A. Philipona: Histoire du lait de la montagne à la ville

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Titel
Histoire du lait de la montagne à la ville.


Autor(en)
Philipona, Anne
Reihe
hors série
Erschienen
Fribourg 2017: Archives de la Société d’histoire du canton de Fribourg
Anzahl Seiten
214 S.
von
Georges Andrey

De 1848 à nos jours, les quelque cent-soixante ans d’histoire retracée dans cet ouvrage neuf, fruit de longues recherches, nous offrent un panorama impressionnant de l’industrie laitière dans un Pays de Fribourg qui, par le volume et la qualité de sa production, alimente en matière première, tel un père nourricier, les cantons voisins plus urbanisés. C’est ici le lieu de rappeler que la révolution industrielle au sens classique du terme – primat de l’industrie non agricole – n’a affecté Fribourg qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À la lecture du livre d’Anne Philipona, on serait tenté de penser que la vitalité du secteur primaire de l’économie fribourgeoise a freiné l’essor du secteur secondaire, reléguant à l’arrière-plan l’explication idéologique traditionnelle selon laquelle le conservatisme dominant serait la véritable cause du retard fribourgeois. Notre impression est renforcée par un indice : les notices biographiques, au nombre de 47, consacrées aux acteurs majeurs mis en scène ignorent superbement Georges Python, pourtant leader incontesté de la classe politique fribourgeoise à la fameuse époque de la République chrétienne dont il est l’incarnation (1884-1927). Sous la plume de l’auteure, tout se passe comme si, en dépit des interférences réciproques, « l’économique » et « le politique » avaient chacun son dynamisme propre.

Pour l’auteure, l’or blanc qu’est le lait a transformé le Pays de Fribourg. Dit autrement, c’est l’économie qui est le vrai moteur du changement et non pas une quelconque idéologie politique, qu’elle soit pythonienne ou non ! Le mérite du conservatisme dominant, c’est d’avoir su transformer le lait en or en industrialisant l’agriculture. Or, on le sait, toute révolution industrielle passe par le stade préalable de la modernisation de l’agriculture, dont les maîtres-mots sont mécanisation et agronomie de pointe. Fribourg a su ne pas mettre la charrue devant les boeufs.

Notre propos n’est pas ici de décrire par le détail le riche contenu de l’ouvrage. En revanche, notre attention portera sur les liens de l’économie laitière du Pays de Fribourg avec celle de son principal voisin, le Pays de Vaud. Suivons donc l’auteure dans son récit chronologique et retenons quelques dates significatives.

En 1847, sous la Régénération, Louis Spühler, originaire de Vevey, est installé à Bulle où il fait le commerce de pailles tressées. Il se convertit bientôt en marchand de fromage sous la raison sociale Spühler-Dénéréaz. Lors de l’Exposition universelle de Paris de 1856, la maison obtient une médaille d’argent pour douze fromages mi-gras. Les retombées ne se font pas attendre : les marchands français affluent en Gruyère et, selon des chiffres donnés pour sûrs, passent commande d’un minimum de 25’000 pièces du roi des fromages. Un tel boom attise les appétits : en 1864, Bulle voit apparaître la Société du Moléson dont le but est le commerce de fromages en gros. En font partie deux Vaudois, Jules Frossard et Charles Müller de Payerne. En 1866, lors de l’Exposition universelle de Paris, ladite société décroche une médaille d’or et, dans la foulée, une commande de 50 tonnes du précieux produit pour la Marine française.

Fondée en 1867 à Vevey, la fabrique de farine lactée d’Henri Nestlé s’approvisionne en lait dans le sud du canton de Fribourg. Érigée en société anonyme en 1875, l’entreprise croît rapidement et se diversifie : dès 1878, elle produit du lait condensé. Sur le pourtour du canton de Fribourg, à Bercher en 1889 et à Payerne en 1890, elle implante des usines gourmandes de lait fribourgeois.

