G. Poisson: 18 novembre 1663

Cover
Titel
18 novembre 1663. Louis XIV et les cantons suisses


Autor(en)
Poisson, Guillaume
Reihe
Le Savoir Suisse
Erschienen
Lausanne 2016: Presses polytechniques et universitaires romandes
Anzahl Seiten
144 S.
von
Alain-Jacques Tornare

Levons d’abord toute ambiguïté: l’auteur ne traite pas du renouvellement en 1663 de la Paix perpétuelle de 1516, mais de l’alliance perpétuelle, dont nous devrions commémorer en 2021 le 500e anniversaire, si toute confusion est levée avec la Paix perpétuelle qui n’a jamais eu besoin de faire l’objet d’un quelconque renouvellement, à proprement parler. Concrètement, les relations franco-suisses reposent sur un savant système d’alliances que les souverains français prennent un soin tout particulier à renouveler, malgré les obstacles et le mauvais vouloir de certains cantons. Faut-il que la France ait tenu au Corps helvétique pour avaler tant de couleuvres avant de parvenir à ses fins! Le renouvellement de 1663 qui fait l’objet de la présente étude, est considéré comme l’un des plus importants, autant par les moyens et les fastes déployés par la Cour de France, par la «grande ambassade» réunissant les Suisses, qu’en raison des déconvenues et des frustrations engendrées par une pénible négociation, empreinte de chausse-trappes et autres mesquineries. La relecture de cette alliance illustre – aux côtés des capitulations militaires et de l’engagement des soldats suisses auxiliaires – l’importance des relations diplomatiques, politiques et économiques des cantons et de leurs alliés avec la Couronne de France.

L’une de ces «grandes heures» des relations franco-suisses, «le renouvellement de cette alliance est passé très rapidement à la postérité des deux côtés de la frontière et a fait l’objet d’une belle iconographie. Immortalisée et glorifiée par certains, décriée et vilipendée par d’autres, elle n’a jamais pu être abordée sans passions ni heurts depuis plus de 350 ans», peut-on lire sur la quatrième de couverture. C’est que le sujet est dérangeant et montre le poids, la pression énorme exercée par notre grande voisine de l’ouest sur les destinées du Corps helvétique profondément divisé.

Coup sur coup, plusieurs ouvrages ont paru sur cette thématique, à commencer par celui de l’ancien ambassadeur de Suisse en France: Jean-Jacques de Dardel, 1663: Le Renouvellement de l’Alliance avec le Roi de France. Histoire et tapisserie, Genève: Labor et Fides, 2013. En complément également de cet ouvrage, on recommandera celui d’Alexandre Dafflon, Les Ambassadeurs du Roi et Soleure: un «quatorzième canton» sur les bords de l’Aar (XVIe-XVIIIe siècles), Solothurn: Zentralbibliothek, 2014, 111 p.

Ces ouvrages ont en commun de présenter le renouvellement de 1777 comme le dernier alors que l’alliance fut renouvelée une dernière fois le 27 septembre 1803, ce qui montre, une fois de plus combien cette période a été occultée par l’historiographie. Par contre, Guillaume Poisson montre bien l’ancrage de l’alliance de 1663 dans l’histoire des relations franco-suisses, que l’on peut faire remonter au XVe siècle. Formés aux universités du Maine en France et de Lausanne en Suisse, Guillaume Poisson présente ici une belle synthèse de ses recherches menées en vue de l’élaboration d’une thèse de doctorat qui croisent les documents diplomatiques dépouillés dans les deux pays.

