D. Queloz: De la manoeuvre napoléonienne à l’offensive à outrance

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Titel
De la manoeuvre napoléonienne à l’offensive à outrance. La tactique générale de l’armée française 1871–1914


Autor(en)
Queloz, Dimitry
Erschienen
Paris 2009: Éditions Economica
Anzahl Seiten
564 pp.
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Hervé de Weck

La thèse de Dimitry Queloz, soutenue en 2006 à l’Université de Neuchâtel, éclaire une grande question: comment l’armée française en est-elle arrivée en 1914 à entrer en guerre avec une tactique générale des grandes unités outrancièrement offensive et manoeuvrière, qui provoque de lourdes pertes au début du conflit, elle qui, à la fin du Second Empire, célébrait le culte des «bonnes positions», qui pratiquait la défensive et se montrait respectueuse du feu au début de la IIIe République?

Une des causes de la défaite en 1870, c’était une aversion de la majorité des cadres de l’armée envers toute forme de littérature et d’activité intellectuelle! Renouveau après la défaite… L’Ecole supérieure de guerre, créée en 1876, doit corriger cette grave lacune et combler le retard par rapport à l’armée allemande. Elle développe la doctrine de la manoeuvre napoléonienne qui reste en vigueur jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, même si elle est mal comprise et fortement critiquée depuis le début du XXe siècle. Quelques mois avant le début des hostilités, cette doctrine est remplacée par une nouvelle que l’histoire retiendra sous le nom d’offensive à outrance.

Sous l’impulsion d’officiers-penseurs-enseignants, comme Jules Louis Lewal, L. Maillard, Henri Bonnal, Maxime Cherfils, Hippolyte Langlois et Ferdinand Foch, se développent une méthode historique fondée sur une analyse biaisée des campagnes napoléoniennes et de la guerre de 1870, ainsi qu’une méthode positive débouchant sur la théorie de la manoeuvre napoléonienne qui prône l’offensive, la bataille en tant que lutte entre deux volontés opposées, l’attaque décisive, la prépondérance du chef et du moral. Cherfils défend la suprématie du choc sur le feu; Langlois, qui développe pourtant la doctrine d’emploi du fameux canon de 75, accorde la prépondérance aux facteurs moraux, reléguant le feu au second plan; Foch manifeste une tendance à l’offensive à outrance, allant jusqu’à soutenir que, «plus on est faible, plus on attaque». On privilégie la mission, qu’il faut remplir coûte que coûte, au détriment de l’appréciation de la situation, la Beurteilung der Lage de la Kriegsakademie de Berlin.

Ardant du Picq, dont les oeuvres sont publiées dès 1875, a une forte influence sur l’Ecole de la manoeuvre napoléonienne et atteint le sommet de sa notoriété vers 1900. Sa pensée s’articule autour de l’importance des forces morales, de la puissance de feu, de la manoeuvre conséquence de la puissance de feu. «L’homme ne va pas au combat pour la lutte, mais pour la victoire. Il fait tout ce qui dépend de lui pour supprimer la première et assurer la seconde.» Ardant du Picq définit une tactique qui accorde une importance prépondérante au feu et rejette le choc des masses.

En 1895, la théorie de la manoeuvre napoléonienne devient la doctrine officielle de l’armée française, mais il existe d’importantes divergences entre les penseurs de l’Ecole de guerre, dont les conceptions évoluent et dont les disciples ne se montrent pas forcément orthodoxes. Avec la révolution dans l’artillerie et l’apparition de la poudre sans fumée, certains contestent la théorie développée à l’Ecole de guerre. Un Lucien Cardot mise tout sur les facteurs moraux, donc la vitesse et le choc: «Vaincre c’est avancer! Avancer c’est vaincre!». La justesse des thèses peu connues d’un Philippe Pétain sera confirmée au moment de leur application au cours de la Première Guerre mondiale. Vers 1900, il apparaît que les bases historiques, sur lesquelles s’appuie l’Ecole napoléonienne, sont sans valeur réelle… Il y a un véritable bouillonnement dans la pensée militaire française entre 1900 et 1914, mais également un éclatement. Ses ténors prennent en compte les progrès techniques, ils manifestent une attitude réaliste face à la mitrailleuse ou à la nouvelle arme, l’aviation, mais il n’en va pas de même dans les forces armées.

