C. Vuilleumier: Ordre des Avocats vaudois

Cover
Titel
Ordre des Avocats vaudois. 120 ans entre Tradition et Justice


Autor(en)
Vuilleumier, Christophe
Erschienen
Colombier sur Morges 2018: Papers Etc.
von
Olivier Meuwly

L’époque couvrant la fin du XIXe siècle et le début du XXe, avant d’être « belle », est surtout une ère de profonds bouleversements : les technologies évoluent brusquement, les modes de vie changent en même temps que les rituels de consommation se massifient, l’économie se mondialise, entraînant dans son sillage une grande prospérité qui côtoie une grande misère. Comment les métiers qui quadrillent la société vont-ils s’adapter, alors que la syndicalisation se répand dans le monde ouvrier ? Même les professions les moins enclines à se penser de manière collective doivent prendre conscience de ces mutations sociales, que la conviction de résider quelque peu en dehors du tohu-bohu du quotidien ne protège en aucune manière.

Parmi ces professions habituées à vivre dans l’entretien soucieux de leur singularité se détache celle d’avocat. Porté sur une sorte de piédestal social depuis longtemps, grâce au savoir précieux qu’il possède, l’avocat découvre les nécessités de la société nouvelle, dont une caractéristique est une juridicisation accrue des processus sociaux. En Suisse, la Constitution de 1874 actionne la centralisation de nombreux territoires juridiques, du droit des obligations dans les années 1880 au droit civil nanti d’un Code national spécifique en 1912, en passant par la responsabilité sans faute et le droit des poursuites et de la faillite dans lequel s’illustrera Louis Ruchonnet. Ce périple centralisateur s’achève en 1942 avec l’adoption d’un Code pénal fédéral. Mais ces chantiers ne constituent pas la seule préoccupation pour les avocats : la société démocratique s’organise autour du droit alors que les rapports entre l’État, dont l’influence sur la vie sociale ne cesse de croître, et l’individu transitent par un droit administratif, à la fois digue protectrice de la liberté, mais aussi symbole de la puissance de la bureaucratie conquérante.

La profession d’avocat doit changer. Une société suisse des juristes existe depuis 1861 ; elle jouera un rôle central dans le lancement de la révision de la Constitution fédérale de 1874. Mais les avocats doivent-ils vraiment suivre le mouvement ? Les journalistes se sont organisés sur le plan national en 1884 ; les Vaudois franchiront le pas en 1900. Les avocats vaudois, dont Christophe Vuilleumier raconte l’histoire de l’organisation sur le plan cantonal, hésitent longtemps. Les avocats praticiens ne sont pas si nombreux sur le territoire vaudois… 34 au début du XIXe siècle, ils ne dépassent pas la centaine à la fin du siècle. Pas beaucoup plus important cinquante ans plus tard, leur nombre explosera à partir des années 1970, de par l’effet conjoint d’une démocratisation des études, couronnée par l’abandon de la thèse en 1993 pour les apprentis avocats, et d’un renforcement de la juridicisation de la société dont les années 1990 n’avaient été qu’un délicat prélude.

Si les avocats vaudois décident de créer une association en 1898, la même année qu’au niveau suisse, c’est cependant surtout un besoin protectionniste qui les guide. Une certaine crainte de la concurrence extérieure les pousse à se battre pour un fédéralisme intransigeant en matière juridique… contre l’instauration d’un brevet fédéral suisse, avec succès, mais aussi contre le Code pénal suisse, en vain cette fois. Mais ce subit besoin d’organisation reflète peut-être aussi une société de plus en plus conditionnée par la nécessité de recourir aux procédures judiciaires pour préserver des droits que les lois sont désormais plus nombreuses à défendre… mais aussi à menacer. Cruel paradoxe de la modernité démocratique. Prêts à tout, des avocats dérapent : la déontologie professionnelle mérite une vigilance accrue !

S’adossant aux travaux existants et aux procès-verbaux du comité et des assemblées générales de l’Ordre des avocats vaudois, Christophe Vuilleumier, dans son très intéressant ouvrage, offre une belle galerie de portraits, autant de personnalités éminentes de la profession qui revêtirent des fonctions importantes au sein de l’Ordre, avec Auguste Dupraz et Louis Berdez comme figures de proue, les deux premiers bâtonniers (même si le terme ne s’inséra dans les usages que très lentement !). Il insiste sur les liens intimes qui relient le monde du droit et celui de la politique. Ce n’est pas une particularité vaudoise, mais, dans notre canton, il est vrai que la politique se nourrit du travail des juristes : les révolutionnaires de 1798, comme les chefs des révolutions libérale et radicale comptent un nombre impressionnant d’avocats dans leurs rangs. Leur importance ne faiblira jamais même si, aujourd’hui, ils sont moins nombreux à s’asseoir sur les travées du Grand Conseil : signe de l’évolution du métier, mais aussi de la politique…

Mais Christophe Vuilleumier relate aussi les principaux combats que mène l’Ordre, fier des valeurs qu’il a toujours voulu défendre. Ainsi s’oppose-t-il à l’internement administratif promis aux personnages « déviants », mais surtout à l’exclusion des juifs du cercle des avocats vaudois. D’autres débats ont une apparence plus picrocholine : l’avocat vaudois doit-il se parer de la robe ou non ? Serpent de mer de la vie de l’Ordre, la question est moins byzantine qu’elle n’y paraît : quelle majesté le droit doit-il afficher lorsqu’il s’exprime au nom de la justice ? Nous ne saurions terminer la présente recension sans évoquer la Genevoise Alice Roulet, la première femme à forcer les portes du barreau vaudois, avant qu’Antoinette Quinche puisse se prévaloir, la première, en 1926, à avoir accompli l’entier de son parcours dans le canton de Vaud.

Zitierweise:
Olivier Meuwly: Christophe Vuilleumier: Ordre des avocats vaudois. 120 ans entre tradition et justice, Colombier sur Morges : Papers, etc., 2018. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 217-219.

Redaktion
Autor(en)
Beiträger
Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 217-219.

Weitere Informationen
Klassifikation
Epoche(n)
Region(en)
Mehr zum Buch
Inhalte und Rezensionen
Verfügbarkeit