D. Auberson u.a.: Urbain et Juste Olivier

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Titel
Urbain et Juste Olivier. Une grande famille vaudoise aux XIXe et XXe siècles


Autor(en)
Auberson , David; Gex, Nicolas
Erschienen
Lausanne 2018: Bibliothèque historique vaudoise
Anzahl Seiten
396 S.
von
François Jequier

La famille Olivier a marqué l’histoire du Canton de Vaud et, surtout, elle a consacré un soin particulier à la conservation des archives familiales comme précisent les deux auteurs dans leur introduction : « Un riche fonds d’archives s’est constitué génération après génération, sous l’impulsion de plusieurs membres de la famille […]. Après être restés en mains des différents descendants, ces milliers de liasses, dossiers, onglets, cahiers, livres et classeurs, sont venus garnir les étagères de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne. Le fonds d’archives comprend plus de 350 cartons […]. L’inventaire réalisé par nos soins et en collaboration avec le personnel de la BCU est désormais ouvert aux chercheurs. »

Si plus de la moitié de ce beau livre est consacré aux deux frères, Juste (1807-1876), véritable pionnier du romantisme en Pays de Vaud et surtout à l’origine d’une littérature romande qui s’affirmera indépendante des lettres françaises et Urbain (1810-1888), le romancier des campagnes, dont les livres connurent un succès éditorial rare pour l’époque dépassant les 100 000 exemplaires, leurs descendants sont scrutés avec finesse et empathie dans la seconde partie, ce qui donne à cette série de biographies, une saveur particulière.

Les 90 pages consacrées à Juste et sa femme Caroline Ruchet-Olivier, de quatre ans son aînée, s’imposent comme un modèle d’empathie et une belle maîtrise du contexte si important dans la vie du couple. Les quelques pages intitulées « Caroline ou le temps des amours » suggèrent tout en subtilité et en sous-entendus la naissance d’un amour partagé et, avec le recul, Juste a eu de la chance d’avoir à ses côtés une femme aussi efficace et dévouée allant jusqu’à abandonner ses dons littéraires pour se consacrer à son ménage et surtout à ses pensionnaires à la Place des Vosges à Paris durant les années d’exil. Caroline a joué un rôle majeur dans la carrière de son mari.

Au moment de sa publication, en 1837 pour le premier volume et 1841 pour le second, Le Canton de Vaud. Sa vie et son histoire n’eurent pas le succès escompté par Juste Olivier et le grand public de l’époque peine à lire ces quelque 1200 pages qui décrivent le Pays de Vaud en trois parties principales : le pays, le peuple et l’histoire.

Juste Olivier fut à l’origine de la réhabilitation du Major Davel, qui passa du stade de « l’illuminé » à celui de héros et précurseur de l’indépendance vaudoise que Frédéric-César de La Harpe avait vainement tenté d’exhumer en 1798. Olivier est le premier historien à se fonder sur les actes du procès de Davel, ce qui lui permet de rédiger un texte solidement documenté porté par une verve et un style extraordinaires. Ajoutons que Juste Olivier compte parmi les membres fondateurs de la Société d’histoire de la Suisse romande en 1837.

Urbain (1810-1888), qui avait les dispositions de faire des études comme son frère Juste, se voit désigné pour reprendre le domaine familial. Or, les temps sont difficiles, la famille est endettée, et ce manque d’argent va toucher les deux frères qui passeront une bonne partie de leur vie respective dans des difficultés financières. Au moment de sa gloire littéraire, Urbain regrette de n’avoir pas les moyens de donner ses livres à des bibliothèques publiques.

Ce sont les événements politiques d’une Suisse instable qui l’amènent à découvrir son pays. Durant les mois de septembre et d’octobre 1831, le futur sergent se retrouve sous les drapeaux pour participer aux troubles de Bâle. Son Journal de route retrace ses campagnes militaires, dont la seconde l’amènera en Valais durant la brève guerre du Sonderbund remarquablement présentée avec un choix de citations bien mises en exergue.

Le 14 décembre 1832, Urbain épouse Louise Prélaz, une cousine de Nyon. L’un des socles de cette union se trouve dans des convictions religieuses partagées et vécues ensemble. Leur foi commune leur permettra de traverser des périodes difficiles.

