É. Hofmann : La mission de Henri Monod à Paris en 1804

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Titel
La mission de Henri Monod à Paris en 1804. Contribution à l’histoire des relations franco-suisses au début de la Médiation


Autor(en)
Hofmann, Étienne
Reihe
Travaux sur la Suisse des Lumières
Erschienen
Genève 2017: Editions Slatkine
Anzahl Seiten
575 S.
von
Denis Tappy

Ce fort volume est de ceux qui offrent au lecteur bien davantage que n’annonce leur titre. Étienne Hofmann revient comme jeune retraité sur une affaire qui l’avait intrigué au début de sa carrière de chercheur. En 1972, il avait été chargé d’établir un inventaire détaillé de lettres et pièces relatives à la mission évoquée dans l’ouvrage présenté. Or, la documentation ainsi bien identifiée était restée quasi inexploitée jusqu’à présent.L’ouvrage présenté ne se contente pas d’y remédier. Certes les travaux évoquant Henri Monod (1753-1833) dans des périodes-clés pour notre canton comme 1798, 1802-1803, 1813-1815, voire 1830, ne manquent pas. En revanche, aucune biographie détaillée de ce « père de la Patrie » n’existe à ce jour. Étienne Hofmann se défend d’avoir cherché à combler cette lacune ou à refaire « une énième notice biographique ». Après un rappel du contexte historique général, il consacre néanmoins tout son deuxième chapitre (pp. 39-100) à la personnalité de Monod et à son rôle politique, de la Révolution à 1804.

Le troisième chapitre (pp. 101-211) est consacré spécifiquement à la mission parisienne de 1804. Ayant démissionné du gouvernement vaudois à la fin de 1803, Monod prétend alors n’aspirer qu’à redevenir un simple particulier. Cependant, depuis que le poste « tournant » de Landammann est passé du Fribourgeois Louis d’Affry au Bernois Nicolas-Rodolphe de Watteville, les relations du canton de Vaud avec les autorités fédérales et le canton de Berne sont très tendues sur plusieurs questions : les Vaudois s’opposent presque seuls à des velléités de créer une organisation militaire centrale permanente non prévue par l’Acte de Médiation. Ils font aussi l’objet devant la Diète de réclamations concernant les lods ou lauds, soit une sorte de droit de mutation d’origine féodale, qu’un décret de la République helvétique du 22 septembre 1802, sur lequel le Petit Conseil n’entend pas revenir, avait déclarés abolis (comme les dîmes et cens, mais au contraire de ceux-ci sans compensation). Enfin, les Vaudois s’estiment maltraités dans le cadre de la liquidation des dettes de la République helvétique et du sort de fonds placés avant 1798 par le gouvernement bernois à l’étranger.

Or, au début de juillet 1804, Louis d’Affry part brusquement pour la capitale française. Le Petit Conseil charge alors informellement Monod, qui connaissait bien celle-ci pour y avoir vécu en 1801-1802, d’aller y combattre le cas échéant d’éventuelles menées de l’ancien Landamman contraires aux intérêts vaudois. Ce séjour à Paris va durer de fin juillet à mi-septembre 1804. Monod n’y rencontre pas Napoléon, parti pour Boulogne, mais divers responsables politiques. Il tente de faire valoir le point de vue vaudois sur les questions mentionnées ci-dessus ainsi que sur divers problèmes mineurs.

Il est difficile de mesurer l’efficacité de ces démarches de Monod. Celui-ci n’est pas mal reçu, mais, faute de rôle officiel, doit souvent se contenter de bonnes paroles. Sur la question de l’organisation militaire cependant, Napoléon condamnera clairement les tentatives en cours de centralisation allant au-delà de l’Acte de Médiation. En revanche, l’empereur n’interviendra pas personnellement sur la question de la liquidation de la dette et des placements à l’étranger antérieurs à 1798, ni d’ailleurs sur celle des lods. Des appuis en faveur des thèses vaudoises obtenus par Monod au sein de l’administration française ont néanmoins peut-être contribué à ce que la première reste alors pendante (un règlement final n’interviendra qu’après la fin du régime de la Médiation, sur des bases imposées par les puissances et prévoyant un retour du capital exclusivement aux cantons de Berne et de Zurich, seuls les intérêts courus étant affectés au règlement du solde restant à payer de la « dette helvétique »). De même, le soutien français aida peut-être à prévenir que la Diète prenne alors des positions défavorables aux Vaudois dans l’affaire de la suppression des lods sans indemnité (elle aussi finalement liquidée seulement sous la Restauration).

Étienne Hofmann reprend finalement ces deux dernières questions, sans plus se limiter à l’intervention de Monod. Il établit notamment un historique détaillé des débats politiques autour du rachat des lods en Pays de Vaud, de la révolution de 1798 à 1818 où, après des dédommagements partiels aux anciens ayants-droit imposés par le Congrès de Vienne, la Diète décide de ne pas entrer en matière sur d’ultimes plaintes à cet égard des anciens propriétaires vaudois. Cette question complexe ne se confond que partiellement avec celle de la liquidation des autres droits d’origine féodale comme les cens et dîmes, dont le caractère rachetable n’est plus guère contesté après 1802.

