O. Meuwly: Louis-Henri Delarageaz

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Titel
Louis-Henri Delarageaz, 1807–1891. Homme politique vaudois, ami de Proudhon, grand propriétaire foncier


Autor(en)
Meuwly, Olivier
Erschienen
Neuchâtel 2011: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
476 p.
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Infatigablement, Olivier Meuwly poursuit son oeuvre-fresque consacrée au
mouvement radical, auquel il est attaché et ne s’en cache pas. Après la publication de nombreuses contributions et de plusieurs livres (dont une solide biographie de Louis Ruchonnet), auxquels s’ajoutent des articles quasi hebdomadaires dans la presse, l’historien nous livre une grosse et touffue biographie de Louis-Henri Delarageaz. Il comble ainsi une lacune bibliographique. En effet, ce chef incontesté de la révolution radicale vaudoise de 1845, au talent d’orateur et au charisme reconnus, fut vite oublié après sa mort, et son nom n’a plus l’aura de ceux de Druey ou Ruchonnet. A quoi faut-il attribuer cette désaffection mémorielle, qui survint très tôt? Au caractère rigide et autoritaire de l’homme, qui se fit ainsi de nombreux ennemis? A l’évolution de ses convictions politiques, du radicalisme «d’extrême gauche» vers un conservatisme de plus en plus affirmé, qui le place à la fin de sa vie aux côtés des libéraux? Cette biographie s’appuie sur un gros travail d’analyse des sources épistolaires, auquel a contribué Henri-Philippe Delarageaz, descendant direct du leader radical. Celles-ci, dépouillées systématiquement, ont notamment mis en valeur une correspondance assidue avec Pierre Joseph Proudhon. Ce n’est pas le moindre des paradoxes du Vaudois. Archétype du gros propriétaire foncier du XIXe siècle, le notable de Préverenges est séduit pendant des décennies par les idées «utopistes» de Gracchus Babeuf, d’Etienne Cabet et de Saint-Simon. Il adhère même un temps à la pensée de l’émigré allemand Wilhelm Weitling, ce qui lui vaudra vers 1845 des accusations de «communisme». Mais c’est surtout avec Proudhon, le pourfendeur de la propriété privée, qu’il établit des contacts étroits. Il semble que le principal dénominateur commun entre les deux hommes soit leur profonde aversion envers l’étatisme, de droite comme de gauche, qu’ils considèrent tous deux comme oppresseur par essence. Cela n’empêche pas le Vaudois (décidément pas à l’abri des contradictions!) de devenir conseiller d’Etat de 1845 à 1862 et de 1866 à 1878, le second plus long mandat dans l’histoire du canton. On peut donc sérieusement s’interroger sur l’influence réelle qu’a exercée Proudhon sur notre personnage. La nature de leurs liens avait d’ailleurs déjà provoqué, dans le passé, une polémique entre les historiens Olivier Meuwly et Marc Vuilleumier. C’est cette première partie du livre qui nous paraît la plus intéressante et la plus originale.

Puis O. Meuwly intègre Delarageaz dans le contexte de toutes les grandes questions de son époque, dans le canton et en Suisse: en particulier la question religieuse (subordination de l’Eglise réformée à l’Etat radical et création de l’Eglise libre); la question des chemins de fer (et notamment le conflit autour du tracé de la ligne de Berne par Lausanne); la guerre du Sonderbund où Delarageaz, par son intransigeance envers les cantons catholiques, surtout Fribourg, se démarque de la sage politique de réconciliation du général Dufour. Car Louis-Henri Delarageaz fait en même temps une belle carrière militaire, qui le conduira au grade de colonel fédéral. Il mettra notamment ses talents d’arpenteur-géomètre au service du pays, en organisant les défenses de Bâle, lors de la crise avec la Prusse de 1856–57, liée à l’affaire de Neuchâtel. Enfin l’auteur ne nous épargne aucun détail sur les conflits internes entre radicaux, conflits politiques mais souvent aussi de personnes, ni sur les nombreuses consultations électorales qui ponctuent un demi-siècle. Il est regrettable que, dans ces chapitres, l’ouvrage d’O. Meuwly pèche par surabondance et prolixité, et surtout par manque de hiérarchisation entre les événements. Dans ce long récit linéaire, où tout est mis à niveau, le lecteur a quelque peine à distinguer l’essentiel du secondaire, voire de l’anecdotique.

Les derniers chapitres réveillent cependant son intérêt. On y voit l’évolution par étapes de Delarageaz vers un conservatisme franchement réactionnaire. C’est sur le terrain favori de la réaction en Suisse dans la deuxième partie du XIXe siècle que le politicien vaudois rejoint celle-ci: le fédéralisme et le cantonalisme, par opposition à l’Etat centralisé qu’appellent de leurs voeux les radicaux «jacobins». Faut-il vraiment voir dans cette évolution l’influence post mortem de Proudhon, lui qui demandait pour la France «la constitution de quinze grandes régions s’administrant elles-mêmes»? En réalité la filiation est douteuse. Peutêtre Delarageaz suit-il tout simplement sa pente naturelle de grand propriétaire terrien resté au tréfonds de lui-même solidement conservateur. C’est ainsi qu’il se montre un adversaire déclaré de l’impôt progressif. La gauche radicale, regroupée autour de la société d’étudiants Helvétia, s’oppose de plus en plus à lui. Une fraction de cette gauche, après 1890, fera le pas du socialisme. C’est ce hiatus chez Delarageaz entre la sympathie pour les idées avancées (il siège même comme délégué de la société de Grütli au congrès de la Première Internationale, qui se tient en 1867 à Lausanne) et son conservatisme politique et social de plus en plus affirmé qui rend le personnage un peu indéfinissable. Finalement chassé du Conseil d’Etat, reclus dans une solitude d’aigri, il meurt dans une certaine indifférence générale. Ce «quatrième grand» du radicalisme vaudois du XIXe siècle – avec Henri Druey, Victor Ruffy et Louis Ruchonnet – méritait sans doute qu’une biographie exhaustive lui soit enfin consacrée.

Zitierweise:
Pierre Jeanneret: Rezension zu: Olivier Meuwly: Louis-Henri Delarageaz, 1807–1891. Homme politique vaudois, ami de Proudhon, grand propriétaire foncier. Neuchâtel, Alphil – Presses universitaires suisses, 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 2, 2012, S. 351-353

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 2, 2012, S. 351-353

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