C. Keller: Visionen, Volkshetze, Betrügereien

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Titel
Visionen, Volkshetze, Betrügereien. Der Weg zum modernen Steuerstaat am Beispiel der Kantone Basel-Stadt und Basel-Landschaft (1833-1928)


Autor(en)
Keller, Christian
Erschienen
Zürich 2017: Chronos Verlag
Anzahl Seiten
223 S.
von
Sylvain Praz

Christian Keller retrace un siècle d’histoire fiscale, avant tout dans le domaine des impôts directs, des cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne. Comme le remarque l’auteur, l’historiographie helvétique s’est jusqu’à présent surtout «concentrée sur le niveau de la Confédération et les aspects formels» (p. 18). Son travail répond à une double lacune: il propose non seulement une histoire institutionnelle et politique de la fiscalité, mais accorde également une grande attention aux aspects culturels et aux pratiques. Il rend justice au niveau cantonal, étrangement peu étudié malgré son importance cruciale dans le fédéralisme suisse.

L’étude se compose de trois parties, détaillant les problématiques spécifiques à chacun des deux cantons: la première décrit les politiques fiscales menées tout au long de la période étudiée, la seconde tisse le lien entre «Steuermentalität» et résistances fiscales, la troisième aborde la question du contrôle fiscal. Dans tout l’ouvrage, la dimension comparative se révèle particulièrement fertile, tant le contraste entre les deux cantons est vif.

La partie concernant les politiques fiscales retrace les processus de décisions entourant les (tentatives de) révisions fiscales, les buts poursuivis et les arguments mobilisés par les différents acteurs. Bâle-Ville, alors politiquement aristocratique et conservatrice, introduit dès 1840 une imposition sur le revenu progressive particulièrement moderne et remarquée bien au-delà des frontières helvétiques – une place à l’avantgarde de l’innovation fiscale qui sera conservée à travers les réformes fiscales successives et l’évolution politique pendant au moins un siècle. Bâle-Campagne qui dispose de droits démocratiques beaucoup plus étendus conserve, au moins jusqu’en 1928 lorsqu’il est le dernier canton suisse à adopter une loi générale d’impôt, une fiscalité sous-développée et rétrograde. L’auteur explique ces divergences qui peuvent sembler a priori paradoxales par des facteurs économiques et financiers, les spécificités des dynamiques politiques et les instruments de démocratie directe, les relations entre les citoyens et leurs autorités – tout en soulignant que dans les deux cas les impôts destinés à des buts précis sont plus facilement adoptés par les corps électoraux.

La deuxième partie s’attache aux représentations fiscales des contribuables et aux liens que celles-ci entretiennent avec les différentes formes de résistances fiscales que l’auteur identifie. La «mentalité fiscale» dépend non seulement de la pression fiscale, mais également de nombreux autres éléments: l’orientation politique et la conception de l’État, la confiance ou la défiance envers les autorités ou encore les conceptions et pratiques en matière de charité. L’auteur propose cinq modalités de résistances fiscales qui peuvent être mobilisées par des contribuables, particuliers ou à titre collectif, selon les revendications, les contextes et les périodes: le chantage (p. ex. par la menace de réduire les dons de bienfaisance), les instruments de démocratie directe, l’évitement fiscal (évasion, soustraction, fraude), la fuite fiscale (partir s’installer ailleurs) et enfin, la forme de résistance la plus frontale, le refus fiscal. Cette dernière modalité est illustrée de manière frappante à Bâle-Campagne en 1920 lors du «Steuersturm». Alors que le gouvernement cantonal exige des commissions de taxation d’appliquer plus strictement les dispositions fiscales, plusieurs assemblées communales interdisent aux percepteurs de transmettre les contributions aux autorités cantonales. Les principaux enjeux de cette résistance tiennent à des questions relatives à la justice fiscale et à l’autonomie communale, mais portent également des revendications pour une réforme en profondeur de la fiscalité. Le Conseil d’État parvient toutefois à s’imposer, renforçant ainsi, dans une certaine mesure, son assise fiscale et son pouvoir face aux communes.

La troisième partie sur le contrôle fiscal porte sur la procédure d’imposition et la perception, surtout sous l’angle des pratiques effectives. Il s’agit ici d’une véritable histoire de l’administration, de sa professionnalisation, de l’évolution de ses prérogatives face aux individus et de son activité disciplinaire. Toutefois, ce renforcement n’est pas lisse et homogène et le gouffre entre ce que prévoient les réglementations et ce que veulent, théoriquement, les autorités d’une part, et la réalité d’autre part est souvent béant. Le scandale qui secoue Bâle-Ville en 1918 le démontre: une commission parlementaire, renseignée par des employés subalternes de l’administration fiscale, révèle que la direction de l’administration fiscale s’emploie à protéger activement la fraude massive à laquelle se livrent certains gros contribuables; et bien que le Conseiller d’État socialiste en charge des finances et le directeur des contributions quittent leur poste en 1920, c’est l’adjoint du deuxième, pourtant au centre du scandale, qui reprend la tête de l’administration fiscale. Le scandale remet en cause la notion de justice fiscale, essentielle au consentement des contribuables, en brisant l’illusion d’une égalité de ces derniers face à l’impôt et aux autorités – et illustre que la fraude fiscale n’est pas uniquement une question de morale individuelle, mais un enjeu social et économique avec une dimension systémique, tant du point de vue des représentations que sur le plan matériel, au regard d’un système fiscal dans son ensemble.

Bien que l’on puisse parfois regretter un manque de détails et le sacrifice de quelques approfondissements, le format de l’ouvrage et l’écriture rendent la lecture très vivante et agréable. Dans l’ensemble, ce travail, fondé sur des sources riches et originales, ouvre des pistes très stimulantes non seulement pour l’histoire de la fiscalité en Suisse, mais aussi pour l’histoire générale des deux cantons, de l’administration et de l’État.

Zitierweise:
Sylvain Praz: Rezension zu: Christian Keller: Visionen, Volkshetze, Betrügereien. Der Weg zum modernen Steuerstaat am Beispiel der Kantone Basel-Stadt und Basel-Landschaft (1833–1928), Zurich: Chronos, 2017. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 1, 2018, S. 180-181.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 1, 2018, S. 180-181.

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