O. Dard: Bertrand de Jouvenel

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Titel
Bertrand de Jouvenel.


Autor(en)
Dard, Olivier
Erschienen
Paris 2008: Editions Perrin
Anzahl Seiten
525 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Alain Clavien, Institut de journalisme, Faculté des lettres de l'Université de Neuchâtel

Olivier Dard avait déjà abordé Bertrand de Jouvenel il y a quelques années, dans un ouvrage remarqué, Le rendez-vous manqué des relèves des années 1930. L’essayiste français y apparaissait comme l’un des membres, doué, de la constellation «réaliste», petits groupes d’intellectuels qui, dès les années vingt et jusqu’aux ruptures de 1934–1936, sont fascinés par la jeunesse, défendent une économie planifiée, soutiennent l’idée des Etats-Unis d’Europe avant de marquer de l’intérêt pour l’expérience nazie.

Le professeur de l’Université de Metz revient aujourd’hui plus longuement sur le parcours intellectuel et politique de Jouvenel, à la faveur notamment de sources nouvelles: les cahiers de travail écrits par cet auteur, 260 cahiers de 250 pages chacun, une sorte de journal à l’état brut, mêlant références, citations, notes de lecture, mais aussi rendez-vous ou notations plus personnelles, tenus à jour de 1943 à sa mort. Dard peut ainsi s’attarder sur la deuxième partie de la vie de Jouvenel, moins connue que la période de l’entre-deux-guerres durant laquelle l’essayiste avait adopté des attitudes ambiguës face au nazisme, ce qui lui valut plus tard quelques controverses, la plus célèbre se soldant par un procès en diffamation, gagné, contre l’historien Zeev Sternhell. Car les années de guerre marquent en effet une rupture dans cet itinéraire: rupture politique puisqu’il refuse de suivre ses anciens amis, Luchaire, Drieu ou Abetz, dans la voie du collaborationnisme, sans pour autant couper complètement les ponts avec eux; rupture intellectuelle où le penseur prend le pas sur le journaliste brillant mais superficiel des années trente; réaménagement de sa vie sentimentale enfin, au côté d’Hélène. D’une certaine manière, le passage clandestin en Suisse, en septembre 1943, concrétise cette évolution. C’est dans cette période d’exil helvétique qu’il met en chantier son essai «Du pouvoir». Paru en 1944 aux éditions genevoises du Cheval Ailé, spécialisées dans les auteurs qui connaissent des difficultés dans la France de la Libération, le livre suscite un large intérêt aux Etats-Unis et le fait entrer dans plusieurs réseaux libéraux, notamment la Société du Mont-Pèlerin. C’est par ce détour américain que Jouvenel peut revenir sur la scène française, grâce à l’appui de Raymond Aron. Son intérêt, et sa compétence forgée en autodidacte, pour les questions économiques lui permettent de vivre de sa plume et l’entraînent bientôt du côté de l’écologie – «Arcadie. Essai sur le mieux vivre» paru en 1968 – et de la prospective – avec son fameux néologisme «Futuribles». Nourrie de références anglo-saxonnes peu connues en France, sa pensée apparaît avant-gardiste à une nouvelle génération qui l’apprécie pour ses approches non-conformistes.

Sensible comme tout biographe au problème de la cohérence à injecter dans un parcours de vie pour le rendre compréhensible, Dard est confronté avec Jouvenel à un problème d’envergure: du Parti radical de Daladier au Parti populaire français de Doriot, du maréchalisme au socialisme mitterrandien en passant par le Centre national des indépendants, mais aussi par le Congrès pour la liberté et le Club de Rome, voilà un itinéraire plutôt contrasté! Opportunisme pur, ajustements successifs? En bon historien qu’il est, Dard ne force pas les constantes et ne sousestime pas le poids des circonstances, mais relève pourtant quelques préoccupations récurrentes: rapprochement franco-allemand, projet européen, intérêt pour l’économie, modernisation de l’Etat (républicain?), ces idées ont pu prendre des couleurs différentes selon les époques, elles n’ont pas toujours été un garde-fou solide, mais enfin elles se retrouvent avant comme après la guerre … L’intérêt de cette biographie, au-delà du parcours singulier, de Jouvenel, est qu’elle esquisse l’itinéraire symptômatique d’une génération et d’un milieu, celui des «relèves» de l’entre-deux-guerres, un itinéraire souvent sur une arête, où il s’en faut d’un rien parfois pour basculer.

Citation:
Alain Clavien: compte rendu de: Olivier Dard: Bertrand de Jouvenel. Paris, Perrin, 2008. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 59 Nr. 1, 2009, p. 156-157.

Redaktion
Veröffentlicht am
17.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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