S. André u.a. : Y en a point comme nous: Un portrait des Vaudois aujourd’hui

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Titel
Y en a point comme nous. Un portrait des Vaudois aujourd’hui


Autor(en)
André, Séverine; Flutsch, Laurent
Erschienen
Gollion 2015: Infolio
Anzahl Seiten
367 S.
von
Monique Fontannaz

Vaste problématique sur laquelle on s’interroge depuis près de deux siècles, l’identité vaudoise vient de faire l’objet d’une nouvelle tentative de définition à l’occasion de l’exposition du Musée romain de Vidy: Y en a point comme nous. Cette réactualisation repose essentiellement sur la base d’entretiens sollicités auprès de trente personnalités impliquées dans la vie locale, de milieux et d’âge très divers, qu’elles soient vaudoises ou extérieures au Canton. Cette démarche, volontairement limitée et subjective, a ceci d’original qu’elle laisse la place à des témoignages plus concrets, plus sensibles et plus développés qu’un questionnaire standard diffusé à large échelle.

L’auteure principale, Séverine André, débute par un utile rappel des publications les plus importantes qui ont vu le jour depuis le fameux ouvrage rédigé par Juste Olivier en 1837, peu d’années après la création du nouveau canton. Ce survol met en évidence l’évolution des approches au fil du temps. Les écrits publiés lors du centenaire de 1903 sont dominés par un élan patriotique et par des exhortations à sauvegarder l’indépendance chèrement acquise. Dans la première moitié du XXe siècle, des oeuvres littéraires de grande qualité, comme celles de Ramuz et de Gilles, ont fortement contribué à forger l’image classique du Vaudois. Dans le cadre de la grande entreprise de l’Encyclopédie vaudoise parue entre 1970 et 1987, les deux volumes traitant du sujet, dus à l’ethnologue bâlois Paul Hugger, tentent de dresser un tableau objectif de l’identité vaudoise à cette époque sur la base de questionnaires soumis à 400 personnes. Le numéro de la Revue historique vaudoise de 2003 met quant à lui cette question à l’épreuve des dernières recherches historiques et archéologiques. Il en ressort que rien ou presque ne permet d’affirmer scientifiquement et de manière cohérente l’existence d’un caractère vaudois particulier façonné par les siècles.

Et pourtant la représentation traditionnelle du Vaudois a toujours cours en 2016, malgré la modernisation de la société et le métissage de la population… C’est le principal étonnement suscité par cette nouvelle enquête. Sans prétendre en tirer des conclusions, celle-ci met à disposition une riche matière à réflexion, qui permettra peut-être de voir évoluer l’image – plus ou moins fantasmée – des Vaudois en ce début du XXIe siècle.

Tout en présentant une habile synthèse des propos des personnes interrogées, l’auteure soulève de nombreuses interrogations. Cette image est-elle un stéréotype de plus en plus vide de sens exploité à des fins commerciales? Est-elle une pure construction de l’esprit s’apparentant aux mythes fondateurs des nations? De quoi se nourrit-elle encore aujourd’hui ? Du paysage, de la géologie à forte dominance molassique, du vignoble, du mode de vie, de la conscience historique? Comment comprendre que cette image traditionnelle – fragmentée en diverses facettes – subsiste chez de nombreux acteurs de la vie publique dont le quotidien est fait d’une réalité bien différente? Cette coexistence peut susciter l’émerveillement (comme chez le dédicataire de l’exposition, Gilbert Kaenel) ou le conflit intérieur. Quoi qu’il en soit, elle manifeste un indéniable sentiment d’appartenance chez la plupart des personnes interrogées. Comment expliquer cette survivance également au niveau de la société, dans un canton reconnu comme un des plus ouverts de Suisse?

Une difficulté supplémentaire réside dans le fait que la «vaudoisitude» (conformation mentale particulière du Vaudois) ne se laisse pas facilement mettre en mots, du moins sur le mode affirmatif. Pour rester prudent , on pourrait la résumer en disant qu’elle «ne désigne que rarement la rapidité, l’arrogance ou l’explosivité »… Pour préciser le trait, la comparaison avec les autres cantons romands se révèle utile. Le Vaudois ne manque pas d’adjectifs pour se positionner – presque toujours par le «moins» – par rapport à ses voisins. Citons au hasard: moins prétentieux, moins conflictuel que le Genevois, moins grégaire que le Valaisan, moins industrieux que le Neuchâtelois, moins rebelle que le Jurassien. Même si elles se définissent souvent par la négative, ces caractéristiques peuvent aussi se voir de manière positive, le rejet viscéral du conflit, par exemple, débouchant sur une grande aptitude à trouver des compromis constructifs. Les tentatives de description font appel à des notions très intuitives, subtiles ou même apparemment paradoxales, le Vaudois type alliant modestie et fierté, lourdeur et finesse, conformisme et tolérance, mollesse et obstination. En fin de compte, c’est peut-être justement ce côté insaisissable, non catégorique, «ménageant toujours de la place pour l’autre», qui a permis à cette identité de se maintenir tout en s’adaptant aux changements.

Se pose, pour terminer la première partie de l’ouvrage, la question de la transmission de l’identité vaudoise, notamment face au «spectre de la mondialisation». Plutôt que de procéder à une muséification des traditions locales, mieux vaut, semble-t-il, faire confiance à ce que l’on pourrait nommer, faute de mieux, la «pâte vaudoise», «recette ancestrale faite de résistance passive, de bonhommie et d’un fatalisme bienvenu».

Après un résumé de l’entretien avec chaque personnalité, la deuxième partie de l’ouvrage aborde la manière de parler des Vaudois. Elle s’ouvre par un morceau de bravoure dû à la plume de Laurent Flutsch qui analyse avec toute l’acuité, la rigueur et l’exhaustivité d’une démarche scientifique – et s’appuyant sur d’autres locutions apparentées – l’une des expressions les plus caractéristiques de la mentalité vaudoise: «On a eu été plus mal. » Suit, plus sérieusement, une bonne introduction sur l’origine et les diverses composantes du «parler vaudois» par Bernadette Gross. La liste de mots ou d’expressions qui l’accompagne offre sur 25 pages une vaste palette de mots patois (en partie encore en usage), d’archaïsmes ou de mots français ayant une signification particulière dans le canton.

La dernière partie de l’ouvrage rend compte de l’exposition proprement dite, émaillée de toute sorte de facéties. Le professionnalisme et l’approche critique scientifique se mettent ici au service de l’humour et de la convivialité, dans une joyeuse et modeste [auto]dérision.

Zitierweise:
Monique Fontannaz: Séverine ANDRÉ, Laurent FLUTSCH, avec une contribution de Bernadette Gross, Y en a point comme nous: Un portrait des Vaudois aujourd’hui, Gollion: Infolio, 2015. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 278-279.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 278-279.

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