Taline Garibian : 75 ans de pédopsychiatrie à Lausanne

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Title
75 ans de pédopsychiatrie à Lausanne : du Bercail au Centre psychothérapeutique. Du Bercail au Centre psychothérapeutique


Author(s)
Garibian, Taline
Published
Lausanne 2015: Éditions BHMS
Extent
129 S.
by
Corinne Dallera

Publié dans le cadre du 75e anniversaire de la première institution psychiatrique destinée aux enfants du canton de Vaud ayant ouvert ses portes en 1938, le Bercail qui deviendra le Centre psychothérapeutique, l’ouvrage de Taline Garibian porte sur le développement de la pédopsychiatrie à Lausanne de ses premiers pas jusqu’à nos jours. Il s’intéresse plus particulièrement aux liens entre les sphères pénale, éducative et médicale ayant concouru à l’émergence et au développement de cette discipline.

Les deux premières parties de l’ouvrage situent les débuts de la pédopsychiatrie et les premières années du Bercail dans le cadre de la médicalisation des domaines de l’éducation et de la protection de l’enfance. L’auteure montre notamment comment le rapprochement entre sphères pénale et médicale autour de la prévention et du traitement de la délinquance juvénile contribue au développement de la pédopsychiatrie comme nouveau domaine d’expertise et à l’émergence d’institution comme le Bercail et l’Office médico-pédagogique vaudois (OMPV) créé en 1942. Le processus de professionnalisation de cette discipline n’est toutefois pas dénué d’ambiguïté. Comme le montre Taline Garibian, si les médecins, les magistrats et une partie des milieux politiques se font les promoteurs de l’utilisation des expertises pédopsychiatriques, l’avis de celles et ceux en charge de leur application est plus circonspect quant à son utilité. Mais surtout, si les pratiques éducatives novatrices mises en place au sein du Bercail et de l’OMPV sont une remise en question du modèle asilaire, le dispositif vaudois de protection/répression des enfants «en difficulté» témoigne du lien existant aux yeux de ses promoteurs entre délinquance, hygiène mentale et éducation. Comme le résume Taline Garibian, «la délinquance est un indicateur de moralité et de santé mentale des familles. Aussi, le caractère éminemment normatif des institutions dans lesquelles se développe la pédopsychiatrie ne doit pas être minimisé» (p. 54). Ce qui aura pour corollaire un nombre important de placements d’enfants en institution ou famille d’accueil.

Au cours des années soixante, le dispositif mis en place autour des enfants dits «inadaptés» se transforme considérablement. Cette reconfiguration est très finement décrite et analysée dans la troisième partie qui met en lumière comment «l’emprise du social s’intensifie […], en même temps que les liens avec la sphère pénale se distendent, ou du moins s’atténuent » (p. 55). Dès le milieu des années cinquante, la subordination au Département de justice et police de certains services dédiés à l’enfance «en difficulté» est remise en cause et un nouveau Service de l’enfance centralisé au sein du Département de l’intérieur est créé. Parallèlement, dans le contexte du développement de l’État social, les besoins en personnel augmentent et les éducateurs et éducatrices ainsi que les assistantes et assistants sociaux qui disposent dorénavant d’une formation spécialisée sont amenés à occuper une place de plus en plus centrale dans les institutions. Cette évolution va de pair avec une augmentation du nombre de consultations, notamment en raison des demandes des familles elles-mêmes et qui correspond à un changement de l’image du travail médico-psychiatrique au sein de la population et plus particulièrement au sein des classes moyennes. Le regard porté par les promoteurs de la pédopsychiatrie sur les familles se modifie également au fur et à mesure que le profil socio-économique des enfants pris en charge change. Les parents ne sont plus vus uniquement comme un facteur pathogène, mais également comme des interlocuteurs. La constitution d’un Centre psychothérapeutique constitué du Bercail et d’un hôpital de jour, ouvert en 1970 sur le même site, témoigne de ce changement de paradigme très bien décrit par l’auteure. Le Centre psychothérapeutique se veut une innovation tant thérapeutique que scientifique, le fait de travailler avec les parents étant considéré comme une alternative au placement de l’enfant hors de son cadre familial. Reste que comme le met en évidence Taline Garibian, le rôle central accordé à la famille repose sur des conceptions traditionnelles de celle-ci : le lien entre la mère et l’enfant constitue une préoccupation centrale des partisans de la pédopsychiatrie et les enfants «carencés» sont perçus comme des candidats potentiels à la prison ou à la prostitution. «En bref les structures familiales conventionnelles constituent aux yeux du psychiatre, le rempart le plus efficace contre le développement de pathologies mentales chez les enfants » (p. 80). Dès lors tant les placements que l’émancipation des femmes sont mal perçus.

La dernière partie s’intéresse au rapprochement de la pédopsychiatrie avec la pédiatre et plus géné ralement avec le domaine hospitalier, une réorientation marquée par l’ouverture en 1985 d’une troisième entité: l’Unité de pédopsychiatrie de liaison. Pour l’auteure, ce mouvement s’inscrit dans une dynamique plus générale caractérisée par une concurrence croissante entre les sphères psychosociale et psychiatrique. Dans un contexte de restriction budgétaire, la multiplication des structures pousse chacun à faire valoir sa spécialité et la pédopsychiatrie, qui s’inscrit pourtant dans le courant psychanalytique, se tourne vers la pédiatrie et la neuropédiatrie, même si cette alliance avec des disciplines ancrées dans des paradigmes biologiques ne va pas de soi.

La recherche historique menée par Taline Garibian, qui s’appuie très largement sur le discours des médecins, ainsi que des autorités, offre une analyse institutionnelle très intéressante du développement de la pédopsychiatrie à Lausanne à partir de son imbrication dans les services médicaux, sociaux et éducatifs de l’État. Mais comme le relève l’auteure, «les archives médicales et administratives en disent plus long sur la médecine que sur les malades» (p. XIX) et on souhaiterait en savoir plus sur le point de vue des enfants, de leur famille, ainsi que du personnel éducatif. Dans cette perspective, on ne peut que souhaiter une poursuite de cette recherche.

Zitierweise:
Corinne Dallera: Taline Garibian : 75 ans de pédopsychiatrie à Lausanne : du Bercail au Centre psychothérapeutique, Lausanne: BHMS, 2015. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 297-299.

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Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 297-299.

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