P.-P. Bänziger u.a. (Hrsg.): Sexuelle Revolution?

Cover
Titel
Sexuelle Revolution?. Sexualitätsgeschichte im deutschsprachigen Raum seit den 1960er-Jahren


Herausgeber
Bänziger, Peter-Paul; Beljan, Magdalena; Eder, Franz X.; Eitler, Pascal
Reihe
1800|2000. Kulturgeschichte der Moderne 9
Erschienen
Bielefeld 2015: Transcript – Verlag für Kommunikation, Kultur und soziale Praxis
Anzahl Seiten
373 S.
Preis
€ 29,99
URL
von
Delessert Thierry

Cet ouvrage propose une quinzaine de contributions débattant la notion de «révolution sexuelle» dans la sphère germanophone. Les chapitres le composant sont développés sous trois problématiques: les visibilités des sexualités, leurs politisations et leurs normalisations. Ces thèmes sont abordés comme des productions culturelles, ce qui confère une grande originalité d’approche. Les coéditeur·trice·s marquent dans l’introduction leur volonté de dépasser l’idée d’une évolution linéaire de la libération sexuelle. Comme le relève Dagmar Herzog dans l’article de conclusion, la révolution sexuelle est pétrie d’ambivalences en Europe de l’Ouest. Insérée dans des progrès médico-techniques du début des années 1960, à l’exemple de la pilule contraceptive, la sexualité est proclamée «libre» et «révolutionnaire» au cours des années 1970. Libre de la contingence de la procréation pour les femmes. Dans le même temps, intégrée dans une culture consumériste. Révolutionnaire et parachevant les mouvements de contestation de l’autoritarisme par la proclamation publique de l’intime. Toutefois, les corps sexués sont normalisés par de nouvelles règles de droit et les mouvements contestataires deviennent plus ou moins institutionnalisés par les appareils étatiques.

Une ambivalence analytique provient du fait que les termes de libération et de révolution sexuelles ont été proclamés par les mouvements sociaux eux-mêmes. Chacun a défini sa propre «année zéro». Ces acteurs et actrices sont-ils et elles pour autant en rupture avec leur passé et leur histoire nationale? La libéralisation des sexualités est-elle le résultat d’un progrès de la part d’un Occident «éclairé» par des idéaux démocratiques ou l’effet de théories révolutionnaires portées par une «Nouvelle gauche» estudiantine antifasciste? En raison des fortes influences germaniques sur les constructions médicolégales et socio-politiques des sexualités en Suisse, ce livre revêt un intérêt majeur pour les historien·ne·s travaillant sur ces thématiques. Cette recension reprend certaines études en apportant des explications sur des spécificités allemandes quand nécessaire. L’angle culturel au sens large peut en outre contribuer à enrichir le champ des recherches historiographiques sur le genre dans l’espace francophone.

Les visibilités des sexualités sont étudiées sous le prisme des productions érotiques qui remettent en cause une stricte opposition entre «nature» et «contre-nature». Comme le relève Elisabeth Heineman, l’appareil judiciaire des années 1950–1960 est composé de juges ayant eu une carrière sous le régime nazi. Leurs procès sur les objets et actes licencieux maintiennent des interprétations nazies. Pourtant, l’augmentation des ventes par correspondance d’objets sexuels destinés aux hétérosexuel·le·s prouve que le nonnaturel n’est pas perçu comme tel par les consommateur·trice·s ouest-allemand·e·s. Ceuxci sont des préservatifs, des godemichés, des anneaux péniens, des vibromasseurs ou encore des livres. Ils se situent dans la continuité d’une érotisation inscrite dans le cosmopolitisme weimarien. Néanmoins, il se maintient toujours une opposition entre les produits destinés aux femmes, érotisés comme naturels, et aux hommes conçus comme plus déviants. La nudité et ses représentations photographiques s’inscrivent dans une seconde continuité d’avant 1933. Le livre d’éducation sexuelle analysé par Christin Sager, Zeig Mal! (Regarde donc!), montre que les photographies minimisent les différences entre les corps juvéniles féminins et masculins. Les textes accompagnateurs continuent toutefois de valoriser les rôles de la petite famille bourgeoise héritée du XIXe siècle. Au cours des années 1980, ce manuel est considéré comme pédopornographique car il a été plébiscité par les milieux pro-pédophilie.