1886: Rudolph Schatzmann, fondateur et directeur de la Station laitière de Lausanne, meurt. Pasteur bernois égaré en Pays romand, l’homme est également apprécié au Pays de Fribourg où il donne à plusieurs reprises des cours de fabrication du fromage et encourage la création de la fromagerie-modèle de Vuadens en Gruyère. Or, Fribourg se propose de combler le vide laissé par Schatzmann en installant une station romande qui ferait pendant à celle, unique et fédérale, alors en discussion à Berne. Seulement voilà, les cantons romands sont incapables de s’accorder : Vaud rechigne à signer la convention qui unirait les cantons francophones autour de l’établissement fribourgeois. Qu’à cela ne tienne, Fribourg fait cavalier seul tout en laissant ouverte la station laitière aux élèves des autres cantons.

Date clé que celle de 1898: le Vaudois Alexandre Cailler transfère à Broc, en Gruyère, son usine de chocolat au lait, à l’étroit sur les hauts de Vevey. Si l’expression « Belle Epoque » a un sens, c’est bien pour ce patron aussi actif qu’avisé : en 1906, le site brocois emploie 1600 ouvrières et ouvriers, faisant de sa chocolaterie l’entreprise la plus importante du canton. Fait passé sous silence par l’ouvrage, Python, l’homme fort du régime, apprécie ce radical et l’envoie siéger à Berne au sein de la députation conservatrice fribourgeoise !

Dans les relations Vaud/Fribourg, 1906 marque un nouveau pas important : pour alimenter en lait la grande condenserie de Payerne, des sociétés de laiterie de l’un et l’autre canton fondent, dans la cité broyarde, la « Fédération laitière vaudoise-fribourgeoise » (FLVF). Détail significatif : c’est l’entreprise florissante de Payerne que choisit Anne Philipona pour orner les pages de garde de son oeuvre. Sur un cliché noir/blanc de 1900, on voit s’activer, sous l’oeil d’un contremaître, des dizaines d’ouvrières dispersées parmi des milliers de boîtes de lait condensé entassées en rangs serrés les unes sur les autres, dûment étiquetées et sans doute prêtes à l’expédition. Point commun de ces femmes : aucune ne porte de bonnet, mais toutes ont la chevelure relevée et ramassée en chignon, sans doute par mesure d’hygiène.

Durant la guerre de 1914-1918, l’Administration fédérale ordonne, en 1917, la création par chaque canton d’une centrale de beurre chargée d’en organiser l’approvisionnement. La centrale fribourgeoise, organe semi-étatique, est dirigée par un comité au sein duquel siège notamment la FLVF. Productrice excédentaire, elle ravitaille d’autres cantons selon un plan établi par Berne. En 1918, année de la grève générale qui paralyse la Suisse, Fribourg est le seul canton où le beurre ne fasse pas défaut, d’où l’importance quasi nationale de sa centrale. Le conflit mondial terminé, celle-ci sera privatisée sous le nom de Cremo. Fait peu connu, ce fleuron actuel de l’économie fribourgeoise, devenue société anonyme en 1927 sous l’appellation de Cremo SA, a été longtemps à moitié vaudois : en effet, la FLVF détenait 50 % de son capital de 200 000 fr., somme importante pour l’époque. Jusque dans les années 1990, cette formule se maintient. Il est permis d’y voir un modèle de réussite d’une entreprise supracantonale romande.

Bien d’autres faits rapportés par l’auteure illustrent l’interpénétration des économies laitières valdo-fribourgeoises. Tous confirment que, loin de vivre replié sur lui-même, Fribourg a su, au fil du temps, développer une économie interconnectée garante de ses relations de bon voisinage.

Zitierweise:
Georges Andrey: Anne Philipona: Histoire du lait de la montagne à la ville. Avant-propos de Jean STEINAUER, iconographie par Mélanie ROH, Fribourg : Archives de la Société d’histoire du canton de Fribourg, hors série, 2017. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 211-213.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 211-213.

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