R. Darnton u.a.(Hrsg.): Le rayonnement

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Titel
Le rayonnement d'une maison d'édition dans l'Europe des Lumières: la Société typographique de Neuchâtel 1769-1789.


Herausgeber
Darnton, Robert; Schlup, Michel
Erschienen
Hauterive 2005: Éditions Attinger
Anzahl Seiten
620 S.
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Frédéric Inderwildi

Depuis leur ouverture au public en 1949, les riches et uniques archives de la Société typographique de Neuchâtel (désormais STN) enchantent les chercheurs du monde entier. Leur étude a permis d'étoffer les connaissances dans des domaines très variés: histoire du livre et de la lecture, histoire des techniques, histoire intellectuelle, littéraire, sociale et économique. Le présent recueil, dont la qualité matérielle est à souligner, constitue les actes du colloque organisé conjointement par la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel et la Faculté des lettres de l'Université de Neuchâtel à la fin de l'année 2002, un colloque dont le but était double; faire le point des connaissances sur la STN et assurer de nouveaux champs de recherches: deux objectifs parfaitement remplis.

Entre 1769 et 1789, la STN, à la fois imprimerie et librairie, vendit ou échangea des ouvrages contrefaits dans l'Europe tout entière. Pour les besoins de ce commerce, elle tissa un très vaste réseau de correspondants en Europe et plus particulièrement en France, son principal débouché. Encadrées par une préface du professeur Robert DARNTON(Princeton), un des plus grands connaisseurs du fonds d'archives précité, et une synthèse conclusive du professeur Daniel ROCHE(Collège de France), les vingt et une contributions, dont certaines sont agrémentées d'illustrations fort à propos, se répartissent au mieux les quatre champs de recherche principaux: l'édition et la production, la fabrication, la lecture et la diffusion.

La première partie est consacrée au cadre institutionnel, politique, économique et intellectuel qui a vu l'apparition de la STN. Elle s'ouvre avec une introduction du directeur de la Bibliothèque publique et universitaire (Michel SCHLUP) intitulée «Les Lumières et l'édition neuchâteloise». Il s'agit d'un panorama essentiel des riches activités typographiques de la Principauté de Neuchâtel au XVIIIe siècle. En effet, pays dépendant des Prussiens depuis 1707, Neuchâtel vécut une période brève mais intense au rythme du grand mouvement européen des Lumières, principalement grâce à ses éditeurs. Comme le souligne Michel Schlup, «les Neuchâtelois, au siècle suivant, n'en tireront aucune fierté, bien au contraire, leurs historiens répugnant même à en cultiver le souvenir»; un comble. Heureusement, la découverte, le rachat et le classement des archives de la STN entre 1932 et 1949 ont depuis permis de combler une partie des lacunes de l'histoire des éditeurs en terre neuchâteloise. La contribution suivante (Philippe HENRY) fournit le dense et nécessaire contexte historique régional dans lequel naquit la STN, un territoire décrit sous ses aspects politique, démographique, économique et socio-culturel, dont les conclusions sont sans ambiguïté: l'entreprise, favorisée par une conjonction politique et culturelle heureuse, n'était nullement une aventure inconsidérée. Effectivement, elle s'inscrit pleinement dans ce que le troisième intervenant (Jean-Daniel CANDAUX) appelle à juste titre le second âge d'or de l'imprimerie helvétique. Mettant en exergue le fait qu'il n'existe aucune histoire générale de l'imprimerie en Suisse, l'auteur genevois se propose de poser les premiers jalons d'une problématique trop longtemps abandonnée en dépit de quelques bonnes monographies régionales. Agrémentée de tableaux fort utiles présentant successivement les imprimeries de la Suisse jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, le Psautier huguenot du XVIIIe siècle aux Pays-Bas et en Suisse, les auteurs étrangers imprimés dans la Suisse des Lumières (éloquent) et un instructif répertoire des auteurs suisses du Siècle des Lumières imprimés en Suisse, cette contribution s'achève sur le constat que «la bonne entente entre auteurs et imprimeurs suisses ne fournit pas une explication initiale à la réussite et au rayonnement des Lumières helvétiques». Après la Suisse, la focale s'ouvre grand sur Neuchâtel (Michel SCHLUP). L'article s'appuie sur une abondante documentation glanée dans les archives locales afin de mieux cerner les contours chronologiques d'une édition neuchâteloise numériquement faible au cours des siècles. Fait curieux: l'insouciance dont semble faire preuve la Ville de Neuchâtel au moment d'accueillir ses premiers imprimeurs – presque tous étrangers – révèle une méconnaissance presque totale du monde de l'imprimerie. L'absence de réglementation n'explique pas tout. Il n'en demeure pas moins que sitôt présents les imprimeurs ne tardèrent pas à générer des troubles auxquels la Ville se chargea de mettre un terme. L'étude de Michel Schlup montre sans complaisance le rôle prépondérant de la Vénérable Classe des pasteurs, des autorités de la Ville, de Berne et du royaume de France dans le domaine de la censure. C'est surtout en 1732, année de lancement du Mercure suisse, qu'on ressentit le besoin de créer un poste de censeur régulier dont le travail s'avéra utile. Les règlements succédèrent les uns aux autres de sorte qu'au moment de la création de la STN en 1769, la Principauté et la Ville de Neuchâtel disposaient d'un arsenal administratif complémentaire et efficace. La hardiesse dont les directeurs firent preuve en imprimant Le Système de la nature et Les Questions sur l'Encyclopédie provoqua une réaction violente de la Vénérable Classe, réaction à laquelle la STN survécut. Loin d'être aussi étouffante qu'en France, la censure à Neuchâtel joua un rôle avant tout préventif de sorte que le titre de cette ultime contribution de la première partie «Entre pouvoir et clandestinité: l'édition neuchâteloise des Lumières» est parfaitement justifié.

