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Titel
Anarchisten!. Von Vorläufern und Erleuchteten, von Ungeziefer und Läusen – zur kollektiven Identität einer radikalen Gemeinschaft in der Schweiz, 1885–1914


Autor(en)
Kühnis, Nino
Reihe
Histoire 76
Erschienen
Bielefeld 2015: Transcript – Verlag für Kommunikation, Kultur und soziale Praxis
Anzahl Seiten
568 S.
Preis
42,99 €
URL
von
Enckell Marianne

Il s’agit de la publication d’une thèse, poursuite d’un travail de licence à l’Université de Zurich. Terminée à l’été 2012, elle n’a malheureusement pas pu être soutenue en raison de la mort tragique de son auteur. Ses amis se sont chargés de préparer le manuscrit pour la publication, sans y apporter de modifications autres que formelles. 1

Nino Kühnis a dépouillé attentivement les principaux périodiques anarchistes ou «anarchoïdes» publiés en Suisse entre 1885 et 1914: dix en allemand, quatorze en français, ainsi que sept journaux non anarchistes, des quotidiens pour la plupart. Dans ces derniers, il a sélectionné quelques événements dont il compare le traitement, comme l’assassinat de l’impératrice d’Autriche en 1898. Il a cherché dans tout ce corpus les éléments lui permettant de décrire une identité collective de la communauté des anarchistes, ses valeurs, ses spécificités, ses différences avec la société environnante et l’image que celle-ci entretient des anarchistes et de l’anarchisme.

La période prise en compte commence avec le Rapport sur l’enquête relative aux menées anarchistes en Suisse de 1885, résumée par le procureur général de la Confédération Eduard Müller, et s’arrête à la déclaration de guerre qui changera profondément la population étudiée: des militants rentrent en Allemagne, en France ou en Italie, des réfugiés leur succèdent, la presse est partiellement bâillonnée. La crainte des attentats et plus généralement de la «propagande par le fait», grèves et sabotages, est répandue dans la presse quotidienne, et les journaux anarchistes y répondent par l’ironie, la provocation, la «propagande par l’écrit».

Après l’introduction théorique, un utile survol de l’histoire de l’anarchisme en Suisse se fonde essentiellement sur un chapitre de Max Nettlau,2 sur les travaux de l’équipe d’Erich Gruner – lus d’un œil critique – et quelques études plus récentes. L’auteur souligne la surveillance à laquelle sont soumis ceux qui sont soupçonnés d’anarchisme – pas toujours à bon escient, les lettres des informateurs et des mouchards en témoignent. Les outils de la répression s’internationalisent dès la fin du XIXe siècle, et touchent de plein fouet les étrangers et réfugiés en Suisse: de 1885 à 1901, quelque 220 anarchistes ou considérés comme tels sont expulsés du pays,3 et cela ne cessera pas.

Une histoire suisse du mouvement anarchiste, alors que «les anarchistes n’ont pas de patrie», alors que la presse bourgeoise les qualifie de unschweizerisch? C’est surtout autour de la question nationale / internationale que Nino Kühnis construit son cadre conceptuel. Les journaux anarchistes, selon l’auteur, construisent, constituent et affirment une identité par le biais de Hypergüter (des notions, des valeurs immatérielles) positifs ou négatifs et de Framing Prozesse (la démarcation par rapport à d’autres groupes sociaux). L’identité collective, sans cesse renouvelée, renforce la cohésion et la conviction des militants de manière positive (le «Wir», qui servait de titre à un travail antérieur de l’auteur);4 à l’inverse, elle permet de définir le négatif, l’adversaire: contre le prolétariatproducteur, le bourgeois profiteur; contre l’Internationale, la nation. Le sous-titre de l’ouvrage met en évidence ces deux représentations antagonistes.

La démarche est intéressante, bien qu’elle puisse être déroutante pour une lectrice habituée à la littérature francophone. On peut regretter que l’identité reste ici entièrement définie par l’idéologie. Pas ou peu de noms, pas ou peu d’événements donnant lieu à des commentaires, même lorsque des moyens d’action comme la grève ou le boycott sont évoqués: les textes semblent intemporels. C’est bien le cas, certes, pour une partie de la propagande – car les périodiques militants sont avant tout instruments de propagande. Mais le discours antipatriotique, anti-électoral ou syndicaliste n’est pas immuable au cours des trente années considérées, selon l’évolution de la situation politique; il serait intéressant d’affiner l’analyse. Le choix d’une histoire conceptuelle, et non d’une histoire du mouvement, anonymise les auteurs des textes cités: là aussi, il serait intéressant de savoir si tel ou tel article provient de la rédaction, d’un militant «de base», d’une correspondance, voire d’une citation.

Ce choix de l’anonymisation est argumenté, mais il soulève un problème, celui de l’origine des textes cités, comme dans les exemples suivants. Elisée Reclus, mort en 1905, n’a évidemment pas écrit d’articles pour la Revolutionäre Bibliothek qui paraît en 1906. L’article de Kropotkine dans le même numéro, présenté comme une «lettre», a été écrit en 1881 pour Le Révolté. Plus généralement, il s’agit là d’une anthologie de textes publiés ailleurs ou traduits. Les rédacteurs y trouvaient sans doute des échos à leur «identité collective ».

Si le Jahrbuch der freien Generation (1910–1914) contient plusieurs articles sur la Suisse, c’est parce que l’Autrichien Pierre Ramus habite à Zurich quand il en rédige le premier numéro, juste avant de se faire expulser; mais les autres rédacteurs écrivent d’Allemagne ou d’Autriche. Si le Arbeiter-Wille (1910) cesse après deux numéros, c’est que son rédacteur véritable, Heinrich Bagotsky, a été expulsé de Suisse. Si L’Exploitée (1907–1908) cesse de paraître et que la Vorkämpferin (1906–1914) change de ton, c’est que Margarethe Faas-Hardegger a été licenciée en 1908 de son poste de secrétaire syndicale. Comment ignorer ces situations, qui marquent forcément le ton et le contenu des périodiques?

Nino Kühnis donne malgré tout d’utiles indications, fruit d’un énorme travail; il aurait voulu l’affiner, tenir compte de certaines critiques, poursuivre ses recherches, il n’en a hélas pas eu l’occasion. Ses notices bibliographiques sur les périodiques sont riches et précises, ses remarques souvent judicieuses. Sa passion pour le sujet ressort à chaque page de ce volume d’envergure.

1 L’édition est soignée, même si on aurait souhaité une relecture plus attentive des extraits cités en français: l’accentuation des lettres, les césures et l’usage des majuscules semblent aléatoires, ce qui rend absurdes les [sic] introduits. La forme «der Le Réveil», «die L’Exploitée» est pour le moins peu esthétique.
2 Max Nettlau, Anarchisten und Syndikalisten [1932], Vaduz 1984.
3 Voir aussi: Johann Langhard, Die anarchistische Bewegung in der Schweiz, Berlin 1903.
4 Nino Kühnis, Wir. Selbstwahrnehmung und -darstellung in der deutschsprachigen anarchistischen Presse der Schweiz 1885–1914 (Lizenziatsarbeit der Philosophischen Fakultät der Universität Zürich), Zürich 2007.

Zitierweise:
Marianne Enckell: Rezension zu: Nino Kühnis: Anarchisten! Von Vorläufern und Erleuchteten, von Ungeziefer und Läusen. Zur kollektiven Identität einer radikalen Gemeinschaft in der Schweiz, 1885–1914, Bielefeld: transcript, 2015. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 1, 2018, S. 184-186.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 1, 2018, S. 184-186.

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