N. Graa: Entre communisme et frontisme

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Titel
Entre communisme et frontisme. La défense de l’ordre public vaudois 1932–1939


Autor(en)
Graa, Numa
Erschienen
Lausanne 2018: Bibliothèque historique vaudoise
von
Olivier Meuwly

Encore un livre sur l’entre-deux-guerres, s’écriera-t-on peut-être ? N’a-t-on pas déjà tout dit et tout écrit sur cette période troublée, en proie aux pulsions extrémistes mêmes sur les vertes rives du bleu Léman ? Il est vrai que la bibliographie relative aux mouvements qui secouèrent l’Europe avant de déborder sur le territoire helvétique est plus qu’abondante, à la hauteur des angoisses que générèrent dans nos contrées le traumatisme issu de la Première Guerre mondiale et de la grève générale de novembre 1918, puis les espérances communistes, fascistes ou nazies.

La démocratie héritée du XIXe siècle proposait-elle encore un repère valide pour envisager l’avenir des sociétés occidentales ? Ne fallait-il pas imaginer autre chose ? Les extrêmes ont stimulé la plume des historiens, mais à travers un miroir déformant : la littérature relative à ces mouvements est inversement proportionnelle à l’impact qu’ils ont eu sur la société locale. Les effectifs de l’extrême droite restèrent confidentiels, malgré les rodomontades de leurs chefs, et le bolchevisme suscitait une large méfiance, au-delà de l’anticommunisme viscéral des milieux bourgeois.

L’ouvrage de Numa Graa, déjà docteur en droit, a été présenté comme thèse de doctorat en histoire contemporaine à l’Université de Paris IV – Sorbonne et a été défendue avec succès en octobre 2016. Il ne se borne pas à sillonner allègrement au milieu de la masse bibliographique existante. Il adopte une approche résolument novatrice, qui constitue indiscutablement le point fort de son travail. Au lieu de suivre les actions des mouvements extrémistes dans leur engagement idéologique, il les piste à travers leurs démêlés avec la justice et la police.

Ce sont en effet les rapports des limiers vaudois qui forment la base documentaire, immense au demeurant, de cette thèse. Entourées des arrêtés fédéraux, et complétés parfois par les jugements des tribunaux dès lors qu’ils furent saisis, les archives de la police fournissent un moyen original d’entrer dans la vie de ces mouvements, dans la réalité des meetings et des rixes auxquelles ils donnèrent parfois lieu, mais aussi dans les liens qu’ils avaient tissés avec les mouvements étrangers dont ils étaient les relais dans le canton de Vaud. Le danger qu’ils constituèrent pour l’ordre public devient ainsi l’épine dorsale de son analyse.

Était-ce pour autant judicieux de se limiter à un seul canton ? La montagne de documents que l’auteur a dû dépouiller rien que pour Vaud suffirait à suggérer une réponse affirmative à cette question. Embrasser l’ensemble des cantons eût été impossible. Mais Numa Graa apporte un autre argument, plus décisif : les cantons forment des États nantis d’une large autonomie, en tous cas dans le domaine du maintien de l’ordre public. Se plonger dans les affaires vaudoises, en l’occurrence, offre ainsi une vision à la fois large et contenue sur le plan géographique. Une étude de cas qui illustre bien les tensions qui pouvaient exister dans ces temps exceptionnels.

Mais le choix de l’auteur, bien que légitime, pose malgré tout problème. Est-il possible de comprendre la nature de ces mouvements, y compris dans leur capacité provocatrice et, dès lors, périlleuse pour l’ordre public, en se cantonnant au microcosme vaudois ? On apprend énormément sur l’activité des différents avatars vaudois du fascisme, du nazisme, bien que plus marginal, et du communisme, du mussolinien Arthur Fonjallaz et de son fils René à Humbert-Droz et Jeanneret-Minkine, en passant par les séides du Front national, de l’Union nationale et du pronazi Mouvement national suisse. Les pages sur les colonies italienne et allemande sont également fort éclairantes.

Mais comment apprécier leur influence en Suisse alors que la situation de ces mouvements variait fortement d’un canton à l’autre, d’une région linguistique à une autre ? L’analyse de la correspondance entre les différents chefs du Département de justice et police vaudois et le procureur fédéral Franz Stämpfli montre bien l’interprétation difficile dont les textes fédéraux pouvaient faire l’objet. Mais justement : les autres cantons étaient-ils confrontés aux mêmes problèmes ou devaient-ils faire face à des réalités locales parant à chaque fois de couleurs inédites les relations entre ces mouvements, les autorités et la population ? Une population d’ailleurs bien absente de l’ouvrage, sinon sous l’apparence de foules plus ou moins denses assistant aux manifestations et autres rassemblements… L’auteur, à juste titre selon nous, conclut à l’impossibilité d’établir que, malgré l’anticommunisme ambiant, les mouvements de gauche auraient été soumis à une persécution plus forte que leurs antagonistes de droite : mais le constat résiste-t-il à une pondération intercantonale ?

La relative mise à l’écart de la population pointe un autre problème que la lecture du livre n’évacue pas totalement : tient-on entre ses mains une thèse en histoire ou une deuxième thèse d’histoire du droit jonglant avec les règles de droit et leur application ? Mais trêve d’arguties : l’étude de Numa Graa est importante, par la richesse des informations qu’il livre, mais surtout par les questions qu’elle pose. En abordant son sujet à travers l’ordre public, il ausculte les limites qu’il convient de fixer à la liberté d’expression et de manifester. À partir de quel moment faut-il poursuivre les fauteurs de trouble ? En somme à partir de quand sied-il de mettre entre parenthèses la démocratie pour sauver cette même démocratie ? Cette interrogation hantait les années 1930 ; elle est plus actuelle que jamais. Numa Graa permet de l’aborder dans un cadre nouveau.

Zitierweise:
Olivier Meuwly: Numa Graa: Entre communisme et frontisme. La défense de l’ordre public vaudois 1932-1939, Lausanne : Bibliothèque historique vaudoise, 2018. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 227-228.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 227-228.

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