La deuxième partie, intitulée Edition et production, nous plonge au cœur du système de production de la maison neuchâteloise. Elle s'ouvre sur l'article de Robert DARNTON(«La science de la contrefaçon») qui met d'emblée les choses au point: «Aux yeux de la Direction de la librairie de Paris, Neuchâtel passe pour un antre de la piraterie», qu'on se le dise. Le paradoxe du monde des imprimeurs- libraires du Siècle des Lumières est d'être à la fois issu de la bonne bourgeoisie, c'est le cas de Frédéric-Samuel Ostervald, directeur principal de la STN, et surtout composé de redoutables hommes d'affaires attaquant savamment les privilèges des livres en France; un paradoxe dû à la nature de la librairie d'Ancien Régime. Le décor ainsi planté, Robert Darnton suggère de reconsidérer les notions de la contrefaçon et de la propriété intellectuelle à la lumière des archives de la STN. Sa correspondance – «l'âme du commerce d'après les professionnels» –, dont il tire les précieux renseignements, permet de mieux appréhender les difficultés grâce au dossier savamment étudié de Pierre Gosse Junior et Daniel Pinet, libraires grossistes à La Haye. Le cheminement proposé par Robert Darnton nous entraîne dans les arcanes d'âpres négociations entre libraires et imprimeurs à propos des contrefaçons à réaliser. Il permet aussi de mesurer les tracas et les incertitudes d'un monde où sans cesse il fallait faire preuve d'imagination et d'énergie. Il met aussi en évidence le rapprochement organisé entre les entreprises typographiques bernoises et lausannoises et la STN qui donna naissance à la Confédération typographique de 1778 dont les péripéties sont narrées dans la contribution de Silvio CORSINI («Un pour tous... et chacun pour soi? Petite histoire d'une alliance entre les Sociétés typographiques de Lausanne, Berne et Neuchâtel»).

