S. Huguenin u.a. (Hrsg.): Lectures du Journal helvétique 1732-1782

Titel
Lectures du Journal helvétique 1732-1782. Actes du colloque de Neuchâtel 6-8 mars 2014


Herausgeber
Huguenin, Séverine; Léchot, Timothée
Erschienen
Genève 2016: Editions Slatkine
Anzahl Seiten
413 S.
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von
Philippe Henry

On connaît l’importance, pour la vie culturelle de la Suisse romande du XVIIIe siècle, de la publication à Neuchâtel, de 1732 à 1782, du Mercure suisse (1732), qui, en 1738, se subdivisera en deux publications parallèles, le Journal helvétique et le Mercure suisse (ce dernier baptisé Nouvelliste suisse dès 1748). Il deviendra ensuite l’unique Nouveau journal helvétique (1769 – Journal de Neuchâtel de 1781 à 1782), qui disparaît en 1782 et sera brièvement prolongé en Nouveau Journal de littérature et de politique en 1784, mais pour quelques mois seulement. On voit donc que l’appellation ordinaire de « Journal helvétique » ou de « Mercure suisse » est simplificatrice, en raison de la longé vité et des multiples changements de titre de la publication. Cette gazette mensuelle (bimensuelle en 1784) est portée par les initiatives et les efforts de quelques-uns les principaux noms des Lumières neuchâteloises : Louis Bourguet, Jean-Elie Bertrand et Henri-David Chaillet, qui s’inspirent des modèles français (le Mercure de France) et anglais (le Spectator, lui-même inspirateur du Spectateur français).

L’ensemble de cette publication cinquantenaire d’information culturelle, surtout scientifique, littéraire et politique, correspond à plus de 150 volumes, près de 600 numéros mensuels et plus de 85’000 pages. Il n’occupe pas moins de six mètres linéaires de rayonnage.

Or, en dépit de l’importance de cette matière – ou peut-être en raison de son ampleur –, rares sont les historiens qui, tout en étant parfaitement conscients du rôle et du rayonnement du journal, ont eu le courage de s’y plonger... Ceux qui s’y sont intéressés, à la suite de Gonzague de Reynold surtout, y ont vu plus une expression de l’helvétisme séculaire qu’un lieu de rencontre entre savants et gens de lettres, à une échelle largement internationale, ce qui pourtant caractérise au moins ses premières années. Le Journal helvétique fut effectivement la gazette la plus active de Suisse et pratiquement la seule connue à l’étranger. La qualité de ses articles est ependant inégale, en fonction notamment de la personnalité de ses correspondants et contributeurs occasionnels, parmi lesquels on trouve de grands noms, suisses ou étrangers (dans le désordre : Voltaire, Rousseau, Diderot, Formey, Bonnet, Haller, les Bernouilli, Vattel, Ostervald, etc., etc.), mais aussi d’obscurs inconnus ou anonymes pas toujours très doués (poésies, historiettes...), néanmoins publiés en raison d’une politique éditoriale fluctuante, parfois laxiste par souci de remplissage. Cette possible médiocrité, sur laquelle on a souvent mis l’accent, a suscité un certain dédain chez les historiens romands de la littérature, attitude comparable à celles de plusieurs écrivains contemporains, dont la plus influente est sans doute celle de Rousseau. Les relations entre la presse périodique et les tenants des Lumières ont souvent été problématiques, on le sait. Le jugement sévère et fameux de Rousseau sur le « fumier du Mercure de Neuchâtel » rejoint le mépris à l’emporte-pièce de Diderot (les gazettes sont « la pâture des ignorants, le fléau et le dégoût de ceux qui travaillent ») ou de Voltaire pour les gazettes littéraires françaises (le journal est l’« excrément de la littérature »). Tout un « passif historiographique » (Claire Jaquier) grevait donc l’image du Journal.

Depuis peu, grâce à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, les bienfaits de la numérisation ont eu le grand mérite de rendre très commodément accessible l’intégralité du contenu du journal1, offrant prise à une reconsidération systématique du sujet. Il s’agit là d’un superbe exemple, s’il en fallait encore, de l’utilité de la numérisation pour les historiens, qui en l’occurrence donne tout son sens aux solides recherches de précurseurs comme Jean-Daniel Candaux et Michel Schlup. Et c’est dans ce contexte que se place le colloque international organisé en 2014 à Neuchâtel, Lectures du Journal helvétique, sous l’impulsion de Claire Jaquier (Neuchâtel), Béla Kapossy et Miriam Nicoli (Lausanne), mais conçu et organisé par deux jeunes historiens neuchâtelois, Séverine Huguenin et Timothée Léchot, auxquels il faut rendre hommage et qui en publient ici les actes. Mentionnons encore, pour souligner la vigueur de l’étude du XVIIIe siècle culturel, en particulier à la Faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel, le lien qui rattache ce projet à une recherche valdo-neuchâteloise financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique sur « Le Journal helvétique ( 1732-1784) : un espace de médiation culturelle », dirigée par Cl. Jaquier et B. Kapossy. 2

