R. Hofstetter u.a. (Hrsg.): Le Bureau international d’éducation

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Titel
Le Bureau international d’éducation, matrice de l’internationalisme éducatif. Premier 20e siècle


Herausgeber
Hofstetter, Rita; Érhise
Reihe
coll. Exploration
Erschienen
Bruxelles 2022: Peter Lang/Brussels
Anzahl Seiten
706 S.
Rezensiert von
Raphaëlle Ruppen Coutaz, Université de Lausanne

S’appuyant notamment sur des recherches menées dans le cadre d’un projet financé par le FNS, 7 cette monographie collective, publiée également en Open Access, propose une histoire globale des premières décennies du Bureau international d’éducation (BIE), un acteur clé – principale démonstration de l’ouvrage – de la genèse de l’internationalisme éducatif durant l’entre-deux-guerres. Fondée en 1925, cette institution, qui devient dès 1929 la première organisation intergouvernementale permanente en éducation, comble un secteur alors négligé par la Société des Nations (SDN): la promotion de la paix par la science et l’éducation. Précurseur de l’UNESCO, le BIE en devient une agence technique en 1952.

Cette monographie collective interroge sous trois angles complémentaires l’histoire de ce «laboratoire de l’internationalisme éducatif». La première partie éclaire la genèse et l’institutionnalisation du BIE. On y apprend comment l’Institut Rousseau s’est profilé, dans un contexte très concurrentiel, comme l’inspirateur et le siège idéal pour accueillir cet organisme international (chapitre 1). Les premières années sont marquées par la volonté de définir le rayon d’action du Bureau et la quête de reconnaissance auprès de l’ensemble des acteurs œuvrant en faveur de l’éducation à la paix (chapitre 2). À partir des années 1930, le BIE prend un virage intergouvernemental (chapitre 3) et cette reconfiguration a des implications non seulement sur le plan de son fonctionnement et de ses relations avec le gouvernement suisse, mais aussi en termes de positionnement et de rivalités («internes» avec l’Institut Rousseau, par exemple, ou externes avec le Bureau international du travail, la SDN, l’Institut international de coopération intellectuelle, etc.). Pendant la guerre, il réoriente ses activités en direction des prisonniers de guerre (chapitre 4). Cherchant à entretenir des relations avec la toute jeune UNESCO, il déploie différentes stratégies pour continuer à exister et être reconnu par la nouvelle organisation internationale: le réseautage, le soutien du Conseil fédéral, les relations avec les pays d’Europe de l’Est et l’URSS et la mise en avant d’une expertise spécifique (chapitre 5). À la suite de l’accord passé avec l’UNESCO, le BIE met en place un centre mondial de documentation pédagogique, une collection de manuels scolaires et une exposition permanente de l’instruction publique. La première partie de l’ouvrage se clôt sur un chapitre captivant, spécifiquement consacré aux Conférences internationales de l’instruction publique, mode d’action central du BIE (chapitre 6).

La deuxième partie se concentre sur les causes défendues par ce Bureau et les méthodes qu’il convoque pour les soutenir: la prolongation de la scolarité obligatoire et l’accès aux filières du secondaire (chapitre 7), la création de classes spéciales et la «ruralisation» des programmes dans les campagnes (chapitre 8), la question de l’éducation préscolaire (chapitre 9), l’adaptation des curricula et des manuels scolaires (chapitre 10), les pratiques éducatives langagières (chapitre 11), la formation des enseignants et leurs conditions de travail (chapitre 12). Les auteurs·trices s’intéressent aussi à la façon dont le BIE navigue entre les positions gouvernementales et la situation géopolitique du moment, à ses succès, ses échecs et ses silences, comme la question de l’accès des filles à l’école qui n’est (quasiment) pas thématisée.

