret, Noëlle-Laetitia
Reihe
Politique et échanges culturels
Erschienen
Neuchâtel 2014: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
489 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Nicolas Gex, Université de Lausanne

Officiellement inauguré le 19 avril 1949, l’Institut suisse de Rome prend place parmi les académies et instituts étrangers installés sous le soleil romain, de longue date pour certains (l’Académie de France à Rome date de 1666). Comme l’a relevé Noëlle-Laetitia Perret, l’auteur de ce remarquable ouvrage, ces célébrations d’ouverture, fruit de longs et coûteux efforts de nombreuses personnalités helvétiques, « se déroulent dans un contexte politique et culturel en pleine évolution. Les années d’après-guerre sont en effet marquées par un développement sans précédent des relations multilatérales au sein desquelles la Suisse tente de s’impliquer. La politique culturelle suisse s’apprête à entrer dans une nouvelle phase de son histoire caractérisée par une certaine ouverture sur le monde » (p. 212). Cet événement s’insère en effet entre l’entrée de la Suisse au sein de l’UNESCO et la transformation de Pro Helvetia (fondée en 1938) en une fondation de droit public. Cette proximité est à relever, car la Suisse se trouve alors dans une timide phase d’ouverture au monde et opère un retour prudent sur la scène multilatérale, tout en cherchant à préserver au mieux sa neutralité. La création de l’Institut suisse de Rome intervient à un moment où les autorités helvétiques saisissent l’importance de développer une action réfléchie dans le domaine des relations scientifiques et culturelles avec l’étranger, l’Italie dans le cas particulier (p. 20-21). L’impulsion décisive qui a permis la naissance de cette institution tient en une initiative privée : en 1945 Carolina Maraini-Sommaruga, veuve d’un industriel tessinois installé de longue date en Italie, lègue à la Confédération sa vaste résidence au cœur de Rome, à charge pour elle d’y installer une « Academia svizzera in Roma », qui prendra la forme d’un centre de perfectionnement scientifique et artistique pour jeunes Suisses en Italie (p. 161).

Au fil de cette excellente étude, Noëlle-Laetitia Perret entraîne le lecteur dans les méandres de la politique culturelle internationale de la Suisse, à travers l’exemple concret de l’Institut suisse de Rome. Sa maîtrise du sujet, basée sur un considérable travail de dépouillement de sources officielles et privées en Suisse et à l’étranger, se double d’une démarche très stimulante ; l’ouvrage est construit sur un dialogue éclairant entre l’évolution propre de l’Institut suisse de Rome et le développement de la politique culturelle helvétique dans le contexte national et international. Cette perspective lui permet d’éviter les écueils d’une approche trop monographique, centrée sur la seule évolution de l’institution. Cet aspect constitue tout de même la trame de cette étude qui présente un tableau objectif et clair du fonctionnement de cette institution à travers les ans, sans tomber dans l’anecdotique. L’ouvrage est organisé en douze chapitres, agencés de manière chronologique, hormis les deux derniers. Ceux-ci constituent une intéressante étude sociologique des membres de l’Institut suisse de Rome, dont le but est de cerner au mieux leur profil, au moment de leur séjour romain et dans la suite de leur carrière (p. 401-415). L’ouvrage se termine sur de précieuses annexes (listes des présidents du Conseil de fondation, des directeurs, des responsables scientifiques et artistiques, des administrateurs, des bibliothécaires et des membres de 1947 à 2014). Seul regret, un index des noms propres aurait rendu cette somme d’un usage plus aisé.

La place manque pour revenir sur les nombreux aspects mis en lumière par Noëlle-Laetitia Perret ; nous n’en relèverons que quelques-uns. Le premier tiers de l’ouvrage est consacré à la « préhistoire » de l’Institut suisse de Rome et à une vue des débuts de la politique culturelle suisse à l’étranger, ainsi que sur l’expérience décisive acquise par les diplomates helvétiques durant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’ils étaient chargés de la protection des biens de nombreux Etats alliés. Avant la donation de Carolina Maraini-Sommaruga, plusieurs projets visant à doter la Suisse d’une académie à Rome ont vu le jour. Fortement soutenues par les deux ministres successifs de Suisse à Rome (Georges Wagnière de 1918 à 1936 et Paul Ruegger de 1936 à 1942), ces initiatives se sont toutes heurtées au refus de la Confédération. Des raisons financières leur ont été opposées pour l’essentiel, elles ont aussi dû faire face à la méfiance de la Commission fédérale des Beaux-Arts, qui estimait que les artistes ne se montraient que peu favorables à la possibilité d’ouvrir une académie à Rome. Derrière ce scepticisme se lit une politique culturelle conservatrice tournée vers les valeurs traditionnelles, en phase avec le climat contemporain (p. 67).

Au début de la guerre, la Suisse reçoit la mission de protéger les intérêts de 43 puissances alliées en Italie, dont les académies et instituts romains. Le diplomate tessinois Carlo Sommaruga, neveu de Carolina Maraini-Sommaruga, à la tête de la Division des intérêts étrangers de la Légation suisse dès 1943, joue un rôle important dans cette délicate tâche. L’expérience acquise durant le conflit aura, comme l’a souligné Noëlle-Laetitia Perret, une importance dans la prise de conscience des autorités helvétiques de la nécessité d’être représentées par une institution culturelle à Rome, relayée par les diplomates en poste à Rome, ainsi que dans la décision de Carolina Maraini-Sommaruga (p. 156).

Dans la suite de l’ouvrage, l’auteur analyse en détail le développement des activités de l’Institut suisse de Rome et de la politique fédérale en matière de culture. L’auteur, sans tomber dans l’anecdotique, revient sur les nombreuses frictions nées de compétences mal définies entre le directeur de l’institution (dix-sept titulaires aux profils très variés se sont succédé à ce poste entre 1948 et 2014), le Conseil de fondation, divers organes de la Confédération et Pro Helvetia. La signature d’un contrat de prestations en 2004 avec la Confédération et Pro Helvetia a renforcé les moyens financiers de l’Institut suisse de Rome, clarifié son rôle dans la promotion de l’art et la recherche helvétiques et affermi sa position de plateforme d’échanges culturels entre la Suisse et l’Italie (p. 384). Le double profil hérité de la volonté de la donatrice a nécessité une recherche constante d’équilibre entre la création artistique et la recherche scientifique. Il a été (et est toujours) source d’interrogations, discussions, voire tensions depuis les débuts de l’institution. La Suisse, comme l’a souligné l’auteur, est un des rares pays à avoir confié à une seule et même institution des tâches que d’autres ont préféré répartir sur plusieurs structures. Cette double identité est une force de l’Institut suisse de Rome, même si elle n’a pas été aisée à gérer. Au final, « la volonté d’accroître les échanges culturels avec l’Italie et les institutions étrangères de Rome a cependant toujours primé sur les difficultés rencontrées » (p. 420-421).

En conclusion, Noëlle-Laetitia Perret relève les effets des réorganisations des années 2000 sur l’Institut suisse de Rome : « Il a gagné en visibilité et a affermi sa présence sur la scène suisse, italienne et internationale. Il se présente désormais, explicitement, comme un laboratoire ouvert sur le monde extérieur, comme un terrain d’exploration où se défrichent de nouveaux horizons » (p. 421). C’est au final ce long processus dont Noëlle-Laetitia Perret a offert une mise en perspective détaillée et passionnante dans cet ouvrage.

Redaktion
Veröffentlicht am
29.09.2014
Autor(en)
Beiträger
Redaktionell betreut durch
Kooperation
Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
Weitere Informationen