Y. Dahhaoui: Le Plaict Général de Lausanne

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Titel
Le Plaict Général de Lausanne de 1368 "translaté de latyn en françois".


Herausgeber
Dahhaoui, Yann; commenté par Jean-François Poudret
Reihe
Cahiers lausannois d'histoire médiévale 43
Erschienen
Lausanne 2008: Cahiers lausannois d'histoire médiévale
Anzahl Seiten
93 S.
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Denis Tappy

On sait que Lausanne a bénéficié au Moyen Âge d’un plaid général, soit d’une assemblée remontant vraisemblablement à l’époque carolingienne, qui a exercé jusqu’au XIVe siècle des fonctions judiciaires et de police des voies publiques,mais a joué aussi un rôle important dans la transmission, d’abord orale, des droits réciproques du seigneur et des habitants qu’elle reconnaissait périodiquement. De cette reconnaissance, on est passé en 1368 à une rédaction officielle, qui a fait dès lors figure de charte fondamentale, codifiant les libertés et franchises de cette ville. Rapidement appelé Plaict général, d’après le nom de l’assemblée dont il est issu 1), ce texte est resté la principale source écrite du droit lausannois jusqu’à son remplacement par un coutumier du même nom rédigé à l’époque bernoise (Coustumier et Plaict général de Lausanne de 1618). Il s’agit donc d’un monument majeur pour l’histoire juridique et institutionnelle de la cité épiscopale, qui a fait l’objet de plusieurs études ces dernières décennies, dont tout récemment un ouvrage du professeur zurichois Simon Teuscher consacré au passage de la tradition orale à la rédaction écrite sur le territoire de la Suisse actuelle 2), où le cas lausannois est amplement traité.

Si le texte original latin du Plaict général de 1368 et le commentaire, en latin également, qui en a été rédigé au XVe siècle ont fait l’objet de plusieurs éditions scientifiques, pour la dernière fois en 1977 (SDSVd B I Nos 190, pp. 219 ss. et 192, pp. 239 ss.), il n’en existait à ce jour pas de version française aisément accessible. Une traduction de la fin du Moyen Âge, avec une numérotation des articles et un répertoire en français également, est pourtant conservée dans les archives de la ville de Vevey. Découvert en 1942, ce document était resté inédit et largement ignoré jusqu’ici. Yann Dahhaoui et Jean-François Poudret se sont unis pour en donner une édition critique.

Le défi était de taille: retrouvés dans l’épaisseur d’une couverture, les feuillets supportant cette traduction ont en effet été partiellement rognés, d’où la disparition ou la mutilation de multiples passages. En se fondant sur la version latine, les auteurs ont néanmoins pu reconstituer un texte pratiquement complet. Il est édité avec en chiffres romains sa numérotation d’époque ainsi qu’en chiffres arabes la numérotation, différente, utilisée par les historiens modernes. Chaque disposition est en outre accompagnée de notes qui en facilitent la compréhension.

L’édition elle-même est précédée d’une ample présentation, qui récapitule ce que l’on sait de l’assemblée du plaid général et de la rédaction de 1368 (pp. 5 ss.) et décrit le manuscrit veveysan ainsi que les principes d’édition suivis (pp. 19 ss.). Il n’est possible en l’état ni d’identifier le traducteur, ni de déterminer dans quel contexte il a effectué son travail, ni de localiser ou dater précisément celui-ci. Les auteurs penchent cependant pour une oeuvre du XVe ou du début du XVIe siècle et une provenance de la région de Vevey même, d’autant plus plausible que le droit lausannois s’appliquait dans cette ville et les alentours (p. 24 et p. 30 n. 8). Ils relèvent une erreur à l’article 152 (ad altitudinem rendu par alentour, ce qu’une faute de transcription d’un texte déjà en français, qui aurait pu porter par exemple à l’auteur…, expliquerait mieux qu’une faute de traduction directe), et d’autres bizarreries qui pourraient indiquer que le manuscrit veveysan est lui-même la copie d’une traduction préexistante (p. 23 n. 95). Bien qu’un document montre que la ville de Lausanne possédait en 1482 une telle traduction, aujourd’hui perdue, le titre donné par cette source est différent de celui du manuscrit veveysan, de telle sorte que les auteurs estiment peu probable une filiation (p. 23).

L’existence d’une telle version française pose la question de la maîtrise du latin par les utilisateurs de documents officiels, restés en général rédigés en cette langue dans nos régions jusqu’en 1536. Le manuscrit veveysan n’est pas un exemple isolé, et les auteurs appellent à une comparaison avec d’autres actes qui ont été traduits à la fin du Moyen Âge en Suisse romande, comme la Handfeste de Fribourg, les Franchises de Genève, ou celles de Moudon (p. 2). On pourrait ajouter pour Lausanne la confirmation des droits et libertés de la ville par l’empereur Frédéric III en 1469, dont cette ville avait commandé une traduction à son syndic Jean Bagnyon (cf. SDSVd B I N° 38, p. 28 et Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande XXXV, 1881, pp. 154 ss.) et qui est également mentionnée dans le document de 1482 précité (cf. Clémence Thévenaz Modestin, Un mariage contesté. L’union de la Cité et de la Ville inférieure de Lausanne (1481), Lausanne: Cahier lausannois d’histoire médiévale 38, 2006, p. 249 n. 78). Ces exemples s’inscrivent d’ailleurs dans un mouvement plus ample: ainsi, en 1528, le duc Charles III fit établir une traduction française des Statuta Sabaudie de 1430, qui fut remise aux États de Savoie, mais qu’il renonça à faire imprimer dans l’attente d’une révision générale de ces statuts (cf. Parlamento Sabaudo, Bologne: N. Zanichelli, 1928 ss., IX Nos 4805 p. 600, 4807 p. 605, 4821 p. 620, 4822 p. 621 et 4824 p. 625). Relevons qu’il s’agit dans tous les cas de traductions en français et non en patois, même si quelques termes ou formes témoignent d’une influence du franco-provençal (par exemple, l’usage, à deux reprises, du terme disande au lieu du français samedi, qui apparaît cependant aussi, cf. p. 49, n. 72).

