J. Heinen u.a.: 1968... Des années d’espoirs

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Titel
1968... Des années d’espoirs. Regards sur la Ligue marxiste révolutionnaire / Parti socialiste


Autor(en)
Heinen, Jacqueline; ... et 110 autres
Erschienen
Lausanne 2018: Antipodes
Anzahl Seiten
327 S.
Preis
CHF 35.00
URL
von
Pierre Jeanneret

Quand une organisation politique se penche sur son propre passé, on peut craindre l’autosatisfaction complaisante. Or, l’ouvrage en question échappe à ce reproche, et c’est une très bonne surprise. Il fait preuve d’esprit critique et d’un réel souci d’objectivité.Il est fondé sur une vaste enquête interne auprès de quelque 600 anciennes et anciens membres de la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR), devenue en 1980 Parti socialiste ouvrier (PSO), et dont l’actuel SolidaritéS est plus au moins le descendant. Cent dix personnes, issues des trois régions linguistiques, ont répondu à un questionnaire détaillé. On pourra trouver leurs réponses complètes, signées ou sous couvert de l’anonymat, sur le site de l’Association pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier (https://archives.aehmo.org). Une ancienne militante, Jacqueline Heinen, s’est chargée d’opérer un choix parmi celles-ci, les contextualisant avec brio.

Une utile introduction rappelle, notamment pour les jeunes générations, l’environnement politique et social des années 1950-1960 qui, avec la guerre d’Algérie, la décolonisation, le Mouvement contre l’armement atomique de la Suisse, etc., a préparé la naissance de la LMR.

Le livre se divise ensuite en plusieurs chapitres thématiques. Le premier traite des motifs de l’engagement dans cette organisation. Comme pour les autres sujets, on constate une grande diversité dans les réponses, qui rend difficile toute conclusion univoque. Les milieux sociaux d’origine, les motivations sont différents. On notera avec intérêt que, pour plusieurs témoins, le passage par des organisations chrétiennes a constitué une première prise de conscience sur les injustices. L’antista linisme, avivé par l’écrasement du Printemps de Prague, a joué certainement un rôle majeur. Pour certains, il a déterminé la rupture avec le Parti suisse du Travail (PST/POP). Le fait que la LMR ait été partie prenante de la IVe Internationale trotskiste, donc une organisation mondiale, même si elle est restée relativement confidentielle, en convainquit sans doute plus d’un. Les anciens militants relèvent, parmi les expériences positives, l’importance des cours théoriques marxistes, même si le langage utilisé était souvent très « intello » et « hermétique ». C’est aussi le reproche qu’on a pu faire à La Brèche, le journal de la LMR.

On se montre plus critique lorsqu’il s’agit de l’engagement féministe, en tout cas verbal, de la LMR. Les militantes se sont vues souvent reléguées à des tâches subalternes, ont subi des propos méprisants et « machos ». Si bien que nombreuses sont celles qui se tourneront plutôt vers le Mouvement de libération des femmes (MLF), où elles pourront s’épanouir et mieux faire valoir leurs revendications.

Pour la plupart, ce fut une expérience militante exaltante, certes, mais souvent épuisante. Plusieurs témoins évoquent les « cadences effrénées du militantisme » qui rendent difficile toute vie privée, cette dernière étant d’ailleurs souvent perçue comme « petite-bourgeoise » et non révolutionnaire…

Ces témoignages sont certes instructifs pour l’historien qui voudra se pencher sur la grande vague contestataire et révolutionnaire qui culmina avec Mai 1968 et se prolongea ensuite pendant plusieurs années. Ils sont parfois aussi émouvants. Lorsque le vent tourne, après les années d’espoirs, lorsque le coup d’État de Pinochet inaugure un net recul du mouvement révolutionnaire mondial, tandis que le capitalisme honni tarde à s’effondrer, on sent dans de nombreux témoignages une grande déception et beaucoup d’amertume. Si certains militants abandonnent le combat, d’autres continueront à s’investir, sous diverses formes, politique, sociale, écologique, féministe. Malgré un certain nombre de critiques et de désillusions, le passage par la LMR/PSO semble avoir été pour toutes et tous une école de vie, une expérience humaine marquante que nul ne semble regretter.

Zitierweise:
Pierre Jeanneret: Jacqueline Heinen… ET 110 AUTRES: 1968… Des années d’espoirs, Lausanne : Antipodes, 2018. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 234-235.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 234-235.

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