J. Mathieu: Eine kurze Globalgeschichte der heiligen Berge seit 1500

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Title
Mount Sacred. Eine kurze Globalgeschichte der heiligen Berge seit 1500


Author(s)
Mathieu, Jon
Published
Wien 2023: Böhlau Verlag
Extent
192 S.
Price
€ 35,00
by
Jacques Rime

Un lieu commun affirme que les montagnes constituent pour chaque peuple le domaine des dieux, ou en tout cas le moyen de communication avec eux. Le livre de Jon Mathieu répond à ce propos avec des nuances et des mises en perspective, historiques et géographiques. Il analyse ainsi la perception de la sacralité des montagnes et ses divers changements depuis le début de la modernité, dans les civilisations pourvues d’écriture (Asie et Europe), et depuis le XIXe siècle chez les autres (Amérique, Afrique, Océanie).

Les deux premiers chapitres sont plus généraux. Ils commencent par une comparaison originale, la profession de foi du concile de Trente, qui ignore presque complètement la nature, et le récit de voyage contemporain du moine bouddhiste Pema Karpo, qui exalte la Montagne du Pur Cristal (le Dakpa Sheri ou Tsari) au sud-est du Tibet. La religiosité de l’Occident se montrerait donc plus anthropocentrique que celle de l’Orient. L’Occident sera amené à vénérer les montagnes par le biais d’éléments extérieurs à la religion, les sciences de la nature et l’alpinisme.

L’auteur toutefois ne se limite pas à comparer Alpes et Tibet. Sa vision se veut large, ouverte sur la planète entière. Mais comme en même temps il ne cherche pas à faire œuvre encyclopédique, la méthode est de présenter quelques montagnes, voire une seule pour chaque continent, en faisant les élargissements nécessaires.

La première montagne traitée est le mont Kailash, à l’ouest du Tibet. Selon l’expression consacrée, c’est la montagne la plus sacrée du monde. L’auteur montre que sa renommée est récente. Elle aurait commencé par une visite du Panchen Lama en l’année 1616, et elle émerge surtout à partir du début du XXe siècle. L’apport des commentateurs occidentaux n’est pas étranger à cette célébrité. Même les autorités coloniales en Inde ont favorisé le pèlerinage, car c’était une ressource économique et une possible influence de l’Angleterre sur le Tibet. Le Kailash confirme donc que la sacralité des montagnes a une histoire.

La deuxième montagne choisie est le Tai Shan, au cœur de la Chine. Le sommet fait partie du système des Cinq Montagnes intégrées dans le cercle de protection symbolique de l’Empire du Milieu. Le Tai Shan, qui ne culmine qu’à 1500 m, est connu pour ses inscriptions rupestres. Il attirait aussi les dévots d’une divinité féminine, Bixia. Les autorités chinoises dévaloriseront cet aspect. L’auteur reprendra en conclusion de son ouvrage la dimension du genre, en montrant que souvent les femmes ont été négligées dans le pèlerinage aux montagnes sacrées (circumambulation inférieure comme au Tsari, ou interdiction totale comme au Fuji Yama ou dans la péninsule monastique du mont Athos).

Le traitement du mont Paektu ou Paektusan, à la frontière de la Mandchourie et de la Corée du Nord, montre quant à lui les enjeux politiques d’une montagne sacrée, jusqu’à aujourd’hui. Célébré en Chine par la dynastie Qing qui venait de Mandchourie, le Paektu constitue pour la Corée le lieu d’origine de Tangun, le héros national. Les communistes de la Corée du Nord y ont fait naître également (à tort) Kim Jong-il, le père du dirigeant actuel du pays.

Les deux chapitres suivants abordent la sacralité des montagnes européennes, en se focalisant sur les Alpes et l’Italie. Il est clairement affirmé que les montagnes ont tardivement intéressé l’Eglise. Si la zone des alpages est concernée par la piété baroque, les hauts sommets ne sont munis de croix qu’au temps de l’alpinisme, soit à partir de la fin du XVIIIe siècle. Et il ne faudrait pas croire que l’Eglise avait peur de la montagne en raison des sabbats supposés des sorcières. Cette théorie relève d’une vision romantique de la montagne. La sacralité des montagnes européennes fait également l’objet de critiques, notamment la présence des croix sommitales.

