D. A. Lines: The Dynamics of Learning in Early Modern Italy

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Titel
The Dynamics of Learning in Early Modern Italy. Arts and Medicine at the University of Bologna


Autor(en)
Lines, David A.
Reihe
coll. I Tatti Studies in Italian Renaissance history
Erschienen
Cambridge 2023: Harvard University Press
Anzahl Seiten
560 S.
von
Gabriele Bucchi

La monographie que David Lines consacre à l’Université de Bologne durant la première modernité constitue une vaste étude, fruit d’un travail de plus de vingt ans. Elle est articulée en deux grandes parties dédiées respectivement au contexte historique et culturel de l’institution (The Institutional and Cultural Context, p. 35–171) et aux changements internes, à la fois d’ordre curriculaire et intellectuel, qui l’ont caractérisée sur la longue durée, du XVe au XVIIIe siècle (New Directions and Developments in University Learning, p. 171–313). Comme l’explique la préface de l’auteur, spécialiste reconnu de la philosophie de la Renaissance, les études sur l’Université de Bologne ont souvent adhéré à l’idée d’un déclin progressif de l’institution à partir de la fin du XVIe siècle («a narrative of decline»), qui aurait été l’effet de l’ingérence du pouvoir ecclésiastique et d’un contrôle de plus en plus sévère sur la libre pensée (particulièrement dans les domaines de la philosophie et de la science). À l’âge de la Contre-Réforme, l’université aurait ainsi petit à petit perdu son prestige intellectuel, non seulement aux yeux des étudiants et des professeurs étrangers – soumis à partir de 1564 à l’obligation d’une profession de foi catholique (confessio fidei) – mais aussi à ceux des Italiens mêmes, attirés par d’autres universités concurrentes (à commencer par la voisine et plus tolérante Padoue). Grâce à la mobilisation d’un corpus très riche et varié de sources (légales, administratives, notes de cours, correspondances, catalogues de bibliothèques privées) en grande partie inédites, ainsi que d’une bibliographie qui compte plusieurs centaines d’entrées, l’ouvrage de David Lines nous invite à réviser ce lieu commun historiographique et, par conséquent, à repenser le rôle de Bologne dans l’histoire intellectuelle de l’Italie et de l’Europe modernes.

La complexité du fonctionnement de l’alma mater dans le contexte des universités italiennes au Moyen Âge et à la Renaissance est amplement illustrée dans la première partie, consacrée aux aspects administratifs, sociaux et politiques, ainsi qu’à la composition de la communauté universitaire. Il s’agit d’une synthèse remarquable qui permet de saisir clairement les enjeux politiques, culturels et économiques propres à Bologne, ville appartenant depuis 1506 aux États pontificaux et dépourvue d’une cour. Cette spécificité exposait l’université à un contrôle multiple et parfois conflictuel de la part des autorités civiles (le Sénat) et religieuses (l’évêque, le cardinal legato, l’Inquisiteur, le Pape lui-même). Cette première partie offre un équilibre parfait entre l’analyse des sources et l’attention prêtée à un plus large contexte social et culturel (valorisé aussi grâce à un appareil iconographique très utile qui donne la possibilité de visualiser les différents espaces urbains évoqués). Cette double perspective permet à l’auteur d’éclairer l’histoire interne de l’université et de dessiner simultanément les relations, parfois tendues, entre le studium et d’autres institutions éducatives concurrentes, telles que les collèges des étudiants étrangers, les académies savantes, les écoles des Jésuites (chapitre I. 3, The University in Context, p. 108–136).

La deuxième partie aborde plus spécifiquement les changements intervenus sur la longue durée à l’intérieur du «cursus» (car on ne peut pas, en effet, parler de «faculté» au sens moderne) d’humanités et médicine (medicorum et artistarum). Tout en valorisant l’impact de l’humanisme italien sur l’enseignement des humanités, par exemple à travers de nouvelles éditions de textes issues du travail philologique de certains professeurs (chapitre II. 5, The Rise of Humanities, p. 171–201), David Lines invite – en suivant en cela la position de Kristeller – à ne pas négliger, à côté d’une Renaissance vouée complètement à l’enseignement des anciens, d’autres phénomènes de continuité et de rupture par rapport à l’héritage médiéval. À ce propos, l’un des aspects les plus novateurs et féconds de son étude, avec la perspective de recherches futures, consiste dans l’analyse des pratiques d’enseignement et en particulier de celle de la quaestio (débat, instauré au XIIIe siècle, entre thèses opposées soutenues publiquement par les étudiants). Comme le montre l’auteur, le maintien de cette pratique jusqu’au XVIIIe ne serait pas (ou pas toujours) la preuve d’une sorte d’inertie pédagogique mais, au contraire, elle aurait été le vecteur, grâce à la discussion orale, d’idées nouvelles et d’une progressive ouverture du canon universitaire traditionnel (Aristote, Ptolémée, Thomas d’Aquin, etc.) vers la pensée moderne et contemporaine (chapitre II. 6, Specialization and Scientific Innovation, p. 201–235). De cette précision découle aussi un avertissement méthodologique précieux sur lequel David Lines revient à maintes reprises dans ses pages: les sources administratives généralement privilégiées dans l’histoire de l’université, telles que les rotuli (sorte de programme publié annuellement par l’université avec les noms de professeurs, précédé d’une préface), nécessitent à chaque fois d’être interrogées en dialogue avec les pratiques réelles d’enseignement, par exemple documentées par les notes de cours des élèves ou des professeurs, ou par les informations sur la circulation des textes (chapitre I. 4, The Culture of the Book, p. 137–171 et II. 8, The Religious Turn, p. 269–304). Si certaines de ces pratiques avaient déjà fait l’objet d’études particulières en relation avec quelques figures majeures de l’enseignement à Bologne au XVIe siècle (Ulisse Aldovrandi, Girolamo Cardano et Carlo Sigonio), l’un des grands mérites du travail de Lines est de faire entrer sur la scène du studium, à côté des grandes personnalités, des figures moins connues (voir à ce propos les pages passionnantes consacrées à l’humaniste Sebastiano Regoli, p. 194–195 et aux philosophes Ludovico Boccadiferro et Claudio Betti, p. 282–287). C’est cette attention aux histoires individuelles et au développement de l’institution sur quatre siècles qui fait du travail monumental de Lines sur Bologne une oeuvre destinée à faire date non seulement dans les études sur l’histoire des universités, mais plus largement dans l’histoire intellectuelle de l’Italie à la Renaissance.

Zitierweise:
Bucchi, Gabriele: Rezension zu: Lines, David A: The Dynamics of Learning in Early Modern Italy. Arts and Medicine at the University of Bologna, Cambridge, 2023. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 74(1), 2024, S. 121-123. Online: <https://10.24894/2296–6013.00142>.