C. Humair: La Suisse et les puissances européennes

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Title
La Suisse et les puissances européennes. Aux sources de l'indépendance (1813-1857)


Author(s)
Humair, Cédric
Published
Neuchâtel 2018: Éditions Alphil
Extent
140 S.
by
Gérard Duc

L’analyse de Cédric Humair sur l’indépendance de la Suisse tombe à point nommé, au moment où notre pays hésite à s’engager plus en avant dans ses rapports avec l’Union européenne (accord-cadre institutionnel) et alors que la question de l’indépendance nationale ne quitte guère le devant de la scène.

L’historien lausannois situe les origines de l’indépendance de la Suisse durant la période qui tend de 1813 à 1857. Elle va de la période où les monarchies victorieuses de Napoléon Ier décident du sort de cantons plus divisés que jamais, au moment où la Suisse parvient à imposer, par le traité de 1857, la suppression du double statut de Neuchâtel – alors canton suisse et principauté prussienne –, non seulement au roi de Prusse, mais également aux puissances garantes du système issu du Congrès de Vienne. À ce cadre chronologique novateur, Humair adjoint un autre élément méthodologique original qui est celui de traiter le point de vue britannique sur le maintien de l’indépendance helvétique. Les interventions anglaises visant à garantir la stabilité, l’indépendance et la neutralité de la Suisse – en fonction bien évidemment des intérêts de la Couronne britannique – s’avèrent être au final un fil rouge particulièrement judicieux. Alors que les autres puissances de la Quintuple Alliance menacent à plusieurs reprises la Suisse d’une intervention armée lorsque elle fait preuve de trop d’indépendance à leur goût, la Grande-Bretagne y met régulièrement son veto, par son action diplomatique. En outre, les Anglais jouent habilement des dissensions entres les monarchies quant à la politique à mener face à la Suisse. Spécialiste d’histoire économique, auteur d’une thèse qui a mis la focale sur la politique commerciale de l’État fédéral au XIXe siècle, Humair ne tombe pas pour autant dans le piège d’une domination de l’économique sur le politique.

Les quatre parties de l’ouvrage témoignent de ce subtil équilibre. La première couvre la période de 1813 à 1830. Elle met plus particulièrement en évidence le jeu de la diplomatie britannique en vue de garantir l’indépendance de la Suisse, État tampon entre les grandes monarchies continentales. Pour la Grande-Bretagne, les enjeux sont multiples: garantir l’adoption par les cantons d’un nouveau Pacte fédéral en lieu et place de l’Acte de Médiation; manoeuvrer afin de sortir le pays de l’orbite exclusive de la France; empêcher toute ingérence armée d’une des grandes puissances visant à mettre un terme au refuge libéral en Suisse à l’aube des révolutions de 1830.

Dans la deuxième partie, dont les bornes chronologiques s’étendent de 1813 à 1848, Humair aborde les relations commerciales de la Suisse. Son analyse consiste à démontrer les capacités des secteurs économiques du pays à diminuer d’abord leur dépendance envers les marchés continentaux, à éviter ensuite un rattachement à l’union douanière allemande (Zollverein). La voie de l’indépendance passe notamment par une conquête de nouveaux marchés outre-mer, américains notamment. Vers le milieu des années 1840, on estime qu’entre 44 et 48% des exportations suisses sont destinées aux Amériques. Humair insiste sur le rôle central joué par la Grande-Bretagne dans l’affirmation de la «perspective atlantique» de l’économie helvétique: dès 1817, un consulat suisse est ouvert à Londres; des banquiers et des marchands suisses sont installés en Grande-Bretagne. Cité par Humair, la déclaration du président de la Diète, Ulrich Ochenbein, dans un discours de 1847 est à ce sujet particulièrement éclairante: «Sur l’ensemble du globe terrestre, aussi loin que la ténacité des audacieux Britanniques a pris pied ferme, le Suisse libre se trouve à ses côtés comme fidèle compagnon afin de trouver un débouché pour les produits issus de l’art et de la diligence de sa patrie.» (p. 57). En filigrane apparaît également la nécessité de réformer le Pacte fédéral de 1815 afin de donner plus de poids à la Confédération dans les grandes orientations de la politique commerciale.

La troisième partie retrace le mouvement vers la Constitution de 1848. L’auteur met en évidence le rôle ambivalent de la diplomatie britannique, freinant les velléités helvétiques de révision du Pacte fédéral durant les années 1830, craignant une guerre civile entre cantons libéraux et cantons conservateurs, ce qui ne manquerait pas d’entraîner l’intervention armée des monarchies continentales. Cette position ne fait que repousser le problème de l’adaptation du cadre politique et, face à la montée des idées libérales et nationalistes, face également aux nouvelles nécessités issues de l’industrialisation du pays, les tensions entre libéraux et conservateurs finissent par déboucher en 1847 sur un conflit armé.

La quatrième partie de l’ouvrage couvre la période de 1849 à la résolution de l’affaire de Neuchâtel. À cette date, la Confédération paraît avoir atteint l’apogée de son indépendance par rapport aux grandes monarchies européennes: non seulement les diplomates suisses parviennent à mettre un terme à la double appartenance de Neuchâtel, mais, au milieu des années 1850, l’économie suisse ne dépend plus exclusivement des économies française et autrichienne. Pour Humair, il s’agit là de «l’apogée de la perspective atlantique» que la guerre de Sécession (1861–1865) et sa flambée de protectionnisme viendra interrompre.

Au final, ce petit essai érudit – et l’excursus proposé par l’auteur est là pour en témoigner – a ceci de remarquable qu’il replace l’histoire et l’historien au centre du débat socio-politique actuel sur l’indépendance de la Suisse, tout en apportant une précieuse réflexion sur la manière dont la Suisse et son économie se sont adaptées, au fil des décennies, à un contexte politique mondial mouvant.

Zitierweise:
Gérard Duc: Cédric Humair: La Suisse et les puissances européennes. Aux sources de l’indépendance (1813–1857), Neuchâtel: Livreo-Alphil, 2018. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 1, 2019, S. 184-186.

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Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 1, 2019, S. 184-186.

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