M. Pastoureau: Les couleurs de nos souvenirs

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Titel
Les couleurs de nos souvenirs.


Autor(en)
Pastoureau, Michel
Reihe
La librairie du XXIe siècle
Erschienen
Paris 2010: Editions du Seuil
Anzahl Seiten
258 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Nicolas Quinche

Chaque nouvel ouvrage de Michel Pastoureau devrait être l’occasion de remercier cet historien qui, en ne suivant pas le courant dominant et répétitif de l’histoire économique et politique, a enrichi notre discipline d’un nouveau et fertile champ de recherche durant ces trente dernières années. Cette étude diffère des précédents travaux de l’auteur, en ce sens qu’elle dévoile, sans verser dans l’egohistoire anecdotique, des épisodes autobiographiques marquants ayant eu un impact sur le choix des sujets de recherche de l’historien en devenir. Loin de sombrer dans les méandres du narcissisme, les extraits autobiographiques, relatifs surtout à l’enfance et à l’adolescence de l’auteur, ne livrent au lecteur que ce qui explique le choix des sujets de prédilection de l’historien. Quand M. Pastoureau dévoile quelques-unes de ses expériences chromatiques personnelles, il s’attache systématiquement à les relier aux pratiques d’une génération. Evitant de s’enfermer dans le singulier et le portrait, il s’efforce de peindre aussi les expériences et pratiques chromatiques collectives en brossant une fresque.

Si aujourd’hui, l’auteur est à juste titre accueilli à bras ouverts par les médias pour évoquer et vulgariser ses sujets de prédilection que sont les couleurs et les animaux, il ne manque pas de signaler, épisode historiographique digne d’intérêt, les résistances auxquelles il s’est heurté quand, jeune chercheur, il s’est décidé à aborder des allées historiques peu fréquentées. Qu’un sujet comme l’étude des couleurs ait été quasiment négligé par la plupart des historiens de l’art a de quoi laisser pantois. Certaines des pratiques de recherche d’érudits surprennent par leur biais: M. Pastoureau s’étonne ainsi que ces spécialistes des peintures aient préféré souvent analyser les oeuvres d’art sous la forme de reproductions en noir et blanc plutôt qu’en couleurs! Traiter de l’évolution historique des couleurs risquait aussi dans ces années 1970 de passer pour une occupation futile aux yeux de certains universitaires indéfectiblement ancrés dans leurs certitudes et leurs champs de recherche consacrés depuis des décennies. Les novateurs en histoire sont souvent mal perçus par les gestionnaires en place qui voient d’un mauvais oeil de nouvelles idées ébranler leur monopole institutionnel et intellectuel. Rappelonsnous aussi l’ostracisme académique dont fut longtemps victime Ph. Ariès, ce pionnier génial de l’histoire de l’enfance et de la mort, qui avait le tort, outre d’être un historien du dimanche, d’importer des bananes le reste de la semaine pour gagner sa vie.

Outre le plaisir de mieux faire connaître la personnalité de M. Pastoureau, qui ne goûte ni les repas monochromes, ni les «gagneurs» et témoigne d’une modestie certaine et surprenante chez un historien qui sur ce plan tranche tant sur ses collègues, le chercheur en mal de sujet de recherche tirera profit des suggestions généreuses de l’auteur. Ainsi tout ou presque reste à écrire dans le domaine de la vexillologie, même si le sujet reste sensible: «Il [Le drapeau] semble faire peur parce que sa pratique est encore si fortement et si excessivement ancrée dans le monde contemporain qu’il est presque impossible de prendre le recul nécessaire pour tenter d’en analyser le fonctionnement» (p. 167).

Les épisodes autobiographiques narrés sont autant d’instants décisifs dans la naissance d’une vocation d’historien tourné vers un champ d’études à créer de toutes pièces. La pharmacie maternelle offre au jeune Michel l’occasion de découvrir le système des couleurs figurant sur les paquets de médicaments, et de noter l’extrême rareté du brun, sauf sur les emballages de laxatifs. La période du lycée ouvre les yeux de l’adolescent sur les couleurs interdites et les normes qui les bannissent de l’enceinte scolaire. Au début des années 1960, le port des pantalons rouges pouvait motiver l’exclusion temporaire de certains lycées parisiens, surtout s’il s’agissait de jeunes filles. Si l’embonpoint personnel de l’auteur est évoqué, il débouche vite sur des considérations générales relatives aux motivations des créateurs d’habits conçus spécifiquement pour les personnes fortes et à leur manque de logique en la matière.

Malgré les qualités indéniables de l’ouvrage, on formulera cependant deux critiques. Pourquoi, tout d’abord, évacuer toute forme d’iconographie? Dans un livre consacré aux images et aux couleurs, pas la moindre représentation de peinture, de publicité, pas la moindre photographie! Etonnante lacune, sans doute à mettre sur le compte de l’éditeur. Les arguments avancés par l’auteur pour justifier ce parti pris n’emportent pas la conviction, d’autant que nombre de ses autres ouvrages font la part belle à l’iconographie. Ensuite, les lecteurs fidèles de M. Pastoureau auront relevé de nombreux passages répétant ce que l’auteur a déjà exprimé dans ses autres ouvrages, notamment dans Bleu, histoire d’une couleur (2000), Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental (2004) et Le petit livre des couleurs (2005). On a en effet déjà pu lire sous sa plume l’histoire de la création du blue-jean, la chromophobie caractérisant les milieux d’affaires protestants, ou l’évolution de la perception du bronzage de l’Ancien Régime à nos jours.

Ces réserves n’enlèvent rien à la qualité de l’étude d’autant que les monographies de M. Pastoureau non seulement enrichissent notre compréhension des civilisations passées, mais modifient aussi durablement le regard que nous portons sur nos sociétés contemporaines, ce qui est plutôt rare dans la production historique actuelle.

Redaktion
Veröffentlicht am
12.04.2013
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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