Avec les Black Hills au Dakota du Sud, nous partons en Amérique. Ce chapitre évoque la rencontre et les tensions entre mentalité occidentale colonisatrice et monde spirituel des natifs. La région est considérée comme sacrée par les Indiens. C’est précisément là, au mont Rushmore, que Gutzon Borglum, membre du Ku-Klux-Klan, a sculpté sur les rochers les portraits de quatre présidents des Etats-Unis. On ne pouvait trouver opposition plus tranchée. Diverses réponses ont été apportées: réplique identique par la taille d’une sculpture monumentale du héros indien Crazy Horse, changement de toponymes, conciliation des pratiques.

Le chapitre suivant consacré à deux volcans d’Afrique de l’Est montre aussi les défis culturels, mais là il s’agit davantage de difficultés de compréhension que de persécution. Les premiers explorateurs occidentaux ont été frappés par la masse imposante du Kilimandjaro et ont pensé que les indigènes le vénéraient comme un dieu. Cela n’était pas du tout le cas. Une remarque similaire doit être faite pour l’Ol Doinyo Lengaï, que l’on a traduit par «la montagne de Dieu (ou des dieux)». Il revêtait certes une valeur religieuse que n’avait pas le Kilimandjaro, mais son importance était régionale et ce rôle n’a commencé chez les Maasaïs qu’au début du XIXe siècle, à l’époque où ils ont migré dans la contrée.

Situé au centre de l’Australie, Uluru ou Ayers Rock culmine à 800 m. Moins élevé encore que le Tai Shan en Chine, il est devenu mondialement connu. La célébrité ne dépend donc pas de l’altitude. Depuis quelques décennies, les droits des aborigènes ont été valorisés à son propos. La montagne a retrouvé son nom d’Uluru, et à partir de 2019 il est interdit de la gravir, car elle est considérée comme sacrée. L’auteur note que le combat pour retrouver le caractère natif de la montagne n’est pas un simple combat entre blancs et aborigènes. Les Australiens blancs revendiquent Uluru comme une marque d’«australitude», face aux touristes étrangers réputés peu respectueux. On assiste ainsi à un changement de mentalité, qui n’oppose plus occidentaux et peuples indigènes. Une telle remarque amène au dernier chapitre du livre, conclusif et prospectif.

Comme déjà indiqué, l’auteur a choisi, pour la plus grande partie de son livre, la description de certains lieux plutôt qu’une enquête statistique. La place manquait pour évoquer, par exemple, une montagne du monde musulman ou d’Amérique latine. Cependant, ces lieux sont suffisamment typés pour permettre une certaine généralisation. Dans ses conclusions, où l’on trouve différentes remarques sur l’importance du recul historique, la dévalorisation valorisation des femmes, les articulations entre tourisme et pèlerinage etc., nous retiendrons ses réflexions pertinentes autour de la nature et de la culture. L’opposition occidentale des deux termes est récente. Jusqu’au XIXe siècle, on utilisait le terme de nature, pour désigner en gros la création, et c’est seulement à partir du XIXe siècle qu’on a parlé de culture, une variante du mot civilisation, pour l’opposer à la nature et aux peuples qui en dépendaient. Depuis la fin de l’ère coloniale, les deux termes ont continué leur compagnonnage, mais dans un esprit différent, puisque les peuples proches de la nature (c’est-à-dire non occidentaux) et leur modes de vie sont désormais considérés comme porteurs d’un développement humain plus respectueux de l’environnement. L’histoire ne s’arrête pas là cependant car aujourd’hui, du discours sur la protection de l’environnement, on est passé à la protection du climat. Bref, comme l’explique l’auteur, du terrestre, on est passé à l’atmosphérique. Les montagnes, elles, même si elles sont élevées, appartiennent à la terre et non à l’atmosphère. Insistera-t-on autant sur leur caractère sacré? L’avenir nous le dira.

Zitierweise:
Rime, Jacques: Rezension zu: Mathieu, Jon: Mount sacred. Eine kurze Globalgeschichte der heiligen Berge seit 1500, Wien/Köln, Böhlau Verlag, 2023. (et également traduction anglaise, Mount Sacred. A Brief Global History of Holy Mountains Since 1500, Cambridge, The White Horse Press) Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, Vol. 117, 2023, S. 470-472. Online: https://doi.org/10.24894/2673-3641.00155

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