La troisième et dernière partie propose une cartographie de l’internationalisme éducatif en analysant les interconnexions du BIE avec des réseaux très divers comme les mouvements de l’éducation nouvelle (chapitre 13), les associations enseignantes (chapitre 14) ou les associations féminines et féministes (chapitre 15). Ces relations fonctionnent certes largement sur un mode win-win mais elles expriment aussi de fortes concurrences autour de l’enfance et de l’éducation. Avec les deux chapitres suivants, on change d’échelle. En partant de l’étude des trajectoires individuelles des principaux acteurs œuvrant au sein du BIE (113 personnalités), le chapitre 16 met en lumière, par une analyse croisée très fine, leurs réseaux de sociabilité. Dans le chapitre 17, l’auteure brosse un portrait de groupe des délégués d’États qui sont membres du conseil et du comité exécutif du BIE. Malgré un tournus important, un petit noyau de fidèles «supporters» se dessine: une douzaine de personnes représentant essentiellement le canton de Genève, l’Égypte, la Tchécoslovaquie, la Pologne et l’Espagne. Le dernier chapitre du livre est essentiel pour comprendre les contours géographiques effectifs et «mentaux» du BIE. L’insistance du BIE se fait plus forte auprès des États d’Europe de l’Ouest (affinités culturelles) et des États-Unis (reconnus sur le plan de l’éducation et de la pédagogie), ainsi que d’Europe centrale (relations étroites de l’Institut Rousseau avec ces pays). Puis viennent les pays d’Amérique latine, l’Asie et l’Afrique apparaissant comme des régions du monde secondaires dans l’esprit des responsables du BIE.

Cette monographie collective, auquel ont participé près d’une vingtaine de chercheuses et chercheurs, se distingue par sa grande cohérence et son unité. Exemplaire dans sa façon de faire dialoguer les différents expert·es impliqués, ce projet éditorial est le résultat, sans aucun doute, de la forte et longue tradition de collaboration menée au sein de l’Équipe de recherche en histoire sociale de l’éducation (Érhise), sous la houlette de Rita Hofstetter et Joëlle Droux. Ces auteur·trices ont su rendre l’histoire du BIE passionnante, d’une part, en mettant en avant les acteurs·trices de cette institution, mais aussi ses liens avec des réseaux hétéroclites, d’autre part, en ponctuant le texte d’exemples concrets et d’études de cas qui font voir de près les mécanismes et les rapports de force et, finalement, en démontrant que cette histoire n’est pas lisse, en mettant l’accent sur les apories et les difficultés que rencontre le BIE les premières années (ressources financières restreintes et non pérennes, ampleur démesurée de la tâche, rivalités, etc.). Ces éléments permettent de prendre du recul par rapport aux discours officiels du BIE, ainsi qu’aux objectifs qu’il avance, et de pondérer l’impact de cette organisation dans l’arène internationale. Au fil des 700 pages, les auteurs·trices mêlent de manière fructueuse approches qualitative et quantitative (enquête biographique et prosopographique, approche relationnelle, trajectoire croisée, analyse de réseaux et visualisation de données). Signes de la richesse de l’objet étudié et reflets des connaissances élargies des contributeurs·trices, 15 encarts et 19 portraits offrent un autre niveau de lecture. Au centre de l’ouvrage, un livret iconographique propose également un survol en images des premières décennies du Bureau international d’éducation. Reste une question qui n’est pas totalement résolue à l’issue de la lecture: dans quelle mesure la posture du BIE, face aux causes qu’il porte et aux défis qui se posent, est-elle avant-gardiste? Ou alors, son action s’inscrit-elle avant tout dans le sillage de tendances déjà bien affirmées? En définitive, cet ouvrage est l’aboutissement de recherches collectives très sérieuses et extrêmement stimulantes, qui reposent sur une vaste littérature scientifique et sur une base documentaire très large, qui va bien au-delà des archives du BIE pourtant déjà extrêmement riches et variées. Ce livre vient enrichir plusieurs champs d’investigation en effervescence ces dernières années: l’histoire de l’éducation dans une perspective transnationale, l’histoire des organisations internationales actives dans le champ éducatif et l’histoire des internationalismes et, plus particulièrement, de l’internationalisme éducatif. Par son caractère collectif et par les réflexions nouvelles qui la jalonnent, cette somme fera assurément référence.

Zitierweise:
Ruppen Coutaz, Raphaëlle: Rezension zu: Hofstetter, Rita; Érhise (dir.): Le Bureau international d’éducation, matrice de l’internationalisme éducatif (premier 20e siècle), Bruxelles 2022, https://www.infoclio.ch/de/rez?rid=145115. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 74(1), 2024, S. 141-143. Online: <https://doi.org/10.24894/2296–6013.00142>.