Le renouvellement de 1663 ne pouvait pas mieux tomber. En 1651, l’alliance des XIII cantons avec la France arrive à échéance. Les négociations traînent en longueur en raison des contentieux au sujet des soldes restés en souffrance, de l’emploi ou du licenciement des régiments, sans compter les entraves au commerce et les effets de la Guerre des paysans en 1653 et de l’instabilité politique en France. Pour vaincre les réticences des Bernois et des Zurichois, l’ambassadeur Jean de la Barde (1602-1696) – en poste de janvier 1648 à octobre 1663 – doit les menacer de rendre caduque la paix perpétuelle et ses effets bénéfiques sur l’économie. Il parvient enfin à ses fins et le traité proprement dit est enfin conclu à Soleure en septembre 1663. Louis XIV et sa diplomatie parviennent non sans peine à un accord final avec la Confédération. Le 18 novembre 1663, Louis XIV reçoit en grande pompe à Notre-Dame de Paris les délégués suisses et leurs alliés, le bourgmestre de Zurich Jean-Henri Waser en tête. Tout un symbole! La raison l’emporte, mais le cœur n’y est pas. La politique du Roi-Soleil à l’égard de la Suisse consista surtout, dès lors, à prévenir une action dissolvante du particularisme dans ce pays et à maintenir son intégrité, tout en exerçant sur lui une influence prédominante, voire paternaliste. Il espérait ainsi pouvoir s’y assurer, sans partage, une source précieuse de recrutement militaire. Certes la diplomatie française contribue toujours ainsi à la tranquillité intérieure de la turbulente Confédération et au maintien de l’intégrité territoriale du Corps helvétique, mais les choses se sont ensuite gâtées avec un LouisXIV, faisant la conquête de la Franche-Comté et dès lors beaucoup trop entreprenant au goût de la Suisse protestante. Trop ostensiblement favorable aux catholiques, le Roi Soleil, s’attire l’hostilité des cantons protestants – à commencer par Berne – et multiplie les gestes d’intimidation, engageant les régiments suisses comme bon lui semble, faisant notamment construire en 1680 par Vauban, à Huningue, aux portes de Bâle, une imposante forteresse qui tiendra la grande cité rhénane sous le feu de ses batteries jusqu’en 1815. En outre, les ministres du roi et ses ambassadeurs s’efforcent de limiter les privilèges, désormais jugés exorbitants, accordés depuis le XVe siècle au commerce helvétique en France. Même si elle ne participe pas officiellement aux conflits interreligieux de 1656 et de 1712 entre Confédérés catholiques et réformés, la diplomatie française (sur)veille en coulisses et s’attire les foudres de la puissante VilleÉtat de Berne qui s’arrange pour que la principauté de Neuchâtel échappe aux Bourbons et soit dévolue au roi de Prusse en 1707. La paix d’Aarau de 1712 clôt l’ère des guerres civiles dites de religion, inaugurant les temps nouveaux de la Pax Helvetica. Cette paix établit l’égalité des deux religions. La France contribue au maintien de la coexistence, tout en empêchant l’hégémonie protestante, en contractant en 1715 avec sept États catholiques une alliance séparée dont l’article V fait du monarque français un véritable médiateur entre les cantons. Par une convention secrète appelée le Trücklibund, le vieux Louis XIV promet pour lui et ses successeurs «d’employer tous ses offices et toutes ses forces pour induire les parties», à savoir les deux blocs confessionnels, à rétablir le statu quo ante. Les Suisses se figent sur leur position, la Confédération tombe en léthargie, entre dans la catégorie hors d’âge et n’est plus partie prenante aux traités internationaux. Au fur et à mesure que le Corps helvétique exhibe son incapacité à surmonter par lui-même ses problèmes, la France exerce un protectorat de plus en plus évident, visible et pesant qui empêche aussi bien sa dislocation que son renforcement. À ce titre, étudier de près et à froid, le renouvellement de l’alliance de 1663 permet d’ouvrir une boîte de Pandore: celle de l’inféodation à géométrie variable et si longtemps occultée des Suisses à la France. Ce genre d’ouvrage en permet une nouvelle lecture tout en ouvrant le champ à de nouvelles perspectives de recherches.

Zitierweise:
Alain-Jacques Tornare: Guillaume POISSON: 18 novembre 1663. Louis XIV et les cantons suisses, Lausanne: PPUR, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 246-247.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 246-247.

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