C. Villiger: Usages de la violence en politique

Cover
Titel
Usages de la violence en politique (1950–2000).


Autor(en)
Villiger, Carole
Erschienen
Lausanne 2017: Antipodes
Anzahl Seiten
296 S.
Preis
CHF 32.00
von
Ami-Jacques Rapin

L’ouvrage de Carole Villiger vaut beaucoup mieux que ce que la préface – maladroite – de Michel Wieviorka pouvait laisser craindre, le lecteur avisé pouvant en faire l’économie pour se plonger immédiatement dans le corps du texte. La plume du préfacier nous apprend en effet que « la Suisse est dans l’histoire et l’histoire est dans la Suisse », pour la simple raison que la violence politique n’y est pas totalement absente. Du coup, la Suisse lui apparaît, il est vrai « paradoxalement », « d’une certaine façon […] sympathique », puisqu’elle « n’est pas une forteresse indifférente à tout ce qui est autre chose que sa neutralité et le confort de ses habitants ». Plus surprenant encore que ces quelques stéréotypes imprégnés de gallocentrisme, le lecteur est averti que les « tensions » entre séparatistes et anti-séparatistes jurassiens ont été « émeutières à l’occasion et même débouchant sur la préparation d’un attentat qui a heureusement échoué ». Quelques pages plus loin, l’étude de Carole Villiger ne nous dit pas exactement la même chose, le conflit jurassien étant « marqué par plus de quarante ans d’attentats » chiffrés à une « centaine ».

Le volume se subdivise en cinq chapitres que l’on peut classer en deux groupes : trois sont consacrés à des violences politiques prioritairement domestiques (conflit jurassien, violences d’extrême-gauche et violences d’extrême-droite), deux à des violences transnationales (réseaux de solidarités entre extrémistes suisses et étrangers, violences perpétrées sur le territoire helvétique dans le contexte de la guerre d’Algérie et des conflits proche-orientaux et soutiens locaux aux groupes les perpétrant). Pour tirer le meilleur profit des analyses de Carole Villiger, il importe de subvertir l’ordre des matières de l’ouvrage. Son point fort réside dans ses sections relatives à l’extrême-gauche, les mieux documentées et les mieux maîtrisées. Le chapitre 2, « Une extrême gauche explosive », est celui par lequel on débutera utilement la lecture, à la fois en raison de son contenu et parce qu’il offre une contextualisation au chapitre 4, « La Suisse au carrefour des réseaux transnationaux européens », le plus relevé de l’ouvrage.

Considérer l’existence de points forts dans une analyse semble impliquer l’existence de points faibles. Ce n’est pas véritablement le cas pour l’ouvrage de Carole Villiger, ses chapitres relatifs au conflit jurassien, aux violences d’extrême-droite et aux répercussions helvétiques de conflits étrangers présentant un intérêt intrinsèque. La question qui surgit une fois le livre refermé est plutôt celle de l’articulation du tout. L’auteure oscille en effet entre trois perspectives, également intéressantes et pertinentes, mais difficiles à combiner.

La première, celle qui donne le plus de cohérence aux matériaux rassemblés, renvoie à la représentation et à la gestion de la violence politique par les autorités. L’approche comparative s’inscrit parfaitement dans une telle perspective, que ce soit en termes de catégories de perception de la violence politique – extrémisme vs terrorisme –, d’évaluation des menaces respectives présentées par ses différentes formes ou du traitement différencié de ces menaces. Plusieurs passages intéressants de l’ou vrage adoptent une telle approche qui n’est toutefois pas systématique sur le plan historique et qui aurait pu bénéficier des analyses de la thèse de Reto Patrick Müller (Innere Sicherheit Schweiz — Rechtliche und tatsächliche Entwicklungen im Bund seit 1848).

Une deuxième perspective porte sur les « répertoires d’actions violentes », définis initialement comme le « fil rouge » de l’analyse. Solidement ancrée dans la sociologie des mobilisations sociales, cette approche se révèle prometteuse dans les chapitres consacrés aux violences domestiques ; elle l’est évidemment moins dans ceux portant sur les réseaux de solidarité transnationaux. Utilisée alternativement au singulier et au pluriel, toujours d’un point de vue synchronique, la notion de répertoire se réfère tantôt aux différents moyens d’action politique à disposition des acteurs, la violence étant l’un d’entre eux, et tantôt aux différentes formes que l’action violente peut revêtir. La quantification des actes violents proposée dans les graphiques relatifs aux trois formes de violences domestiques s’inscrit dans cette seconde signification, mais « l’évolution du répertoire » n’est en l’occurrence que quantitative puisque ces actes demeurent indistincts les uns des autres.

Une troisième perspective renvoie aux interrelations et connivences qui permettent la structuration de réseaux de solidarité, en l’occurrence dans un cadre extrémiste et violent. Lorsque Carole Villiger indique sa volonté d’accorder une attention particulière « aux médiateurs », ou « personne pivot » ou encore « personne charnière », elle s’approche du concept de coapteur qui, chez Romy Sauvaire ou Benjamin Ducol, se réfère aux acteurs susceptibles d’établir, non simplement des relations interindividuelles, mais, plus fondamentalement, des liens structurants sur les plans cognitif, émotionnel et idéologique au sein de matrices de radicalisation. La combinaison des recherches effectuées aux archives fédérales, aux Sozialarchiv, aux archives du Hamburger Institut für Sozialforschung avec les entretiens d’histoire orale réalisés par l’auteure donne en ce domaine les meilleurs résultats.

Les quelques imprécisions terminologiques1 de l’ouvrage n’entravent aucunement une lecture qui s’avère aisée et profitable à la connaissance d’un sujet, dont on regrettera cependant qu’il n’intègre pas suffisamment cette zone grise aux confins de la violence politique et de la délinquance. Le nom de Walter Stürm apparaît incidemment lorsqu’il est question des luttes contre les conditions de détention dans les prisons helvétiques, à une époque où une partie de l’extrême-gauche considère que tout prisonnier est un prisonnier politique ; Daniel Bloch et Jacques Fasel ne retiennent en revanche pas l’attention de l’auteure. La bande à Fasel, mythe ou réalité du premier et Le droit de révolte du second, le fameux « Robin des Bolzes », ne sont pourtant pas sans intérêt pour qui veut comprendre un temps considéré comme « l’heure des brasiers » par celles et ceux qui ne voulaient « regarder que vers la lumière », comme l’écrivait Daniel Bloch paraphrasant José Marti.

1 Le Groupe Anarcho Communiste Révolutionnaire Ravachol, simple groupuscule, est difficilement assimilable à un « mouvement » (Atchenko, pseudonyme de l’un de ses anciens membres, aurait pu éclairer l’auteure sur ce point s’il avait été sollicité). Quant aux cocktails Molotov, ce ne sont pas des « explosifs de fabrication plutôt artisanale », mais des engins incendiaires.

Zitierweise:
Ami-Jacques Rapin: Carole Villiger: Usages de la violence en politique (1950-2000), Lausanne : Antipodes, 2017. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 235-238.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 235-238.

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