Ce dernier convie ses lecteurs à une petite histoire de la confédération qui lia entre 1778 et 1782 les trois entités susnommées. Sous la raison sociale «Les Libraires associés», ils publièrent plusieurs ouvrages. Cette aventure typographique n'est pas la première pour la STN puisqu'en 1774 déjà elle s'était rapprochée de sa consœur lausannoise, alors dirigée par Jean-Pierre Heubach. D'ailleurs les nombreuses tentatives d'associations attestent clairement de l'ambiguïté de cette pratique: concurrent hier, allié aujourd'hui tout en restant concurrent. Une convention – dont l'original manque – est signée en avril 1778, convention dont la teneur est restituée par l'échange de courrier entre protagonistes et qui réglait les modalités de production et de vente. Les ouvrages publiés en confédération consistaient surtout en réimpressions de sorte qu'il est difficile de dégager une ligne éditoriale claire. La lecture des correspondances amène une autre constatation que l'auteur met en exergue: la nécessité d'une étude plus approfondie pour comprendre les mécanismes des choix des titres. Parmi les projets non aboutis, deux exemples – les Œuvres complètes de Voltaire et celles de Rousseau – sont signalés par Silvio Corsini révélant les relations difficiles avec les autres imprimeurs en particulier genevois. Une très nette détérioration du climat se fit sentir entre les associés comme en témoignent les publications plus nombreuses en 1779 (15) qu'en 1780 (1). De fait on assiste à un retrait progressif des Lausannois, de sorte que, dès 1781, une alliance bipartite entre la STN et la STB est trouvée. Cette difficile cohabitation – respects des règles telles que le maintien de deux presses en activité pour le compte de la confédération ou encore le partage égal des impressions – est expliquée dans les détails par l'auteur. On se rend bien compte des difficultés rencontrées par cette association.

Ce sont d'autres types de rapports, tout aussi difficiles – ceux que la STN a entretenus avec ses auteurs – qui sont au menu de l'article de Michel SCHLUP(«La Société typographique de Neuchâtel et ses auteurs: rapports de force et affaires de dupes»). Il nous propose un panorama éclairant sur les relations auteur-imprimeur à l'aide d'exemples choisis dans la correspondance de la STN. Si Voltaire, qu'Ostervald rencontra en avril 1770, était le bienvenu, encore que la colère du maître a rudement éprouvé les pauvres Neuchâtelois qui se sont confondus en excuses tout en retirant de substantiels bénéfices de la publication des Questions sur l'Encyclopédie, Louis-Sébastien Mercier, de son côté, ne reçut guère les mêmes échos favorables lorsqu'il présenta son projet de faire imprimer certaines de ses nouveautés par la STN, question de notoriété sans aucun doute1. Ce que Michel Schlup met en lumière ce sont les pratiques du couple auteur-éditeur autour de deux auteurs, Antoine Barthès de Marmorières et Jean-Rodolphe Sinner de Ballaigues, et de l'étude de leurs dossiers. Résidant à Versailles, où il occupait la fonction de gouverneur des pages de la comtesse de Provence, Barthès de Marmorières est sollicité en 1773 par Ostervald pour introduire clandestinement des ouvrages de la STN à Paris via Versailles. D'abord réticent, le futur secrétaire du comte d'Artois y souscrivit pleinement par la suite, acceptant même de requérir une permission d'entrée en France pour l'édition neuchâteloise des Descriptions des arts et métiers (2). Observateur attentif de l'actualité politique française et helvétique parfois échotier de la cour et du Paris mondain, Barthès s'est rapproché des éditeurs neuchâtelois dans le but de voir publier l'ouvrage qu'il préparait sur la noblesse aux frais de la STN (3). Finalement publié à compte d'auteur – la STN arborait alors une politique très stricte en la matière – l'impression et la diffusion de l'ouvrage connurent des péripéties qui plongèrent l'infortuné auteur dans la misère financière. Ses plaintes et bavardages – il en parla à D'Alembert – inquiétèrent Ostervald et la STN, car il touchait des personnages influents et pouvait prétériter les affaires futures. Retiré près de Narbonne, Marmorières finit par solder péniblement son compte, une situation financière à laquelle Brissot de Warville fut aussi confronté. S'agissant de Rudolf Sinner, seigneur de Ballaigues, qui jadis régna en maître sur la Bibliothèque de la Ville de Berne, Michel Schlup nous conte ses relations avec la STN alors qu'il venait d'être nommé bailli de Cerlier. Projetant d'écrire le Voyage historique et littéraire dans la Suisse occidentale, Sinner ambitionnait d'être publié à Neuchâtel par la STN. Après moult tractations, Sinner, représenté par Pfaehler, un des directeurs de la Société typographique de Berne, négocie avec la STN un contrat dont l'auteur restitue la teneur. A la lecture de cette partie, on prend la mesure du lourd travail de correction, des amendements tolérés ou non par l'auteur et de la justesse des propos. Ainsi Sinner, victime d'une crise d'apoplexie dont il ne se remettra jamais totalement, est frappé d'un doute quant au contenu, doute qui risquait de contrarier la publication des deux premiers tomes du livre. L'ouvrage, bien accueilli à la fin de juin 1781, se vendit au profit de la STN. Les exemples présentés sont significatifs des relations difficiles entre auteurs et éditeurs. Serviles avec les grands, affables avec leurs pairs, méprisants avec les humbles, tout en étant courtois avec leurs auteurs, les directeurs de la STN présentèrent des visages contrastés sans que cela n'affectât le soin avec lequel ils travaillaient.

