A. Gerber: Zwischen Propaganda und Unterhaltung

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Titel
Zwischen Propaganda und Unterhaltung. Das Kino in der Schweiz zur Zeit des Ersten Weltkriegs


Autor(en)
Gerber, Adrian
Reihe
Zürcher Filmstudien 37
Erschienen
Marburg 2017: Schüren Verlag
Anzahl Seiten
624 S.
Preis
€ 48,00
URL
von
Francois Vallotton

S’il est sans doute trop tôt pour opérer le bilan historiographique du premier centenaire de la Première Guerre mondiale en Suisse, un certain nombre de recherches se dégage d’ores et déjà: la thèse d’Alexandre Elsig sur la propagande allemande en Suisse, celle de Cédric Cotter sur l’action humanitaire, celle de Florian Weber sur les relations économiques avec les États-Unis, la synthèse codirigée par Thomas Buomberger, Patrick Kury et Roman Rossfeld ou encore les travaux de Konrad J. Kuhn et Béatrice Ziegler sur les mémoires de la Première Guerre mondiale. On peut leur ajouter l’ouvrage d’Adrian Gerber consacré au cinéma en Suisse entre 1914 et 1918. Fruit d’une thèse codirigée par Margrit Tröhler et Jörg Schweinitz, l’ouvrage vient combler une lacune importante. En effet, la littérature sur la production, la distribution et la réception du cinéma en Suisse durant cette période restait jusqu’ici fragmentaire: si l’on excepte l’Histoire du cinéma suisse d’Hervé Dumont, on en restait réduit à différents articles ou monographies sur les pionniers de l’industrie suisse du divertissement, sur la critique, sur le cinéma ambulant, sur l’architecture des premières salles fixes, sur la censure ou encore sur le paysage cinématographique dans un contexte régional spécifique. L’ambition ici est beaucoup plus vaste et vise à cartographier, sur l’ensemble du pays, la production filmique présente sur les écrans, le rôle des appareils de propagande des puissances belligérantes en Suisse, enfin les formes différenciées de la réception de certains films en fonction des configurations politiques et régionales. Pour ce faire, l’analyse s’appuie sur un dépouillement d’archives particulièrement conséquent. Outre la presse spécialisée et généraliste, on peut signaler les fonds de plusieurs archives communales ainsi que les ressources des Archives fédérales, des documents du Département des Affaires étrangères et des Archives fédérales à Berlin, ainsi que certaines ressources tout à fait inédites comme les archives du distributeur Monopol Films L. Burstein et la collection d’affiches du cinéma Radium à Zurich.

Parallèlement, la recherche de matériaux filmiques – dont le repérage et l’identification constituent un exercice délicat – s’est révélée fructueuse avec la mise à jour de plusieurs copies vraisemblablement très proches de celles qui ont circulé à l’époque en Suisse.

Riche de 620 pages, l’ouvrage se divise en trois grandes parties de longueur inégale. Après un premier développement consacré au cadre théorique de l’analyse – et à la notion d’«espace public cinématographique» (Kinoöffentlichkeit) –, une deuxième section revient sur l’évolution du champ cinématographique suisse depuis les premières projec- tions de 1896 jusqu’au début des années 1920: s’appuyant sur plusieurs tableaux fort utiles, cette partie offre une synthèse très convaincante sur le passage du cinéma ambulant aux premières salles fixes, les différents types de projection – commerciales et non commerciales –, la popularisation de la fréquentation des cinémas ou encore le déroule- ment des séances. Deux sous-chapitres particulièrement novateurs concernent l’organisation de la distribution d’une part, la professionnalisation du champ d’autre part, sous l’effet notamment de la recrudescence du discours de certaines élites vis-à-vis de l’immoralité supposée de certaines formes de cinéma populaire. Cette riposte profession- nelle culmine avec l’organisation, sur le plan national, de la Journée suisse du cinéma du 30 juillet 1917 dont les bénéfices doivent être versés aux militaires tuberculeux et aux familles démunies. Quant à la dernière partie – la pièce de résistance de l’étude –, elle est consacrée aux bases commerciales, organisationnelles et politiques du film de guerre et de propagande tel qu’il est diffusé en Suisse par les puissances belligérantes. L’analyse s’adosse à plusieurs études de cas menées avec une grande rigueur et l’apport de ressources documentaires souvent inédites. L’exemple de la réception paradoxale du film de propagande allemand Graf Dohna und seine Möwe (1917) constitue une illustration très parlante de l’apport d’une analyse du contexte de diffusion et de visionnement des films pour une histoire de la propagande. Il en va de même pour l’étude du film documentaire Die 10. Isonzoschlacht (1917), une réalisation austro-hongroise dont les qualités esthétiques sont reconnues tout en nourrissant des réactions lucides sur le caractère artificiel et bien souvent «rejoué» des scènes de combat notamment.

