P. Delbouille: Benjamin Constant (1767-1830)

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Titel
Benjamin Constant (1767-1830). Les égarements du coeur et les chemins de la pensée


Autor(en)
Delbouille, Paul
Erschienen
Genève 2015: Editions Slatkine
Anzahl Seiten
743 S.
von
Olivier Meuwly

Depuis plus de vingt ans, la vie de Benjamin Constant n’a avait plus suscité d’écrit à vocation biographique. Autant dire que le Benjamin Constant de Paul Delbouille, professeur honoraire de littérature française à l’Université de Liège et président du comité d’édition des OEuvres complètes de l’illustre Lausannois né en 1767 était attendu!

Publié sous l’égide des Éditions Slatkine dans une série pilotée par l’Institut Benjamin Constant de l’Université de Lausanne, le livre plonge le lecteur dans la vie mouvementée du célèbre libéral, privilégiant, du moins dans sa première moitié, la vie privée de Benjamin, homme à femmes et grand joueur, mais un homme d’esprit qui laissera Germaine de Staël dévastée lorsqu’il préférera convoler avec la plus calme Charlotte von Hardenberg. C’est ainsi en suivant pas à pas la vie de Constant, à travers ses carnets intimes et sa correspondance, que nous observons les péripéties d’une existence où les plaisirs de la vie le disputent aux joies de l’intelligence et de l’écriture. Benjamin nous apparaît ainsi dans son humanité, dans ses contradictions, et Dieu sait qu’elles furent nombreuses, mais aussi dans son travail d’écrivain, moteur et exutoire d’une vie pleine de soucis, féminins ou d’argent, qui le harcelèrent si souvent. Son oeuvre romanesque s’inspire-t-elle de sa vie personnelle? Paul Delbouille reprend le dossier, de même qu’il réexamine depuis son promontoire des OEuvres complètes les controverses attisées par un Benjamin parfois si baroque. Magnifique mise au point précieuse pour tous ceux qui entendent s’atteler à une oeuvre protéiforme, mais fondamentale pour sur la compréhension du libéralisme.

Le parti pris de l’auteur peut néanmoins surprendre. Dans le voyage presque «au jour le jour» qu’il propose au lecteur, mais soucieux de s’en tenir aux faits avérés d’une existence encore recouverte de certaines zones d’ombre, l’auteur manque cependant d’offrir une vue d’ensemble de la vie de son héros. Il oppose une fresque impressionnante, mais aussi impressionniste se diffractant en une foule d’éléments biographiques qu’il n’est pas toujours aisé de relier et de saisir dans leur dynamique. Cette juxtaposition d’informations, si elle témoigne de l’ample connaissance que possède l’auteur du personnage et de son oeuvre, dévoile en creux seulement l’entrecroisement permanent des différentes strates, sentimentale, littéraire, philosophique ou politique, formant la trame de cette trajectoire biographique extraordinaire. Car, chez Constant, ces différents niveaux s’entremêlent. Le livre de Paul Delbouille n’est pas une biographie intellectuelle, mais une confrontation plus serrée des multiples vies de l’objet de son étude aurait mieux fait ressortir le génie politique d’un homme, certes fait de chair et de sentiments, mais qui fut aussi un homme d’action à la parole envoûtante, comme le montrent les nombreuses affaires dans lesquelles il fut impliqué et que l’auteur explore attentivement.

La méthode choisie possède cependant d’indiscutables avantages. Elle autorise ainsi une visite détaillée d’une vie qui ne résume pas à un aller-retour obsessionnel entre l’écriture et cette passion lumineuse et mortifère pour la volcanique Germaine. Le lecteur accompagne Benjamin à la rencontre de ses affaires familiales, souvent complexes, ou de son fort étendu réseau épistolaire. Constant n’est-il pas devenu un expert en matières juridiques par la défense des intérêts de son père, empêtré dans d’inextricables conflits financiers, qu’il a conduite lui-même, comme le suggère avec pertinence l’auteur? Constant aurait-il pu s’imposer comme un analyste de l’État sans cette expérience concrète? Mais si le récit de Paul Delbouille avait gagné en «épaisseur» par une mise en perspective plus large du cours syncopé d’une vie hors du commun, il suggère aussi une foule de pistes de réflexion qu’un suivi moins scrupuleux de l’aventure constantienne aurait peut-être occulté.

Grâce à sa correspondance avec sa cousine Rosalie de Constant, il est ainsi possible de revenir à nouveaux frais sur les relations qu’a entretenues Benjamin avec son pays et son canton d’origine. Les historiens ont longtemps disserté sur l’impact réel de la pensée constantienne sur la Suisse. On sait que La Harpe n’éprouva longtemps guère d’amitié pour son compatriote et Germaine de Staël. Mais on ne peut rester figé sur cette image négative. D’ailleurs l’ancien précepteur du tsar intercédera en faveur du Lausannois de naissance auprès de son maître à propos d’une décoration qui lui avait été promise. Mais Constant cherchera aussi à obtenir une place et comptera sur La Harpe pour l’y aider. On ne sait dans quelle mesure le secrétaire du tsar se démènera pour lui, mais l’affaire ne se conclura pas. Nous avons essayé d’apporter notre contribution à ce débat sur l’influence de Constant sur la Suisse en montrant qu’à travers Frédéric-César de La Harpe, le libéralisme constantien a trouvé un porte-voix enthousiaste et affûté sur les bords du Léman. Par les commentaires dont La Harpe parsème son exemplaire des Principes de politique, mais aussi par ses lettres au tsar où il salue le combat de Constant pour la liberté de la presse, on identifie de fascinantes filiations intellectuelles qui éclairent les sources du libéralisme suisse.

Mais, au détour de l’enquête menée par Paul Delbouille, on constate également que Benjamin n’a jamais perdu de vue ni son canton ni son pays d’origine. S’il reconnaît que la révolution vaudoise ne lui paraissait pas indispensable, il s’insurge, saisi «d’un vif sentiment de surprise et de mécontentement », comme il l’écrit à Rosalie, quand il apprend les prétentions bernoises au lendemain de la chute de Napoléon. En revanche, il ne ménage pas ses critiques envers la Suisse, qui a «rampé» devant les puissants affidés de Napoléon qu’elle s’évertue, dès 1816, à chasser comme des malpropres, alors que le vent de l’histoire a tourné. Rosalie tentera de ramener son cousin à de meilleures impressions. Le livre de Paul Delbouille recevra une place de choix dans les bibliothèques des lecteurs de Benjamin Constant et ce n’est que justice: on peut savoir gré à l’auteur de nous avoir livré une foule d’éclairages nouveaux sur la vie de l’éminent Vaudois!

Zitierweise:
Olivier Meuwly: Paul DELBOUILLE: Benjamin Constant (1767-1830). Les égarements du coeur et les chemins de la pensée, Genève: Slatkine, 2015. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 285-286.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 285-286.

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