D. Auberson u.a.: Entre Arts & Lettres

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Titel
Entre Arts & Lettres. Trois siècles de rayonnement culturel autour de Vevey et de Montreux


Autor(en)
Auberson, David; Devanthéry, Ariane; Gerhard, Yves; Guignard, Yves
Erschienen
Gollion 2018: Infolio
Anzahl Seiten
520 S.
von
Philippe Kaenel

Entre Art & Lettres retrace l’histoire de la vie culturelle autour de Vevey et Montreux durant trois siècles. On pourrait interroger ces limites chronologiques qui excluent le Moyen Âge et la Renaissance. Mais il est vrai que cette zone géographique a connu une évolution spectaculaire depuis le XVIIIe siècle, qui en fait un espace à la fois très périphérique et central sur le plan suisse et européen. Il suffit de parcourir l’index des noms pour en prendre la mesure. Parmi les plus récurrentes, on trouve tant des figures notables locales et nationales (Ansermet, Biéler, Bocion, Bosshard, Bridel, Cérésole, Doret, Hodler, Kokoschka, Ramuz, Rousseau, Vinet, etc.), que des personnalités internationales (Byron, Courbet, Chaplin, Haskil, Hemingway, Hugo, Le Corbusier, Nabokov, Tolstoï, Turner, etc.). Issues du domaine des lettres, de la peinture, de la musique, de l’architecture ou du cinéma, toutes ont entretenu des relations particulières avec au moins l’une des deux cités lémaniques. Arts & Lettres est d’ailleurs le nom de la société organisant des concerts de musique classique, fondée en 1921 à Vevey, qui réunit en son sein aussi bien des artistes que des hommes de lettres.

Comment qualifier ce territoire ? Il est lémanique ; il recoupe Lavaux ; il deviendra « La Riviera » au XXe siècle. On connaît l’invention de ce lieu, par Jean-Jacques Rousseau et La Nouvelle Héloïse, puis par Lord Byron et son poème consacré au depuis lors célèbre « Prisonnier de Chillon », Bonivard. Sa notoriété littéraire, puis touristique, précède l’intérêt des peintres pour un paysage qui longtemps n’a pas été « vu », car seulement traversé en direction de l’Italie, dans le cadre du Grand Tour qui conduit les élites sur les traces de la culture gréco-latine. Dans un premier temps, le paysage vu du coteau retient l’attention des artistes avides de panoramas et de pittoresque, jusqu’au tournant opéré par l’oeuvre de Ferdinand Hodler autour de 1900. Dans un second temps seulement (au XXe siècle), les regards convergent vers ce « désert » qui se nomme Lavaux, ses vignes, ses murs, ses bourgs, que l’UNESCO a reconnu récemment et que Franz Weber a largement contribué à sauver.

Pour raconter cette histoire et ce paysage, il fallait faire des choix. Les auteurs (dans l’ordre alphabétique : David Auberson, Ariane Devanthéry, Yves Gérard et Yves Guignard) sont historiens, spécialistes de l’architecture et du patrimoine, de la littérature et de l’histoire de l’art. Leurs voix se fondent dans un récit unique. Le modèle qui préside à cet imposant ouvrage de plus de 500 pages est celui de l’Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud. Le texte principal est accompagné d’une riche iconographie, ainsi que de sources écrites ou visuelles présentées sur un fond grisé. Chaque chapitre se clôt avec des notes (sommaires) et une bibliographie (essentielle). Cette encyclopédie, qui suit une trame chronologique organisant les thématiques, choisit donc le ton de la vulgarisation cultivée, avec certains raccourcis et des absences que chaque spécialiste aura beau jeu de relever dans son domaine. Le soussigné, par exemple, fronce du sourcil quand le graveur François Aimé Louis Dumoulin, auteur d’un recueil de planches gravées d’après le fameux Robinson Crusoé (entre 1805 et 1810), est qualifié de « précurseur de la bande dessinée » (p. 41) : une suite de planches n’est pas un récit graphique (ou iconotextuel). Mais l’ensemble est d’une grande richesse informative et réussit dans la plupart des cas à éviter le défaut de l’inventaire, le risque du guide touristique et la tentation people consistant à aligner le répertoire des figures marquantes qui furent en lien avec Vevey et Montreux. Un autre risque subsiste : celui de la « chronique », c’est-à-dire du récit chronologique porté par les personnalités ou les oeuvres. Comme la vie culturelle occupe le centre de gravité de cette publication, la dimension sociale et politique de la création dans le domaine des lettres et des arts est souvent mise en sourdine. L’impact de la Révolution française, des révolutions de 1848, des luttes religieuses, de la politique artistique fédérale qui se met en place dans les années 1880 ou encore de la Première Guerre mondiale sont souvent évoqués par la bande, au fil des chapitres thématiques. Des bilans transversaux, selon le modèle de l’histoire culturelle, auraient été précieux pour nouer les fils entre pratiques architecturales, graphiques, picturales, musicales, littéraires autour de 1914, en lien avec l’immigration, la crise économique, les polarisations idéologiques, les tensions entre cosmopolitisme et ancrages identitaires. Il n’en reste pas moins que ce beau livre représente une « somme » qui, de manière intéressante, réunit deux villes, Vevey et Montreux, concurrentes et complémentaires sur le plan de l’offre et des stratégies culturelles. Deux villes – l’une chargée d’histoire, l’autre réinventée par l’industrie touristique – qui ont compris que la culture sous toutes ses formes est la meilleure manière d’exister par rapport au pôle lausannois, mais aussi en relation avec la Suisse et aux yeux du monde.

Zitierweise:
Philippe Kaenel: David Auberson, Ariane Devanthéry, Yves Gerhard, Yves Guignard: Entre Arts & Lettres. Trois siècles de rayonnement culturel autour de Vevey et de Montreux, préface de François Margot, Gollion : Infolio, 2018. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 213-215.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 213-215.

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