D. Reynard: Histoires d’eau

Titel
Histoires d’eau. Bisses et irrigation en Valais au XVe siècle.


Autor(en)
Reynard, Denis
Reihe
Cahiers lausannois d’histoire médiévale 30
Erschienen
Lausanne 2002: Cahiers lausannois d'histoire médiévale
Anzahl Seiten
252 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Clémence Thévenaz Modestin

«Comme... les hommes de Vex... avaient besoin d’eau et d’un aqueduc pour irriguer et arroser certains de leurs prés et possessions en temps de sécheresse, comme cela est la coutume et l’usage dans la patrie du Valais et dans certains lieux avoisinants...», dit un extrait de l’autorisation de construire un nouveau bisse accordée par les habitants et le major de Nendaz aux habitants de Vex, daté du 6 novembre 1453 (p. 185, ma traduction), prouvant ainsi que la conscience de la spécifi - cité valaisanne des bisses était déjà présente au XVe siècle... Pourtant, les bisses valaisans ont été étudiés surtout pour les XIXe et XXe siècles. Histoires d’eau comble cette lacune bibliographique en étudiant la période médiévale, en particulier le XVe siècle, l’époque précisément où se met en place «un système complexe et effi - cace de gestion de l’eau encore connu de nos jours dans bien des régions» (p. 5). Mais pourquoi ce développement, et pourquoi le Valais? Denis Reynard souligne d’emblée que le bisse ne peut pas être considéré comme «une condition sine qua non à la survie des populations... malgré ce que certains ont pu dire» (p. 29– 30). Au contraire, il doit être remis dans le contexte du désir des paysans valaisans, dès le dernier tiers du XIVe siècle, d’agrandir leur troupeau bovin à des fins commerciales. Un désir rendu possible par les crises démographiques du XIVe siècle, qui ont libéré des terres et diminué la demande de céréales. Or, les prairies de fauche nécessitent en Valais, en raison du climat, un arrosage relativement important pour être productives, d’où l’idée de développer l’irrigation.

Le but principal de l’ouvrage est «d’analyser et de tenter de comprendre l’organisation et la gestion des bisses et, plus généralement, de l’irrigation dans les campagnes valaisannes au XVe siècle» (p. 34). Pour cela, l’auteur a choisi comme sources, de préférence à des actes privés ou à des documents de procédure, des textes normatifs: règlements ou statuts de bisses, ratements (répartition des droits d’eau entre les consorts), articles sur les bisses inclus dans l’arbitrage d’un conflit ou dans un règlement communautaire, tous actes susceptibles de donner des informations sur la gestion quotidienne du bisse.

Après avoir présenté dans une première partie le contexte politique et économique qui sert de cadre au développement du réseau des bisses au XVe siècle (on 224 regrettera le caractère un peu général de cette partie, pour laquelle auraient pu être faites plus de références aux sources, à la manière de la méthode heureuse adoptée dans la suite de l’ouvrage) puis souligné la nouveauté au XVe siècle des statuts des consortages d’irrigation, Denis Reynard structure son propos autour de trois grandes questions: Comment le consortage est-il organisé? Qui gère le bisse? Comment l’irrigation est-elle pratiquée au quotidien?

La première de ces questions amène l’auteur à reprendre une à une les différentes fonctions et charges évoquées dans les documents qu’il étudie: les prud’hommes, qui doivent régulièrement et selon les lieux organiser un nouveau bisse, le contrôler avant la mise en eau, constater les dégâts qu’il a pu causer; les responsables du partage de l’eau; les gardes du bisse; les entrepreneurs et ouvriers. Aucune hiérarchie claire n’existe entre ces différentes fonctions. Sont évoqués aussi les aspects juridiques: les droits d’irrigation sont en principe vendus avec les parcelles, les femmes n’en sont pas exclues, et il faut pour avoir accès à l’eau avoir des prés à irriguer et s’acquitter d’une somme d’argent pour la construction et l’entretien du bisse.

La seconde grande question est celle de savoir qui gère le bisse: une communauté dans son ensemble ou des particuliers? La réponse est difficile à apporter et varie selon les lieux; les possibilités vont d’une gestion clairement communautaire à un accès à l’eau limité aux «personnes ayant part au bisse». Denis Reynard en arrive à la conclusion que, dans la plupart des cas, la communauté forme le cadre général, mais que c’est un consortage de tenanciers de prés de fauche qui gère le bisse. Les quelques pages consacrées au statut social des utilisateurs du bisse aboutissent au constat qu’il s’agit surtout de familles aisées. On peut se demander si une identification des personnes poussée au-delà des sources imprimées, par exemple dans des reconnaissances foncières, n’aurait pas permis d’affiner l’analyse. Quant à l’importance du seigneur, l’auteur oppose le Valais au Val d’Aoste, où le seigneur est omniprésent dans l’organisation des bisses: il est discret en Valais savoyard, et tout à fait absent en Valais épiscopal.

Finalement, comment l’irrigation est-elle organisée pratiquement? Les sources étudiées permettent de montrer entre autres que chacun pouvait bénéficier de l’eau toutes les 1–3 semaines durant une saison d’irrigation qui s’étendait d’avril à septembre, et que les droits d’eau étaient mesurés soit en temps, soit selon les surfaces de pré de chacun. Des amendes sanctionnaient les abus. Le consort dont le tour était venu entravait le cours principal du bisse pour en détourner l’eau en direction de ses prés; les consorts étaient responsables de l’entretien du bisse et des dégâts causés par ses eaux.

Le texte est complété par l’édition, très soigneuse, des principaux documents étudiés (sans traduction), d’annexes documentaires, d’un petit glossaire des princi - paux termes, de la liste des sources utilisées (plus large que les documents publiés), d’une bibliographie et d’un index des noms et des matières. La lecture des sources n’est pas superflue: elle permet au lecteur de «reconstruire» dans leur cohérence les actes qui pour l’analyse ont été ventilés par thème. En somme, un livre très stimulant sur la gestion complexe d’un bien communal à la fin du Moyen Age.

Citation:
Clémence Thévenaz Modestin: Rezension zu: Denis Reynard: Histoires d’eau. Bisses et irrigation en Valais au XVe siècle. Lausanne 2002 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale, 30). Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 55 Nr. 2, 2005, S. 224-225.

Redaktion
Veröffentlicht am
24.11.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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