En 1840, sa femme hérite de son oncle une vieille maison à Givrins. Urbain et Louise décident de la transformer pour y résider. Il quitte alors son poste de régisseur du grand domaine de la famille Saint-George à Duillier-Changins où il ne se sentait pas libre d’agir à sa guise. Cette décision aura un bel avenir puisque cette demeure deviendra le centre de ralliement de générations d’Olivier et c’est dans ses murs qu’il écrira, des années plus tard, l’ensemble de son oeuvre de romancier paysan imprégnée de rigueur protestante. L’oeuvre littéraire d’Urbain est marquée par ses convictions morales et religieuses, il écrit pour convaincre et comme ses idées sont tiraillées entre les différentes dissidences chrétiennes, qui marquent les Vaudois dans la première moitié du XIXe siècle, il n’est pas toujours facile de le suivre. Pour son frère Juste, le côté religieux de ses romans et nouvelles lui paraît trop accentué. Ce n’est qu’à partir de 1853 qu’il publie ses premiers textes à 43 ans. Alors que tant d’écrivains envoient désespérément leurs manuscrits à une myriade d’éditeurs dans l’espoir d’être publiés, c’est un éditeur, Georges-Victor Bridel, qui vient le solliciter au printemps 1856. Proche du milieu du Réveil et fidèle de l’Église libre, Bridel publiera des traités religieux, des manuels scolaires et des ouvrages de littérature populaire à tendance moralisante, dont Urbain sera l’auteur vedette de son catalogue. Le premier volume qui sort des presses de Bridel date de 1857. Avec la régularité d’un métronome, l’écrivain-paysan publiera chaque année un roman ou un recueil de nouvelles.

Le romancier des campagnes connaît des succès éditoriaux sans précédent qui ne s’arrêteront pas avec la mort de l’auteur en 1888. Plusieurs de ses livres seront périodiquement réédités au cours du XXe siècle. Dans les années 1980, les éditions Slatkine et Cabédita prirent le relais.

Les héros d’Urbain sont d’un bloc et ne connaissent pas de crise intérieure. S’ils ont des tentations, leur discipline morale les protège de toute incartade. Ces caractères indifférenciés, tous animés d’une foi profonde, souvent manichéens, se retrouvent dans la quasi-totalité des romans. L’écrivain fait toujours triompher la piété, voie essentielle vers le bonheur et le mariage. En résumé, il s’agit d’une véritable littérature militante où les récits prennent le voile de la fiction pour mieux édifier le lecteur. Les descriptions de la vie rurale des paysans vaudois au XIXe siècle sont un témoignage de pre mier ordre jusqu’aux gestes quotidiens. Urbain offre une magnifique radiographie des moeurs et coutumes qu’il scrute comme une étude ethnographique. À cette population rurale en vase clos s’ajoute l’image vivante du pasteur, du régent, du médecin et du notaire qui se déplace pour faire signer des actes importants.

Quelques pages factuelles présentent brièvement les descendants de Juste et Urbain.

Gustave Olivier (1838-1924), fils d’Urbain, neveu de Juste, père d’Eugène et de Frank, fait la liaison entre deux générations. Son parcours apporte de précieux renseignements sur les instituts privés, comme le collège Gaillard, les conditions de travail des précepteurs et celles des directeurs de pensionnat. La clientèle britannique formait la part la plus importante des pensionnaires à côté des Allemands, des Français et des Suisses. Gustave enseigne aussi dans d’autres institutions privées proches de l’Église libre. Plusieurs anciens pensionnaires ont laissé des portraits de ce directeur omniprésent.

Les pages consacrées à Charlotte Olivier, née von Mayer, et à son mari Eugène, font ressortir leurs passions partagées pour la lutte contre la tuberculose qui les occupera toute leur vie. Eugène, marqué dès 1894 dans sa chair par la tuberculose, verra son existence dépendre de cette maladie qui l’obligera à gérer ses activités selon les aléas de sa santé. Les deux médecins se marient en 1901 et de 1902 à 1905, Charlotte passe l’essentiel de son temps à soigner son mari.

Mêlant son intérêt pour l’enseignement et sa foi de missionnaire, Charlotte décide d’informer la population vaudoise à travers des conférences qui connaîtront un réel succès ; elle en donnera des centaines de 1906 à 1944, permettant ainsi une sensibilisation à ce fléau qui touchait en particulier les milieux modestes.

Relevons encore les préoccupations sociales de Charlotte qui s’engage dans la lutte contre l’alcoolisme en insistant sur la nécessité de soutenir la prévention et la détection.

