L’éducation et l’instruction de la petite enfance demeurent des sujets moins traités que d’autres dans l’historiographie scolaire vaudoise. Michèle Schärer prend le contre-pied de cette tendance, en s’intéressant à la réception de l’oeuvre du pédagogue thuringien Friedrich Froebel (1782-1852) en Suisse romande, et plus particulièrement dans les cantons de Vaud et de Genève, de 1860 à 1925. Comment la pensée du père du «Kindergarten» a-t-elle été transmise et appliquée? Telle est la question développée dans cet ouvrage suivant différentes focales. En premier lieu, Michèle Schärer reprend, à partir d’éléments biographiques et littéraires, les principes de la méthode froebelienne. Il s’agit d’une formation globale de l’enfant visant «la tête, le coeur et la main» (p. 28). Cette formation maintient le rôle prépondérant de l’éducation maternelle. Froebel crée un matériel pédagogique, qui se veut ludique. Nés dans un milieu bourgeois, les jardins d’enfants n’ont pas pour mission d’accueillir la progéniture des classes populaires, dont les parents travaillent. De plus, aucun but d’instruction tel que lire, écrire ou compter n’est envisagé.

À partir de ce rappel historique, Michèle Schärer s’attache à comparer la doctrine froebelienne, à travers les réalisations et les discours entourant les premiers jardins d’enfants privés et les écoles enfantines. Elle s’intéresse en particulier à la question des apprentissages scolaires, dans le cadre de ces institutions. Puis, en se basant sur les Congrès de Fribourg (1877) et de Porrentruy (1886) ainsi que sur un certain nombre d’articles de L’Éducateur, les débats au sein de la Société des instituteurs romands (SIR) font l’objet de son attention, débats marqués par les antagonismes entre partisans d’une école enfantine, dont la mission est de faire acquérir les premiers rudiments d’instruction, et les adeptes de l’application des principes édictés par Froebel. Enfin, les écrits de sept auteur·e·s, qui ont pu influencer les milieux scolaires ou politiques, sont ensuite passés en revue, d’après leur fidélité intellectuelle à l’oeuvre en question.

Ainsi, les discours de différents protagonistes ont servi de fils conducteurs, permettant de varier les points de vue et de rendre les qualités analytiques de l’ouvrage plus profondes. Néanmoins, le bilan reste souvent identique: la réception de Froebel demeure sélective en Suisse romande. «Recevoir, c’est toujours un peu prendre et laisser» (p. 15) comme l’affirme Daniel Hameline dans sa belle préface. Ce qui est peu exploité, c’est la métaphysique, la notion d’«unification de la vie» (p. 163), le socle philosophique et religieux. «Laissons à cette nature allemande essentiellement rêveuse ses dissertations nuageuses» (p. 177) affirmait Antoinette Vuagnat en 1897. Ce qui fait l’objet d’une dissemblance majeure, c’est l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de la capacité à compter à l’école enfantine. Même si le souci d’une éducation et d’une instruction appropriées au jeune âge constitue une préoccupation essentielle, admise par chacun·e.

Les problématiques, au coeur de cette recherche, rejoignent les préoccupations actuelles abordées dans le canton deVaud et en Suisse, suite à l’obligation de fréquentation de l’école enfantine, aux controverses sur la scolarisation précoce et ses bienfaits attribués. Le travail de Michèle Schärermet ainsi en perspective historique en somme des questions récurrentes.

Citation:
Fabrice Bertrand: compte rendu de: Michèle E. Schärer, Friedrich Froebel et l'éducation préscolaire en Suisse romande: 1860-1925, Lausanne:Cahiers de l'EESP, 2008, 231 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 117, 2009, p.267-290.