A. Fontaine: Aux heures suisses de l'école républicaine

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Titel
Aux heures suisses de l'école républicaine. Un siècle de transferts culturels et de déclinaisons pédagogiques dans l'espace franco-romand


Autor(en)
Fontaine, Alexandre
Erschienen
Paris 2015: Demopolis
Anzahl Seiten
314 S.
Preis
€ 24,30
URL
von
Sylviane Tinembart

Oser le pari de rendre visibles les transferts culturels liés à la pédagogie entre la Romandie et la France du Second Empire et de la Troisième République était un pari ambitieux. L’historien Alexandre Fontaine l’a relevé et retrace avec minutie les entrelacs qui ont marqué de leurs empreintes les espaces pédagogiques romands et français à l’aube du XXe siècle.

Son ouvrage récompensé par le Prix Louis Cros prolonge sa thèse défendue à Fribourg en 2013 et codirigée par Michel Espagne et Volker Reinhardt. Dès l’introduction, l’auteur considère la pédagogie comme un transfert culturel et propose de repenser la standardisation et l’acculturation des savoirs scolaires tout en décloisonnant les espaces pédagogiques et en rendant visibles les connexions entre divers acteurs. Il met donc en évidence certains processus tels que la resémentisation, la réinterprétation ou la circulation des savoirs scolaires et pédagogiques, les collaborations liées à la rédaction de revues et à la conception d’ouvrages scolaires. Cette mise en visibilité a demandé d’une part une contextualisation détaillée et d’autre part l’adoption d’une démarche prosopographique pour animer les acteurs, éclairer la trame de leurs interactions et des réseaux franco-suisses. Fontaine a ainsi entrepris une recherche archivistique fouillée et rigoureuse autant dans les fonds publics que dans les fonds privés. La richesse des sources permet au lecteur soit d’adopter diverses focales pour percevoir les transferts culturels avérés soit de porter un regard plus systémique. Ainsi, il peut se centrer sur certains acteurs et leurs relations qu’elles soient privées ou professionnelles ou prendre du recul et observer leur «biotope» en scrutant les influences réciproques qui participent aux processus sousjacents à tout transfert culturel.

L’élève du Père Girard de Fribourg, l’historien, littérateur et pédagogue romand Alexandre Daguet (1816-1894) connu notamment pour la publication de son Histoire de la Confédération suisse (1861–7rééditions) et ses très nombreuses contributions dans la revue l’Éducateur sert de fil conducteur lors de la découverte des trois parties de l’ouvrage. Les multiples facettes de ce Fribourgeois d’origine et Neuchâtelois d’adoption ainsi que les nombreux contacts qu’il entretient en Suisse et en Europe tel qu’ils sont retracés dans l’ouvrage concrétisent les potentielles tensions et connivences animant la multitude de personnages en présence.

Le but de la première partie est de relier les espaces pédagogiques. Elle s’ouvre sur la tentative avortée de Marc-Antoine Jullien (1775-1848) de transférer «des méthodes et des procédés jugés comme les meilleurs en Suisse vers la France» (p. 31). Celle-ci sert d’appui pour démontrer que tout transfert éducationnel comporte deux invariants: «le poids de la culture locale/régionale/nationale sur l’objet emprunté et surtout l’inévitable retraduction qui accompagne l’objet lors de son passage d’un contexte culturel à l’autre » (p. 31). Après avoir rappelé l’importance des réseaux philanthropiques au XVIIIe siècle, l’auteur retrace la propagation de l’ensei gnement mutuel entre Madras, l’Angleterre, la France et la Suisse où le Père Girard en proposa une version efficiente attirant ainsi bon nombre de visiteurs étrangers à Fribourg. L’auteur conclut en mettant en exergue les «racines germaniques de l’éclectisme pédagogique francophone» (p. 44) démontrant ainsi qu’il serait réducteur de considérer l’espace franco-romand comme imperméable; pour autant Fontaine postule que «la Romandie a joué pour la France le rôle de ‹sas de décontamination› des idées allemandes dans le sens qu’il s’avérait plus aisé de puiser des savoirs pédagogiques en Suisse que chez l’ennemi allemand» (pp. 149-150). Puis Daguet entre en scène et présente au travers de sa riche correspondance et ses rencontres, les républicains français exilés en Suisse après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Circulations des idées, débats pédagogiques, controverses éducatives animent ces passeurs-médiateurs que sont entre autres Barni (1818-1878), Quinet (1803-1875), Buisson (1841-1932), etc.

La deuxième partie se centre sur les savoirs scolaires, leur propagation, leur métissage et leur internationalisation. Elle met en évidence l’effervescence pédagogique et les synergies qui agitent alors le monde éducatif : création d’associations, de réseaux ou projets d’ouvrages. Buisson joue un rôle central dans cette dynamique de même que le Suisse James Guillaume (1844-1916), son bras droit dans l’élaboration de son Dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire. La presse pédagogique offre aussi un lieu d’expression et de diffusion privilégié pour véhiculer la «pédagogie libérale-nationale – essentiellement anticléricale» (p. 121) qui a cours en Europe. L’Éducateur en relayant et traduisant certains articles permet ainsi d’observer les trajectoires transnationales des savoirs pédagogiques dans l’espace occidental.

La troisième partie questionne «les disciplines et les savoirs dont les éducateurs français ont privilégié le transfert» (p. 173). L’auteur exemplifie son propos en démontrant notamment comment le Cours de langue maternelle du Père Girard est resémentisé pour sa diffusion en France ou encore quels ont été les emprunts effectués en éducation morale, éducation musicale ou éducation physique. Puis, son attention se porte sur les bataillons scolaires et leurs liens avec les cadets suisses ainsi que sur le développement des colonies de vacances. Il termine en démontrant que tout emprunt ne va pas de soi et que «le recours aux nettoyages (qui) permettent, lors du processus de transfert, de relativiser ou de se défaire d’une origine de l’emprunt parfois bien encombrante. » (p. 209)

L’auteur conclut l’ouvrage par une réflexion sur le concept de modèle et encourage l’historien de l’éducation à penser l’acte comparatiste comme une démarche compréhensive de l’altérité.

Ce travail démontre avec maestria qu’au XIXe siècle, les méthodes pédagogiques n’ont pas été pensées au seul niveau national, mais que des transferts culturels multiples les réinterprètent en les rendant signifiants pour les acteurs locaux (nous pourrions du reste faire le même constat aujourd’hui). Finalement, nous constatons que le but suprême de tous ces acteurs de l’éducation était d’améliorer les pratiques éducatives. L’auteur estime enfin que les sciences de l’éducation ont en conséquence de nouveaux paris à relever: «[…] de ne pas se satisfaire d’une réalité compartimentée […] et retracer les multiples resémentisations des idées et des savoirs scolaires […], de résister […] à la tentation du cloisonnage culturel. » (p. 221)

Zitierweise:
Sylviane Tinembart: Alexandre FONTAINE : Aux heures suisses de l’école républicaine. Un siècle de transferts cultu rels et de déclinaisons pédagogiques dans l’espace franco-romand, Paris: Demopolis, 2015. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 291-292.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 291-292.

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