S'ouvre alors la troisième partie avec en toile de fond le livre vu – et donc étudié – comme un produit fabriqué. Ainsi Cécilia HURLEYpropose un article fort à propos dont l'intitulé résume à lui seul des perspectives alléchantes pour la STN («L'art de vendre: la STN à la croisée du marché du livre et du marché de l'art»). La STN avait besoin de graveurs pour la Description des arts et métiers, de sorte qu'elle s'adressa à Christian von Mechel dans un premier temps. L'échange de correspondance fournit non seulement de précieuses indications quant aux relationsentretenues entre un éditeur et un graveur mais elle démontre également un rapprochement inédit entre deux mondes: celui du livre et de l'art. Car c'est bien la collection constituée par l'irascible Pelt qui attira la STN. Même si l'entreprise financière ne fut pas une réussite pour la STN, elle atteste de l'originalité d'une démarche qui lui a permis de s'aventurer sur un nouveau territoire.

Le projet de la Description des arts et métiers fut l'un des plus importants de la STN. La perspective adoptée par Alain CERNUSCHI («“Notre grande entreprise des arts”: aspects encyclopédiques de l'édition neuchâteloise de la Description des arts et métiers») offre un regard «par le haut» qui l'autorise à suggérer que «l'esprit mercantile n'a pas été l'exclusive motivation des entrepreneurs neuchâtelois». La ligne éditoriale nouvelle que proposaient les cahiers neuchâtelois est au cœur de l'étude d'Alain Cernuschi. Mettant en parallèle de manière convaincante l'étroite similitude entre la refonte neuchâteloise de Jean-Elie Bertrand et celle de l'Encyclopédie de De Félice à Yverdon, l'auteur rapproche cette manière de procéder des impératifs de marché auxquels les deux entreprises sont confrontées. L'analyse du travail d'augmentation accompli par Bertrand – l'annotation du texte d'origine et l'adjonction de nouveaux textes ont été pris en compte – atteste clairement de la volonté de faire des volumes neuchâtelois un observatoire terminologique et le lieu d'une comparaison internationale des techniques. L'article de Madeleine PINAULTSORENSEN(«Les planches de la Description des arts et métiers de Neuchâtel») revient plus spécifiquement sur les planches de l'édition neuchâteloise et les relations tumultueuses entre graveurs et éditeurs. La copie neuchâteloise de l'édition de Paris de la Description des arts et métiers est augmentée de travaux d'ouvrages allemands et de travaux originaux suisses et français. La galerie de portraits de graveurs (Charles Ange Boilly, Chrétien de Mechel, Duflos...) met en relief les problèmes techniques rencontrés. Elle permet de mieux comprendre aussi pour quelle raison l'édition neuchâteloise ne rencontra pas le succès escompté.