Ce remarquable travail rassemble les seize communications du colloque, présentées par un lumineux avant-propos de Claire Jaquier (lequel aurait aussi pu servir de conclusion et auquel on ne saurait mieux faire que de renvoyer pour avoir une très nette idée du sujet, de son intérêt et des premières leçons du colloque). Suit une excellente introduction des éditeurs, retraçant l’histoire mouvementée du journal. In fine, comme il se doit, une bibliographie fouillée et un bien utile index onomastique. Pour la première fois, le journal est globalement étudié de manière aussi large et fouillée, placé dans son environnement, analysé dans ses pratiques éditoriales, sa diffusion et son influence, les modalités de sa réception. Pour autant, le sujet n’est pas épuisé et on pourrait évidemment concevoir d’autres approches. Le colloque n’avait du reste pas d’autre prétention que de proposer, dans une volonté d’« interdisciplinarité » (dont cependant, avouons-le, nous ne comprenons pas très bien la substance, ce qui n’est du reste pas important), des lectures parmi d’autres, et non une lecture qui s’imposât.

La richesse de ces études rend évidemment impossible ici un résumé même succinct de leurs ambitions et de leurs résultats, que nous ne pouvons que survoler. eprenant succinctement les conclusions des intervenants, Claire Jaquier commence par caractériser très synthétiquement les « fonctions » principales de cette publication : fonction « d’attraction » (de collaborateurs de renom ainsi que de lecteurs), fonction « expérimentale » (choix de sujets nouveaux provoquant parfois le débat), fonction « d’information et de diffusion scientifique » (médecine, mathématiques, physique, météorologie etc.), fonction « de forum » (en toutes matières : ouverture au débat, « culture du débat »).

Les seize contributions ou chapitres qui suivent sont solidement structurés en quatre thématiques, qui ne recoupent pas les quatre points qui précèdent. Il s’agit d’abord (« Les périodiques et leurs publics ») de replacer le Journal dans le cadre des activités éditoriales périodiques de son siècle et des nouvelles pratiques de la lecture qui le caractérisent, dans le décor neuchâtelois tout d’abord (Michel Schlup), puis dans une mise en parallèle avec l’exemple lausannois (Silvio Corsini). Ensuite (« La formule éditoriale : souplesse et tensions »), les modalités de l’édition sont abordées à travers quelques thématiques ou types de rubriques significatives : les tremblements de terres (Anne-Marie Mercier-Faivre), le courrier des lecteurs (Denis Reynaud), l’helvétisme (Jean-Daniel Candaux), les jeux littéraires, « logogriphes et énigmes en vers » (Timothée Léchot), le théâtre (Béatrice Lovis) ; Valérie Cossy se penche enfin, d’une manière plus globale, sur l’éphémère Nouveau Journal de littérature et de politique (1784, œuvre du pasteur Chaillet). Sous l’intitulé général « Constitution et circulation des savoirs » sont analysés quelques thèmes récurrents du journal : l’information scientifique (Jeanne Peiffer), la météorologie (Muriel Collart), la vaccination antivariolique (Miriam Nicouli), le droit naturel (Sophie Bisset, Simone Zurbuchen). Finalement et plus brièvement, la question de « La réception des livres et des idées » est traitée par Pierre-Olivier Léchot (le christianisme), Simone Ferrari (les Mœurs, de François-Vincent Toussaint), Alain Cernuschi (l’Encyclopédie).

Au bilan, une très belle contribution collective à l’étude de l’histoire culturelle du XVIIIe siècle helvétique, qui ne peut qu’encourager d’autres chercheurs à se pencher sur le destin peu commun et le rayonnement du Journal helvétique.

1 Voir : http://scriptorium.bcu-lausanne.ch; accès gratuit et universel.2
2 Lumières.Lausanne, projet «Mercure suisse – Journal helvétique (1732-1782) », Université de Lausanne, url: http://lumieres.unil.ch/projets/journal-helvetique.

Zitierweise:
Philippe Henry: Rezension zu: Séverine Huguenin et Timothée Léchot (éd.), Lectures du Journal helvétique 1732-1782. Actes du colloque de Neuchâtel 6-8 mars 2014, Genève, Editions Slatkine, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 1-2, 2017, pages 267-270.

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27.08.2021
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