La «pédophilie» est un objet difficile à appréhender dans l’espace historiographique francophone. Elle est le plus souvent réduite à l’homosexualité masculine sans définir la maturité sexuelle ou non de l’enfant. Dans la troisième partie consacrée aux normalisations des sexualités, Jens Elberfeld démontre qu’il est plus fructueux de penser les années 1960–1970 comme étant celles d’un passage juridique et politique entre l’interdiction et le consentement à l’acte sexuel. La notion de «sexualité juvénile», «Kindliche Sexualität» ou encore «Pädosexualität», permet d’appréhender cette période comme étant celle du développement de politiques publiques de prévention au nom de la liberté sexuelle. Cet axe préventif se retrouve autant dans l’éducation sexuelle que dans la prévention du VIH/ sida. Comme dans les autres pays européens, la compréhension de la transmission sexuelle du VIH/sida, non réduite à l’homosexualité, autorise un discours sans précédent sur le préservatif. Celui-ci réduit la frontière entre le sexe «normal», hétérosexuel et procréatif, et «anormal» (Magdalena Beljan). On peut même dire que ce discours a permis une seconde normalisation de la pilule contraceptive par sa banalisation. La promotion de la stabilité sexuelle par les partis catholiques pour lutter contre l’épidémie participe en outre à une forme de contre-révolution aux idéaux soixante-huitards. Les normalisations passent enfin par la biologisation des sexualités. Le poids croissant des groupes pharmaceutiques dans la santé sexuelle modifie la donne. Le préservatif et la pilule sont érotisés. Les médicaments contre la ménopause et le Viagra façonnent, avec le concours de la psychiatrie, un corps âgé devant être actif sexuellement (Annika Wellmann).

Dans la sphère germanophone, cette médicalisation des corps sexués débute dans les années 1920 par les thérapies hormonales. Elle accompagne le développement d’une biopolitique de l’orgasme, pronataliste durant le régime nazi puis individualisée au nom d’un idéal démocratique. Comme le démontre la partie centrale de l’ouvrage, les politisations ne se réduisent pas aux militantismes. Les mutations des discours et les controverses sur les conceptions religieuses et psychologiques des sexualités y participent également. Imke Schmincke montre pour sa part de profondes continuités entre le féminisme du début du XXe siècle et celui des années 1970 sur la centralité de la sexualité. Deux aspects sont à signaler. D’une part, la République de Weimar a connu un vaste mouvement de réforme sexuelle au cours des années 1920 servant de matrice à l’essor post-guerre d’un discours médiatique sur la limitation du baby-boom. D’autre part, les théories féministes radicales et les pratiques en groupe d’auto-expérimentations étatsuniennes trouvent un rapide écho parmi les féministes germanophones. Enfin, Benno Gammerl relativise la rupture au sein du mouvement homosexuel des années 1970. Les théories de la naturalité des homosexualités offrent un socle de longue durée. En effet, le premier mouvement homosexuel a été fondé par le psychiatre Magnus Hirschfeld qui postulait la naturalité face au paradigme de la dégénérescence à la fin du XIXe siècle. Les conceptions naturalistes sont ensuite amplement relayées par les mouvements homophiles. L’ambivalence des années 1970 se situerait ainsi dans une opposition entre la promotion d’un déterminisme par les homophiles et la revendication d’une non-fixité de l’objet de désir par les mouvements «révolutionnaires». Ces derniers s’inscrivent dans la continuité de la psychanalyse germanique et de son postulat de bisexualité fondamentale. Ils sont cependant rapidement minorisés. Le culte de l’homosexualité virile promu par la «libération gaie» étatsunienne renforce la tradition homophile de critique des attitudes efféminées dans le «milieu».

Zitierweise:
Thierry Delessert: Peter-Paul Bänziger, Magdalena Beljan, Franz X. Eder, Pascal Eitler (Hg.): Sexuelle Revolution? Zur Geschichte der Sexualität im deutschsprachigen Raum seit den 1960er Jahren, Bielefeld: transcript, 2015 Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 3, 2018, S. 607-609.