A. Bandelier: Des Suisses dans la République

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Titel
Des Suisses dans la République des Lettres. Un réseau savant au temps de Frédéric le Grand.


Autor(en)
Bandelier, André
Erschienen
Genève 2007: Editions Slatkine
Anzahl Seiten
216 S
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Philippe Henry

Ce livre est l’un des nombreux fruits d’une longue recherche collective dirigée à Neuchâtel par André Bandelier, qui en propose ici une synthèse « accessible ». Il s’agit de l’analyse d’un « réseau de sociabilité cosmopolite », celui qui gravite autour de Jean Henri Samuel Formey (1711-1797), fils d’un réfugié huguenot en Prusse, secrétaire perpétuel de l’Académie de Berlin de 1748 à 1797.

On sait le rôle-clé joué au XVIIIe siècle par les académies, de capitales (royales) ou de provinces, et plus largement par les sociétés savantes, dans les contacts scientifiques ou littéraires nationaux ou internationaux, dans l’élaboration et la diffusion des idées ou des connaissances nouvelles. Ce phénomène se matérialise essentiellement par la correspondance, parallèle à la production d’imprimés, et la lettre, comme le dit fort justement l’auteur, est « l’expression individuelle la plus avancée de la liberté de pensée au siècle des Lumières ». Or la correspondance de Formey, homme de lettres alors très connu, personnage central de ce cosmopolitisme des Lumières, à la tête d’une des plus prestigieuses académies royales, était gigantesque. Elle a été partiellement conservée, surtout les lettres qu’il a reçues, ce qui permet de reconstituer un « réseau », « nébuleuse tentaculaire » de plus de 2400 correspondants à travers l’Europe et l’Amérique, qui rédigeaient principalement en français.

L’objectif du projet d’André Bandelier, contribution novatrice de premier ordre à la connaissance des Lumières, est d’étudier la manière dont se constitue, fonctionne, évolue un réseau de ce type et de préciser le rôle qu’il a joué dans la constitution d’un corps de pensée propre au Lumières. En conséquence, plus que les contenus, ce sont les pratiques ou les mécanismes de l’échange qui intéressent surtout l’auteur. L’opération, au-delà du raisonnable si elle visait la globalité de la « nébuleuse », se fait à travers la mise en évidence de la place occupée dans ce cadre par les seuls épistoliers suisses, bien présents : en prenant en considérations tous ces épistoliers, elle élargit à un ensemble quelque peu hétérogène un regard jusqu’ici trop souvent focalisé uniquement sur les personnages exceptionnels, les plus grands noms des Lumières helvétiques, certes brillantes mais animées aussi par de nombreux acteurs de second plan, qui jouent leur rôle dans le fonctionnement du réseau. Par ailleurs, l’entreprise reflète fort bien le vif intérêt historiographique contemporain pour la notion subtile et controversée de « réseau », concept à fondement sociologique ; elle rejoint également l’attrait actuel pour l’étude des correspondances de tous types, littéraires, scientifiques, familiales, élitaires ou populaires...

Le corpus, rassemblé principalement à Berlin et à Cracovie, est constitué de plus de 2000 lettres échangées entre Formey et 160 correspondants helvétiques : des hommes pour la plupart (une vingtaine de femmes), surtout des Romands et des protestants, qui écrivent de Suisse (un tiers) ou de l’étranger (deux tiers,proportion qui illustre bien l’importance de phonomène de l’émigration élitaire suisse) ; ils sont issus des bourgeoisies et des aristocraties urbaines. Les pasteurs, les précepteurs, les professeurs forment le sous-groupe social dominant, suivis des imprimeurs et libraires, des diplomates et des magistrats.

L’auteur se penche sur les contingences matérielles de l’échange épistolaire, soumis aux rythmes et aux contraintes coûteuses des services postaux, doublés par des canaux diplomatiques et commerciaux plus avantageux. Il montre comment les réseaux et les sous-réseaux apparaissent, vivent et meurent, quels en sont les contours mouvants, les interactions, les personnalités dominantes. Sa connaissance intime des sources lui permet de s’appuyer sur une exemplification foisonnante, qui, de nombreuses allusions aux épistoliers neuchâtelois, dont le profil correspond bien aux généralités qui précèdent. Inclus dans les débats intellectuels ou scientifiques du temps, les échanges sont aussi l’écho et parfois le vecteur d’intérêts politiques, bernois en particulier (notamment la politique helvétique occidentale de la République de Berne et ses relations avec Neuchâtel), ou ceux de familles en quête d’appuis dans la course aux charges (ainsi, à Neuchâtel, ceux des Chambrier ou des Vattel – et d’autres). Ces interférences entre culture et stratégies diverses sont utilement révélatrices d’ambitions et de pratiques d’affirmaton ou de conquête (pp. 158-171). Dans le cas de la principauté de Neuchâtel, ce n’est pas le moindre intérêt du livre.

Elégant, bien illustré, de dimensions modestes, ce dernier se lit facilement, malgré la densité du propos. C’était le voeu de l’auteur, qui a (hélas !) renoncé aux références infrapaginales et a craint les potentielles lourdeurs d’une approche trop statistique (les chiffres sont rares et jamais rassemblés en tableaux). L’utilisation de l’ouvrage est néanmoins facilitée par la présence heureuse de trois index (noms propres, lieux, oeuvres), ainsi que par un petit lexique des notions-clés. La bibliographie comporte une liste de tout ce qui a été publié sur le sujet par l’équipe de recherche entre 1995 et 2006, matériel où le lecteur trouvera les prolongements nécessaires.

Citation:
Philippe Henry: Compte rendu de: André BANDELIER, Des Suisses dans la République des Lettres. Un réseau savant au temps de Frédéric le Grand, Genève, Editions Slatkine, 2007, 216 p. Première publication dans: Revue historique neuchâteloise, année 147-1, 2010, p. 85-86.

Redaktion
Veröffentlicht am
23.12.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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