Certaines inexactitudes de la traduction montrent que son auteur a parfois mal compris (par exemple à l’art. 148, où il a traduit hospitium par hoste au lieu de «demeure», cf. p. 68 n. 144), voire mal lu (par exemple à l’art. 147 où il a sans doute lu delicto pour debito, cf. p. 68 n. 143), certains passages du texte de 1368. Il lui est arrivé aussi de sauter quelques mots (par exemple à l’article 155 où il n’a pas traduit quibus [diebus] tenebitur curia secularis, cf. p. 71 n. 152). À l’inverse, il peut aussi cependant se montrer plus précis que sa source (par exemple, à l’art. 3, où le latin raptores est rendu par rapteours de femme). En général, le manuscrit veveysan contient cependant bien une simple traduction, qui ne prétend pas ajouter des compléments au Plaict général de 1368. À aucun moment, il ne se réfère directement au commentaire du XVe siècle déjà mentionné. En se fondant sur deux passages dont la traduction s’écarte du texte littéral latin dans un sens rejoignant des indications du commentateur, les auteurs estiment que le traducteur a pu en avoir connaissance (pp. 24, 32 n. 19 et 54 n. 91). Ils signalent cependant d’autres cas où la traduction s’en tient aux indications de la rédaction de 1368, alors même que des changements survenus depuis sont signalés dans le commentaire (pp. 41 n. 43 et 47 n. 66). Ajoutons que le manuscrit veveysan traduit également littéralement un passage de l’art. 2 (canonici… debent regi processiones rendu par les chanoyne… doivent aut roy processions) là où le commentateur a lu canonici debent regere processiones, sans faire mention du roi. Il nous semble ainsi que les indices en faveur d’une utilisation du commentaire par le traducteur sont contrebalancés par au moins autant d’indices contraires…

En définitive, la publication de Yann Dahhaoui et de Jean-François Poudret captivera toutes les personnes intéressées par l’histoire du droit et des institutions de Lausanne. Ils y trouveront abondance de renseignements sur la manière dont le Plaict général de 1368 était compris à la fin du Moyen Âge en même temps que, grâce à l’appareil critique accompagnant chaque disposition, des explications et des pistes de recherche renvoyant tant à d’autres documents médiévaux qu’à des travaux historiques récents. De la numérotation d’époque et du répertoire qui termine le manuscrit, ils pourront aussi tirer d’intéressantes indications sur la manière dont les praticiens pouvaient utiliser un tel document. Celui-ci devrait d’ailleurs retenir aussi l’attention des philologues et linguistes pour tous les renseignements que ce rare témoignage peut fournir sur la manière dont le latin médiéval était rendu en langue vernaculaire et, en général, sur le français utilisé dans nos régions à cette époque. Plus simplement, cette traduction pourra aussi rendre service aux historiens non latinistes, aujourd’hui toujours plus nombreux, désireux d’accéder au contenu du Plaict général de Lausanne. Relevons encore à cet égard que l’ouvrage est encore complété par un glossaire, établi avec l’aide des rédacteurs du Glossaire des patois de la Suisse romande, qui donne le sens de divers mots rares ou locaux apparaissant dans cette traduction et en facilite ainsi la compréhension.

1) S’il n’apparaît pas dans ce texte lui-même, le terme de «Plaict général» pour désigner la rédaction précitée est attesté dès 1389 en tout cas (littera placiti generalis, cf. Les sources du droit Suisse, XIXe partie, Les sources du droit du canton de Vaud, Moyen Âge (Xe-XVIe siècle), B. Droit seigneuriaux et franchises municipales, I. Lausanne et les terres épiscopales, éd. Danielle Anex-Cabanis et Jean-François Poudret, Aarau: Sauerländer, 1977, ci-après Vd B I N° 337, p. 567) et devient usuel au XVe siècle, tant en latin qu’en français, mais la graphie utilisée n’est pas alors unifiée. Afin de distinguer l’assemblée de la rédaction de 1368, les historiens modernes ont pris l’habitude d’orthographier la première «plaid» et la seconde «Plaict».

2) Cf. S. Teuscher, Erzähltes Recht. Lokale Herrshaft, Verschriftlichung und Traditionsbildung im Spätmittelalter, Frankfurt/New York: Campus Verlag, 2007. Plus spécialement sur le Plaict général de Lausanne, cf. aussi du même auteur «Notiz,Weisung, Glosse. Zur Entstehung ‹mündlicher Rechtstexte› im spätmittelaterlichen Lausanne», in Ludolf Kuchenbuch et al. (éds), Textus im Mittelalter. Komponenten und Situationen des Wortgebrauches im Schriftsemantischen Feld, Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte 216, 2006, pp. 254-284.

Citation:
Denis Tappy: compte rendu de: Le Plaict Général de Lausanne de 1368 "translaté de latyn en françois", édité par Yann Dahhaoui et commenté par Jean-François Poudret, Lausanne: Cahiers lausannois d'histoire médiévale 43, 2008, 93 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 117, 2009, p.267-290.

Redaktion
Veröffentlicht am
17.03.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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