L. Maillefer: "Oh! si j'étais libre!"

Cover
Titel
"Oh! si j'étais libre!": journal d'une adolescente vaudoise, 1885-1896.


Autor(en)
Maillefer, Lucy
Herausgeber
Coutaz, Gilbert; Netz, Robert
Reihe
Ethno-Poche 43
Erschienen
Lausanne 2006: Editions d'en bas
Anzahl Seiten
368 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Nicolas Quinche

Les Editions d’en bas et le Groupe Ethno.doc ont eu l’heureuse idée de publier dans leur collection « Ethno-Poche » un texte autobiographique qui attirera assurément l’attention de nombreux historiens. Gilbert Coutaz et Robert Netz ont exhumé un document dont on ne saurait assez souligner la rareté. Il s’agit du journal intime qu’une adolescente vaudoise d’extraction modeste a commencé à rédiger en 1885 à l’âge de douze ans et dont elle a poursuivi la rédaction jusqu’en 1909. Même si le document n’a pas pu être intégralement reproduit dans cette édition, il garde toute sa valeur et tout son intérêt. Du reste, des résumés précis viennent suppléer les coupes effectuées.

Les angles d’approche d’une telle source sont littéralement innombrables. Tout le monde à l’exception des historiens du politique y trouvera matière à alimenter ses recherches. La diariste ne parle en effet que très peu des événements politiques ; elle s’attache essentiellement à décrire sa vie privée et celle de son entourage familial proche.

A n’en pas douter, les historiens des religions tireront profit d’un tel document. Le témoignage de la diariste protestante Lucy Maillefer (1872-1967) fourmille de remarques sur la religion. L’adolescente, croyante, passe en revue les cultes, les lectures bibliques, les cantiques, et mentionne souvent les prières qu’elle adresse à Dieu dans les moments d’intense désarroi. Croyance et foi imprègnent la totalité de son témoignage. Dans les moments difficiles, elle trouve en Dieu comme dans l’écriture autobiographique une ressource apaisante. L’univers mental de la diariste est à ce point imprégné de religion que des cas de conscience surgissent à propos d’événements qui ne suscitent plus autant d’émoi dans nos sociétés laïcisées. Ainsi, Lucy se cherche des excuses pour avoir dérogé à la règle péremptoire de l’inactivité dominicale : « Nous avons discuté la question de savoir si nous faisions mal de cueillir ces myrtilles pour les emporter un dimanche et nous sommes restés convaincus que nous n’avons pas commis en cela un acte répréhensible » (p. 85).

Quant aux historiens de la médecine, ils trouveront de nombreux éléments touchant le corps malade et les remèdes que les familles indigentes utilisaient pour soigner leurs maux, quand le recours au médecin se révélait trop dispendieux. Lucy ne cesse en effet de consigner les douleurs physiques qui la tenaillent : maux de dents, douleurs lancinantes aux seins, malaises. Le corps est ici davantage appréhendé sous l’angle de la souffrance et de la fragilité que du plaisir.

Si l’évocation du corps souffrant occupe une part notable dans ce journal, en revanche Lucy occulte tout ce qui a trait à la sexualité. La pudeur et les convenances religieuses n’expliquent pas entièrement ce silence. En annexe, le lecteur trouvera un texte rédigé par Lucy vers 1960 qui comble cette lacune. Elle y révèle à l’adresse de son neveu qu’elle a été victime en 1904 de harcèlements sexuels de la part de son employeur. Suite à cet événement traumatisant, elle aurait contracté une maladie honteuse (peut-être la syphilis) et perdu sa réputation.

Les passionnés d’histoire de la vie quotidienne tireront aussi profit de ce document autobiographique à plus d’un titre. Ils trouveront notamment dans ce journal de nombreuses références concernant les sens. Surgit ainsi au travers de ces pages le paysage sonore de la fin du xixe siècle et l’importance de la communication par le truchement des cloches dans les villages lors des incendies par exemple : « Elise me dit que ce n’était pas la grosse cloche qui sonnait et que par conséquent le feu n’était pas au village. Cela me rassura un peu mais la voix, triste et monotone de la cloche du feu m’a toujours beaucoup impressionnée surtout depuis qu’il a brûlé à Vallorbe » (p. 47).

D’utiles glossaires des noms de lieux et de personnes évoqués par Lucy accompagnent le document, ainsi que l’arbre généalogique de la famille Maillefer. En revanche, on aurait aimé y trouver aussi un index thématique et quelques références bibliographiques consacrées au genre littéraire du journal intime.

Ce document est d’autant plus précieux qu’il émane d’une adolescente issue d’un milieu populaire et d’une famille qui a souvent souffert de la pauvreté. Il est un des rares contrepoints aux journaux intimes rédigés le plus souvent dans les classes aisées qui avaient davantage de temps et de moyens pour s’adonner à l’écriture introspective. En résumé, voici une source à mettre en toutes les mains des historiens qui aspirent à redonner leur place aux sans-grades, que l’on a trop longtemps expulsés du récit historique au profit de quelques grands hommes, « grands » surtout par le nombre des victimes qu’ils ont sur la conscience ! L’historien peut aussi trouver son miel en passant par la petite porte de l’Histoire et en délaissant les défilés trop fréquentés qui passent sous les arcs de triomphe…

Citation:
Nicolas Quinche: compte rendu de: Lucy Maillefer, "Oh! si j'étais libre!": journal d'une adolescente vaudoise, 1885-1896, Texte établi et annoté par Gilbert Coutaz et Robert Netz, Lausanne:Editions d'en bas, 2006, 368 p. (Ethno-Poche 43) Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 115, 2007, p.320-322.

Redaktion
Veröffentlicht am
12.05.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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