Le commandement ne tire pas toutes les leçons des conflits récents, en dépit d’études poussées, en raison de querelles de chapelles et du manque de centralisation du pouvoir. La Première Guerre mondiale montre à quel point – au début du moins – la fortification de campagne est peu populaire et mal maîtrisée dans l’armée française. La doctrine offensive joue un rôle important dans le retard pris dans l’artillerie lourde, qui remonte également à la très grande qualité du matériel léger, notamment la fameuse pièce de 75, et de sa doctrine d’engagement. Des problèmes budgétaires, la mauvaise organisation des services, les trop rares appels à l’industrie privée empêchent une production suffisante et la mise au point d’une doctrine d’emploi claire des nouveaux matériels. Quelle est, en général, l’attitude des militaires français face aux armes et aux matériels nouveaux? L’historiographie a mis en évidence leur rejet du modernisme, une affirmation qu’il faut très sérieusement nuancer. Ce sont surtout des facteurs structurels, économiques, démographiques qui freinent des innovations pourtant acceptées avec enthousiasme par la plupart des penseurs. En revanche, c’est à la troupe qu’on se montre le plus rétrograde.

Les structures multicéphales du haut commandement voulues par le pouvoir politique, l’absence d’un véritable centre doctrinal après 1900 empêchent le choix d’une doctrine unique et claire. L’Ecole supérieure de guerre ne se trouve en confrontation constructive, ni avec un ministère de la Guerre dont les têtes ne font que passer, ni avec un Etat-major général, très cloisonné par Arme et par Service. L’Ecole a d’autant plus d’impact qu’elle forme chaque année des dizaines de stagiaires. Toutefois, après le départ de la première génération d’enseignants, elle perd de son aura au début du XXe siècle, et la manoeuvre napoléonienne est critiquée. Ses enseignants sont libres de penser et de parler, dans la mesure où ils ne contestent pas le régime politique ou la hiérarchie militaire; il y a donc différentes chapelles dans l’Ecole de la manoeuvre napoléonienne. Et d’autres courants apparaissent à partir de 1900. Le trio Pétain, Debeney, Maud’huy montre les divergences qui existent entre les cours de l’Ecole supérieure de guerre et la doctrine contenue dans les nombreux règlements qui manquent souvent de cohérence. Ils sont d’ailleurs appliqués de manières très différentes selon les Grandes Unités et les corps de troupe, puisque les commandants des corps d’armée et les colonels jouissent dans ce domaine d’une grande indépendance. Il ne suffit donc pas d’analyser les règlements pour déterminer la manière dont l’armée combat réellement!

Depuis la défaite de 1870, l’armée française manifeste un esprit offensif, et l’attrait pour les forces morales date de cette époque. Les penseurs de l’Ecole napoléonienne, entre autres un Foch, transmettent à la génération du colonel de Grandmaison la croyance en la primauté de ces forces, de l’exécution sur la conception, de la mission sur le facteur «Ennemi», de la volonté sur l’intelligence. Grandmaison développe ses thèses sur l’offensive à outrance dans ses célèbres conférences de 1911, traitant de la tactique des grandes unités et non de celle des corps de troupe. Ses idées passent dans la doctrine officielle à la veille des hostilités avec la Conduite des grandes unités du 28 octobre 1913, le Service des armées en campagne du 2 décembre 1913 et le Règlement d’infanterie du 20 avril 1914. Vu leurs dates de parution, les nouveaux règlements ne peuvent pas être appliqués dans les troupes en août 1914! Il faut donc rechercher les causes des hécatombes de l’automne 1914 dans l’application de la théorie de la manoeuvre napoléonienne au cours de la décennie qui a précédé le début du conflit! Les problèmes rencontrés par l’armée française en 1914 tiennent donc moins à ses armements, à la doctrine de l’offensive à outrance, d’ailleurs souvent mal définie par les historiens, qu’à des interprétations contestables de la manoeuvre napoléonienne par les troupes, à une mauvaise instruction, à un corps d’officiers dont la valeur laisse à désirer.

Dimitry Queloz a dépouillé des sources foisonnantes, entre autres les cours de l’Ecole supérieure de guerre et les revues militaires, et il met en lumière le rôle complexe et parfois contradictoire des penseurs militaires, du haut commandement et des organes qui rédigent les règlements, l’autonomie, voire l’indiscipline intellectuelle des commandants à certains niveaux. Peut-être fallait-il un étranger, au-dessus de la mêlée, pour dominer un tel sujet. Est-ce pour cela que les éditions Economica ont publié cette thèse?

Citation:
Hervé de Weck: compte rendu de: Dimitry Queloz: De la manoeuvre napoléonienne à l’offensive à outrance. La tactique générale de l’armée française 1871–1914. Paris, Economica, 2009. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 60 Nr. 3, 2010, p. 389-392.

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Veröffentlicht am
20.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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