Eugène, terrassé dès 1924 par de nombreuses rechutes, immobilisé dans sa maison du Mont-sur-Lausanne, commença par s’intéresser à l’histoire de sa famille, de leurs maisons, avant d’orienter ses recherches sur le passé médical vaudois, dont il va devenir l’historien de référence. En 1948, à l’occasion de ses 80 ans, il reçoit un doctorat honoris causa de l’Université qui honore son oeuvre pionnière d’historien de la médecine.

Frank Olivier (1869-1964), petit-fils d’Urbain, va consacrer sa vie à la langue et littérature latines et à l’Université de Lausanne où il est nommé professeur en 1912 avant d’occuper de nombreuses fonctions administratives. Formé en Allemagne, à Bonn et à Berlin, Frank Olivier rédige sa thèse sous la direction du professeur Hermann Diels, dont les exigences vont le marquer profondément.

Doyen de la Faculté des Lettres, Recteur et surtout chancelier durant de nombreuses années, Frank Olivier est décrit avec précision par Nicolas Gex qui énumère ses tâches et rappelle sa position : un professeur n’avait pas à s’engager politiquement comme le fit son collègue André Bonnard attiré par les mirages communistes. Impliqué comme chancelier de l’Université dans l’octroi d’un doctorat honoris causa à Benito Mussolini en 1937, il sera au coeur de la polémique provoquée par cette distinction insolite.

François Olivier (1907-1948). Fils unique de Frank, le jeune homme entre au gymnase classique en 1923 où il a pour maîtres Edmond Gilliard (français), Henri Roorda (mathématiques) et André Bonnard (grec). Il grandit dans une famille de mélomanes, son père joue du violon et sa mère était amatrice de concerts. Son grand-père maternel, Ernest Correvon, joua un rôle important dans la vie musicale lausannoise ; il siégeait au Comité du Conservatoire depuis 1892. Dès ses jeunes années, François se distingua par divers dons artistiques, dont le dessin qu’il cultivera pour lui toute sa vie.

Edmond Gilliard eut une grande influence sur François Olivier qui lui rendit hommage dans la Revue de Belles-Lettres en octobre 1926. Très tôt, il se met à étudier la langue russe en même temps qu’il découvre la musique russe en particulier celle d’Igor Stravinsky avec lequel il se lie et qui influencera ses compositions.

Il arrive à Paris en 1927 où il rencontre l’avant-garde « d’une esthétique résolument tournée vers la modernité musicale ». François partage son temps entre les cours et la composition, en même temps, il assiste aux spectacles et autres concerts. Nicolas Gex énumère ses premières créations sans omettre les difficultés rencontrées par la hardiesse de sa musique. Durant la guerre de 1939 à 1945, il poursuit sa double activité de compositeur et d’enseignant au sein du Conservatoire de Lausanne où il fait preuve de belles qualités pédagogiques. Sa rencontre avec Victor Desarzens et sa collaboration avec l’Orchestre de Chambre de Lausanne, dès 1946, où il est chargé de l’analyse des programmes des concerts d’abonnement va lui offrir une meilleure visibilité et, surtout, lui permettre de faire jouer ses oeuvres et d’obtenir ainsi une certaine reconnaissance.

Sa carrière est brutalement interrompue par un accident de montagne, le 7 mars 1948 à l’âge de 41 ans. Son père Frank multipliera les initiatives pour que l’oeuvre de son fils unique ne tombe pas dans l’oubli.

Cet ouvrage à deux plumes laisse apparaître une belle maîtrise des sources particulièrement abondantes dans le cas de la famille Olivier. Soulignons un choix subtil de citations mises en exergue par des commentaires appropriés et surtout l’importance donnée aux différents contextes, bien résumés, touchant les principaux troubles politiques et religieux qui ont marqué le Pays de Vaud dans la première moitié du XIXe siècle. Sur le plan formel, le choix du papier et la reliure donnent fière allure à ce beau livre et les 1277 notes en bas de page renvoient à une riche bibliographie. Ce grand livre illustre bien les nouvelles orientations de l’histoire culturelle qui, elle aussi, découvre les pépites des créations locales.

Zitierweise:
François Jequier: David Auberson et Nicolas Gex: Urbain et Juste Olivier. Une grande famille vaudoise aux XIXe et XXe siècles, Lausanne : Bibliothèque historique vaudoise, 2018. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 202-206.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 202-206.

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