Un simple compte rendu ne peut souligner ici tous les apports de ce travail amené à devenir l’étude de référence sur le sujet (on regrettera en passant l’absence d’un index qui aurait pu renforcer ce statut). Soulignons trois idées forces. La première concerne la notion de «cultures de guerre»: si, comme le précise l’auteur, l’historiographie a souvent souligné, voire mis en opposition, une forme de brutalisation par le bas d’une part, la manipulation et la coercition par le haut de l’autre, elle a parfois négligé les motivations commerciales liées à la diffusion massive des représentations guerrières. Ce succès et cette attraction du cinéma amènent – et c’est le deuxième axe de la thèse – les puissances belligérantes à créer leurs propres services cinématographiques afin d’en capitaliser les bénéfices à leurs propres fins. Cette influence se fait surtout sentir via les productions non fictionnelles dont les représentations emblématiques sont relayées par d’autres formes de cultures visuelles comme les cartes postales ou la presse illustrée. Enfin, une troisième perspective analytique vise à analyser l’impact de ce dispositif médiatique sur le champ cinématographique helvétique. La branche saura s’accommoder au mieux de cette situation a priori plutôt défavorable. Plusieurs exploitants et loueurs de films profiteront de la curiosité générée par ces productions pour développer leurs activités: si certains choisissent de se mettre au service de l’un des deux camps en présence, beaucoup d’autres – essentiellement en Suisse alémanique – développeront une forme de «neutralité programmatique» en proposant aussi bien les productions des Alliés que des Centraux. Sur un autre plan, ce flot de propagande par le film génère dans la deuxième partie du conflit des formes de riposte amenant certains acteurs à plaider pour le développement d’une culture filmique nationale. Ce discours trouve une première traduction dans la commande par l’État-major général à la compagnie Eos du célèbre documentaire sur le service actif L’armée suisse (1918) qui rencontrera un écho enthousiaste des deux côtés de la Sarine. Il sera suivi par plusieurs films de fiction, ayant généralement la montagne comme décor, qui préfigurent d’une certaine manière la production helvétique de la Défense nationale spirituelle.

La publication de la thèse en 2017, soit deux ans après la soutenance, implique inévitablement certains manques au niveau de la bibliographie la plus récente: les travaux de Gianni Haver sur la presse illustrée, ceux d’Olivier Robert sur les débuts du cinéma à Lausanne, ceux d’Alexandre Elsig sur la propagande allemande dans les cabarets alémaniques, le mémoire de Joséphine Metraux sur les cartes postales censurées auraient pu compléter le propos à certaines étapes de l’analyse. Plus étonnante peut-être l’absence de toute prise en compte à l’approche théorique de François Albera et Maria Tortajada sur la notion de «dispositif» qui aurait pu permettre de mieux marquer les prolongements mais aussi les déplacements opérés par le concept de Kinoöffentlichkeit.
Trois éléments auraient pu à mon sens être davantage mis en perspective. Le premier concerne l’absence d’un paysage plus quantitatif de l’évolution des films diffusés, sur la base peut-être d’une étude de cas comparative entre Suisse allemande et Suisse romande. Dans la mesure où le film de guerre – fictionnel ou non – est privilégié, l’évolution de ce secteur, et ses déclinaisons spécifiques d’un côté et de l’autre de la Sarine, est difficile à appréhender pour le lecteur. Sur un autre niveau, le discours des professionnels de la branche est essentiellement analysé sur la base d’un dépouillement assez systématique de la revue Kinema. Même si celle-ci manifeste sa vocation nationale via la présence d’une rédaction francophone, il aurait été également intéressant de lier son analyse à celle des deux pendants romands que sont le Journal suisse du cinéma (1913– 1914) puis Cinéma romand (1916–1919), voire à certaines voix critiques au sein de la presse quotidienne, afin de souligner encore davantage certaines spécificités régionales. Enfin, l’ouvrage pourrait s’attarder davantage sur le contexte de l’après-guerre, la fonction de légitimation opérée par la Première Guerre mondiale quant au statut du cinéma en Suisse étant davantage affirmée que véritablement démontrée. Dumont parle par exemple d’une recrudescence de la censure dans le contexte du début des années 1920. D’autres sources que celles issues directement des acteurs de la branche apporteraient peut-être une vision plus nuancée tout en relativisant la représentativité de figures comme Spitteler ou Loosli.

Ces remarques ne visent qu’à souligner, si besoin est, la richesse d’un ouvrage des plus stimulants et dont il faut saluer la volonté de synthèse et la rigueur analytique, qu’il s’agisse de la mise en perspective des sources écrites ou des documents audiovisuels. L’enquête est impressionnante par son ampleur; elle l’est tout autant par la finesse et l’intelligence du propos dont la portée heuristique et l’apport historiographique dépassent de très loin le seul cadre helvétique.

Zitierweise:
François Vallotton: Rezension zu: Pascal Germann, Laboratorien der Vererbung. Rassenforschung und Humangenetik in der Schweiz 1900–1970, Göttingen: Wallstein Verlag, 2016. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 1, 2018, S. 195-198.

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 1, 2018, S. 195-198.

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