Jacques RYCHNER(«Le travail de l'atelier») revient, pour sa part, sur le travail de l'atelier (4). Cet article, agrémenté de planches tirées de l'Encyclopédie représentant des outils d'imprimeur, offre une vision générale du travail «de l'intérieur» dans ses aspects économiques et sociaux. Paul BENHAMOU(«La diffusion des ouvrages de la STN à travers les cabinets de lecture») propose une étude de la diffusion des ouvrages de la STN dans des cabinets de lecture français. Ces derniers connurent un succès relatif dans la seconde partie du XVIIIe siècle surtout en province. Ils furent surtout, comme le souligne l'article, de précieux auxiliaires dans la diffusion des livres philosophiques proposés par la STN. André BANDELIER(«La clientèle neuchâteloise et jurassienne de la Société typographique de Neuchâtel: les montagnons et le livre») exploite une partie non négligeable (130 dossiers) de la documentation laissée par les 265 correspondants de la STN issus de l'ancienne Principauté de Neuchâtel et Valangin. Il y met en exergue la modernité des pratiques commerciales locales notamment en matière de recouvrement. Le commerce local du livre est principalement tourné vers la diffusion des périodiques et d'ouvrages de théologie et de philosophie au détriment de livres encyclopédiques trop onéreux. En outre, la STN s'appuyait sur les négociants en horlogerie locaux pour écouler des livres auprès de leur propre clientèle.

La quatrième et dernière partie (La librairie et le rayonnement de la STN) débute par un article de Robert DARNTON(«Entre l'éditeur et le libraire: les étapes des ventes») sur les difficiles chemins qu'empruntent les livres pour arriver aux mains des lecteurs. C'est principalement l'offre de livres qui dictait la production et la politique d'échanges de la STN. Ses directeurs sondaient leurs correspondants, imprimaient des catalogues, traitaient les commandes et faisaient circuler les ouvrages grâce à une poste chère mais efficace. On prend conscience ainsi du poids que prenaient les intermédiaires dans le commerce international et des difficultés rencontrées par la STN pour satisfaire une clientèle prompte à faire jouer la concurrence. Thierry RIGOGNE, pour sa part, («Librairie et réseaux commerciaux du livre en France à la fin de l'Ancien Régime»), s'est intéressé au cas particulier du royaume de France. Il propose une lecture fine des réseaux commerciaux du livre en France à travers la correspondance de la STN. Les résultats obtenus sont ensuite comparés aux enquêtes administratives et aux almanachs. Le constat est clairement établi: l'expansion de la librairie traduit avant tout l'essor démographique qui marqua le XVIIIe siècle français. L'auteur pose également la question de la représentativité des réseaux commerciaux et du fonds de la STN, qu'il juge être un complément idéal à une étude étendue aux sources officielles.