Comme le montre le sous-titre du long chapitre IV (« Les plaintes des possesseurs de droits de lauds dans le canton de Vaud ; le combat de Karl-Rudolf Kirchberger », pp. 23-341), Étienne Hofmann s’intéresse ce faisant aux innombrables démarches de l’aristocrate bernois Karl-Rudolf Kirchberger (1766-1819). La famille de ce dernier détenait jusqu’en 1798 d’importants droits féodaux à La Côte : son père, prénommé aussi Karl-Rudolf (1739-1808), avait été jusqu’à la Révolution baron de Rolle et Mont-le-Vieux et membre de l’administration bernoise (Il a encore joué un petit rôle politique à Berne après 1798 et est connu notamment pour avoir loué en 1804 à Pestalozzi l’ancien couvent à Münchenbuchsee où celui-ci installa brièvement son institut avant de le transférer à Yverdon). Les démarches et pétitions qu’évoque Etienne Hofmann sont souvent signées Kirchberger de Mont, sans qu’il soit d’ailleurs facile de savoir si, avant 1808, il s’agit du père ou du fils. Presque ignoré des historiens contemporains (Rudolf von Fischer, « Karl Rudolf Kirchberger im Pfeffelschen Institut zu Colmar », in Archiv des Historischen Vereins des Kantons Bern, 39, 1947, Festgabe seinem Präsidenten Prof. Dr Richard Feller, pp. 85 et ss, a cependant publié les lettres qu’il a échangées adolescent avec son père et son grand-père pendant un séjour de 1779 à 1882 dans un institut à Colmar). Dans ses réclamations, Karl-Rudolf Kirchberger junior témoignera d’une obstination sans doute pour beaucoup dans les dédommagements que les puissances obligeront finalement le canton de Vaud à verser aux titulaires de lods dépossédés.

Enfin un cinquième chapitre (pp. 3 à 3-467), reprend en détail la question de la liquidation des dettes de la République helvétique et du sort des fonds publics placés hors de Suisse avant 1798. On sait que les gouvernements d’Ancien Régime bernois et zurichois avaient fait d’importants placements financiers notamment en Angleterre, gelés depuis en raison de la guerre en Europe et des changements politiques en Suisse. La brève période sans guerre qui se dessinait au moment de la Consulta (La Grande-Bretagne sera en paix, pour à peine un an, avec la France à partir du traité d’Amiens en mai 1802) permettait d’envisager une récupération effective. En même temps, il fallait régler les nombreuses dettes (arriérés de salaires, fournitures impayées, etc.) du gouvernement central de la République helvétique que l’Acte de Médiation s’apprêtait à dissoudre. Aussi selon celui-ci les prédits fonds étrangers devaient-ils servir d’abord à solder ces dettes, qu’une commission spéciale était chargée d’arrêter (en vérifiant les prétentions annoncées, évidemment parfois fantaisistes ou exagérées) ainsi qu’à verser aux villes capitales des anciens cantons-villes, dont Berne, des « dotations » reconstituant leur capacité financière mise à mal par diverses mesures de la République helvétique. Une fois ces montants acquittés, le surplus des anciens fonds bernois devait être réparti entre les cantons de Berne, d’Argovie et de Vaud. Étienne Hofmann retrace en détail l’activité de la commission précitée, souvent de parti pris en faveur de l’ancienne aristocratie. Il montre aussi que, faute de présentation au remboursement des titres de créance concernés avant la reprise des hostilités en Europe en mai 1803, la récupération effective des créances contre des débiteurs anglais ne put intervenir avant la chute de Napoléon. Le règlement se fit alors sur des bases différentes, imposées par les puissances au congrès de Vienne et prévoyant un retour du capital exclusivement aux cantons de Berne et de Zurich, seuls les intérêts courus étant affectés au règlement du solde restant à payer de la « dette helvétique ».

Rédigé d’une plume allègre, mais avec une grande précision scientifique et un important appareil de notes et d’annexes, l’ouvrage présenté ici enrichit beaucoup nos connaissances s’agissant d’un pan de la vie et la carrière de Monod, mais aussi de nombreuses questions politiques et juridiques relatives aux premières années de Vaud comme canton confédéré. Last but non least, il comprend une riche bibliographie permettant de se retrouver facilement dans les publications concernant cette période, y compris les travaux récents liés aux bicentenaires de 1798, 1803, puis 1813-1815. Depuis qu’Étienne Hofmann a mis son point final, cette bibliographie s’est naturel lement accrue de l’une ou l’autre recherche supplémentaire évoquant d’autres temps de la carrière d’Henri Monod, parmi lesquelles on signalera surtout un mémoire de Lettres lausannois de 2017 (Matthieu Gallay, Révolutionnaires malgré eux ? Henri Monod et Philippe Secretan face aux événements du 24 janvier 1798, dact., sous la direction du professeur Béla Kapossy) et la thèse d’histoire du droit soutenue, en 2017 aussi, par un de nos doctorants (Adrien Bastian, La Chambre administrative du Canton du Léman sous la République helvétique (1798-1803) : une école de gouvernement, à paraître prochainement dans la Bibliothèque historique vaudoise).

Zitierweise:
Denis Tappy: Étienne Hofmann: La mission de Henri Monod à Paris en 1804. Contribution à l’histoire des relations franco-suisses au début de la Médiation, Genève : Slatkine, 2017. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 191-194.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 191-194.

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