Françoise WEIL(«Le marché protestant de la STN») propose un essai synthétique autour des livres protestants dont elle donne une liste non exhaustive. Elle s'appuie sur la publication de deux éditions de la Bible(1772 et 1779) par la STN pour mettre en relief les fondements des contours du marché protestant autour de négociants et de pasteurs disséminés en France. L'enquête, bien qu'incomplète, pose les premiers jalons d'une étude plus systématique à entreprendre. Jeroom VERCRUYSSE(«L'axe Neuchâtel-Bruxelles à travers les houles») met en exergue les activités commerciales de la STN avec le nord-ouest de l'Europe autour du plus important imprimeur-libraire des Pays-Bas autrichiens: Jean Louis de Boubers (5). Très étroitement lié au commerce de l'interdit, ce dernier fut, dès l'automne 1769, en affaire avec les éditeurs neuchâtelois avec qui les relations furent tendues mais aussi profitables jusqu'à sa faillite en 1781. Pierre Joseph Delahaye lui succéda. Cette contribution cerne les contours d'un commerce où les sentiments n'avaient pas leur place. De son côté, Marie BÉGUIN-KNOEPFLER(«Les échanges avec la Pologne 1772-1789») s'est intéressée aux échanges avec la Pologne entre 1772 et 1789 sur la base des dossiers de deux libraires – Joseph Lex et Michel Groell – de Varsovie. L'aventure de la STN en Pologne coïncida avec les réformes menées par le roi Stanislas-Auguste, le développement de la langue française dans la société polonaise raffinée. Elle prolongeait ainsi les premières relations établies entre la Suisse et la Pologne quelques années auparavant. Bénéficiant de l'importation libre des livres étrangers, la STN vendit des ouvrages de ses catalogues avec un certain succès (voir notamment les tableaux et graphiques qui accompagnent le texte).

Renato PASTA(«Les échanges avec l'Italie») explore, après d'autres comme il le relève, les trajectoires commerciales de la STN dans la Botte. Les longues distances imposèrent des coûts de transport parfois exorbitants et le manque de solidité financière de la librairie italienne leur causa quelques soucis. L'auteur s'appuie notamment sur le dossier d'Ami Bonnet pour étayer l'importance donnée par les éditeurs neuchâtelois au marché italien. Après le sud de l'Europe, c'est vers le nord du continent que Jeffrey FREEDMAN(«La Société typographique de Neuchâtel et l'Allemagne») se propose de nous emmener, autour des deux villes majeures pour le commerce de la librairie – Francfort et surtout Leipzig. La concurrence locale, trop vive, priva la STN de nombreux clients. En effet, spécialisée dans la contrefaçon d'ouvrages à succès, la maison d'édition ne présentait que trop peu de nouveautés susceptibles d'intéresser les libraires allemands. Finalement, elle concentra ses affaires sur quelques solides libraires qui passèrent des commandes d'une diversité remarquable.

Comme le titre de sa contribution l'indique («Les échanges Lyon-Neuchâtel») Dominique VARRY met en lumière les rapports à double sens entre l'ancienne capitale des Gaules et la Principauté. D'abord perçue comme un concurrent sérieux, la STN finit par convaincre le plus important d'entre eux Joseph Duplain et quelques autres à entrer en affaires. Lyon fut à la fois un centre d'approvisionnement de la STN en matières premières et en bras ainsi qu'en ouvrages autorisés et prohibés. Ce fut aussi un lieu important de la production philosophique alors en vogue qui partait pour Neuchâtel dans le but d'être redistribué dans toute l'Europe.

Andrew CLARK(«Jean Chénoux, un libraire») présente différents aspects des relations entre la STN et le principal libraire de Lunéville en Lorraine: Jean Chénoux. Grâce à quarante lettres, il retrace à grands traits les règles d'un commerce certes bien réglementé mais où la concurrence est vive et les coups bas portés sans vergogne. Jean Chénoux en est une belle illustration. Toujours à Lunéville, Elissa BELL(«Le commerce du livre à Lunéville. A travers la correspondance de la STN») dresse un «drame commercial et humain». Parmi les correspondants c'est le dossier de la seule femme qui a retenu son attention: Madame Marie Audéart, marchande de livres installée aux bains de Plombières, lieu apparemment propice à la vente en dépit des ennuis rencontrés par la libraire précitée et Bernard, libraire à la réputation douteuse. L'intérêt des correspondances est de mieux comprendre comment la STN se renseignait sur certains vendeurs dont la réputation dépendait de la santé financière de leur affaire. Avec sa contribution («Les échanges avec la Lorraine. Une capitale provinciale: Nancy»), Sarah BENHARRECHanalyse les commandes des trois principaux libraires nancéens avec qui la STN traitait (Bonthoux, d'Alencourt et Matthieu). Le lectorat de Nancy, autant attiré par l'utopie politique de l'An 2440de Mercier et par l'athéisme du Système de la Nature de d'Holbach que par Le Célibataire, comédie de Dorat, recherchait la diversité.

La partie conclusive, confiée à Daniel ROCHE(Collège de France), s'intitule «Lumières et commerce vus de Neuchâtel 1769-1789» et débute par une interrogation: l'activité de la lecture et la diffusion du livre ont-elles transformé le monde? Un problème clé dont Franco Venturi avait pressenti toute l'importance pour comprendre les formes diverses empruntées par les Lumières dans l'espace européen. Rendant hommage aux maîtres de la discipline (Martin, Febvre, Dupront, Barber et Mc Kenzie), l'auteur rappelle, à juste titre, ce que l'histoire du livre leur doit à travers deux principes forts: l'affirmation que le livre est à la fois une marchandise et un ferment et que les historiens ne doivent pas travailler en vase clos. Il met l'accent sur l'homogénéité des interventions qui peuvent se lire dans la double dimension perçue, celle des échanges économiques et celle des communications réciproques. L'objet livre et le commerce afférent doivent s'analyser au travers des logiques commerciales mais aussi intellectuelles auxquelles les imprimeurs-libraires doivent faire face. Instrument d'échange des idées entre les hommes ou entre les groupes sociaux, le livre s'articule alors en un espace géographiquement limité parfaitement mesurable.

Le terrain solide des acquis des chercheurs mobilisés autour des archives de la STN fait écrire à Daniel Roche que les historiens du livre ne peuvent plus longtemps esquiver l'objectif de résoudre le problème économique global et l'étude du marché total des titres parus sous l'égide des éditeurs neuchâtelois. Ce d'autant plus que la STN et ses archives constituent un exemple de réseau économique et culturel parfaitement analysable dans divers types de fonctionnement de la société traditionnelle et prérévolutionnaire.

Admirable travail intellectuel et matériel, ces actes du colloque sur le rayonnement de la maison d'édition neuchâteloise mettent en évidence l'intérêt d'un fonds d'archives extrêmement riche, sollicité par des chercheurs autant neuchâtelois que nationaux ou internationaux. Cet ouvrage, qui valorise les travaux présentés, constitue à la fois un bilan nécessaire tout en ouvrant des perspectives de recherches prometteuses. Un exemple à suivre...

1) Louis-Sébastien Mercier et Rudolf Sinner de Ballaigues figurent finalement parmi les rares écrivains qui réussirent à se faire éditer aux frais de la STN.

2) En réalité, l’édition parisienne portait le titre de Description des arts et métiers, l’édition neuchâteloise de Descriptions des arts et métiers.

3) Imprimé au format in-quarto, les Nouveaux Essais sur la noblesse sont un des seuls livres de grand format sortis des presses de la STN.

4) Cet article est reproduit à partir de celui publié dans l’Histoire de l’édition française, tome 2, publié en 1984.

5) Marié quatre fois, il avait épousé en troisièmes noces Thérèse Panckoucke, la sœur du célèbre imprimeur parisien.

Citation:
Frédéric Inderwildi: Compte rendu de: Robert DARNTON et Michel SCHLUP (ed.), Le rayonnement d'une maison d'édition dans l'Europe des Lumières: la Société typographique de Neuchâtel 1769-1789, Hauterive, Editions Gilles Attinger, 2005, 620 p. (Actes du colloque organisé par la
Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel et la Faculté des lettres de l'Université de Neuchâtel, 31 octobre-2 novembre 2002). Première publication dans: Revue historique neuchâteloise, année 144-2, 2007, p. 135-143.

Redaktion
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20.12.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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