À sa création, entre 1137 et 1141, le couvent prémontré d’Humilimont fut un double monastère. L’abbaye masculine fut supprimée au profit des jésuites en 1588; depuis 1845, une croix commémorative rappelle son implantation géographique. Quant à son correspondant féminin, il fut déplacé vers 1140/1150 sur la terre de Posat, soit à huit kilomètres du site originel sur la commune fribourgeoise de Marsens. Il disparut dans une période s’étalant entre 1179 et 1228. Seul le nécrologe de l’abbaye-mère atteste son existence. Il répertorie, à la date de leur décès, 47 sœurs, dont la prieure Emma (vers 1148–1179?) et quatre converses.
Ernst Tremp et Kathrin Utz Tremp ont signé les travaux les plus récents sur Humilimont. Ils sont les premiers à éditer le Necrologium monasterii Humilismontis qui constitue la troisième partie (ff. 83v–113v) d’un manuscrit conservé aux Archives de l’État de Fribourg. Celui-ci est la copie, en juillet 1338, d’un premier texte, aujourd’hui perdu et remontant au début du couvent. Le fait d’avoir été complété jusqu’au terme de l’activité monastique le rend exceptionnel et incontournable pour recomposer l’histoire d’Humilimont.
Sur les 922 dénombrées, environ 900 personnes différentes sont réparties à peu près équitablement sur les douze mois de l’année: 75 % sont des hommes. Des 674 entrées, 67 sont datées, la plupart se situant aux 15e et 16e siècles. 61 % des entrées sur environ 410 peuvent être attribuées avec certitude ou vraisemblance à la main qui les a écrites. Les premiers ajouts remontent à l’année 1356, suivis de 80 autres entre 1365 et 1380. Pour les années postérieures, seules les mains de l’abbé Pierre Olivier (1455–1477) et de trois notaires fribourgeois sont certifiées: Berthetus Souvery de Corbières, 1449 et 1462; Louis de Sergy, 1516, et probablement François Gapany de Corbières, 1553.
Le nécrologe est le miroir de la société qui l’a produit et dans laquelle il a été utilisé. Il reliait quotidiennement par la prière les chanoines à leurs prédécesseurs et à leurs bienfaiteurs décédés. Son examen renseigne l’administration de l’abbaye, les offices de cellérier et de pitancier, la célébration de la messe des morts, la construction des bâtiments et la topographie sacrée, le patrimoine foncier, les pitances qui enrichissaient les repas des chanoines grâce à la fréquence des dons, l’octroi de capitaux ou de rentes régulières issues des intérêts, ces derniers assurant au fil du temps des revenus importants pour la survie de l’abbaye. Dans son état final, le registre des morts d’Humilimont s’apparente à une forme mixte: nécrologe pour la partie ancienne et obituaire pour la partie nouvelle. Selon les entrées, il prend des allures d’un instrument juridique et d’annales.
Le calendrier s’en tient aux fêtes les plus importantes des saints considérés à l’intérieur de l’ordre prémontré et dans le diocèse de Lausanne. Seuls les papes sanctifiés Léon I er (440–461) et Léon II (682–683) y sont nommés, alors que tous les abbés y figurent, du premier au dernier. Il mentionne les noms de plusieurs prieurs, sous-prieurs, chanoines et convers. Le nécrologe distingue ensuite les chanoines, les sœurs et les convers ad succurrendum, enfin les familiers. S’y additionnent certains abbés de l’abbaye-mère du Lac de Joux, d’autres établissements du même ordre, Saint-Martin de Laon, un de plus réputés, certains sis dans la circarie de Bourgogne: Corneux à Gray, Bellelay, Fontaine-André et Gottstatt. Le nom de Norbert, le fondateur de l’ordre, apparaît sous la date du 6 juin. En intégrant les noms de 147 laïcs, le nécrologe permet de mieux situer l’ensemble des amis de l’abbaye appartenant à la haute et petite noblesse des environs, à l’exemple des comtes de Gruyère, de la famille de Corbières, fondatrice du couvent, et de ses deux branches, les Vuippens et les Everdes. Le réseau comprenait enfin la population rurale et, plus rarement, la population urbaine représentée par la ville de Fribourg.
S’étendant sur quatre siècles et demi, la nature des inscriptions a évolué au fil de l’usage. À l’origine, il s’agissait d’un registre des morts au sens strict du terme, citant les noms des confrères, consœurs, dignitaires et protecteurs défunts, avec pour seule information le jour du décès. Il rappelait à la communauté son devoir de prier et de célébrer la messe pour le salut de leur âme. À partir du 13e siècle, il s’est progressivement transformé jusqu’à son apogée au 14e siècle en un livre d’annales (obituaire/anniversaire), principalement en raison du triomphe du purgatoire et de la résurgence du testament. Les fondations pieuses et les messes étaient pour les laïcs un excellent moyen d’expiation de leurs peines. Dès le 15e siècle, la multiplication des commémorations liturgiques amena par contrecoup des inscriptions individuelles plus détaillées, intégrant leurs revenus, qui servaient à financer leur choix funéraire et l’entretien de leur souvenir et, selon les situations, à assurer la distribution d’aumônes et la pitance. Sans recouper nécessairement le jour de la mort, celui de la cérémonie pouvait être fixé par le fondateur lui-même, par ses proches ou encore par le groupe de fondateurs.
L’édition du nécrologe bénéficie des approches historique, archivistique, codicologique, paléographique, prosopographique, anthroponymique et toponymique. Les nombreux index (personnes, lieux et matières) soulignent la richesse du travail identificatoire, rehaussé par les tableaux présentant les différentes mains qui ont rédigé le nécrologe et le calendrier des fêtes sur lequel celui du nécrologe se base. Plus qu’une édition, les auteurs donnent enfin à l’histoire de l’abbaye de Humilimont le supplément qui lui a trop longtemps manqué et dont elle est désormais indissociable.
Zitierweise:
Coutaz, Gilbert: Rezension zu: Tremp, Ernst; Utz Tremp, Kathrin (éd.): Das Nekrologium der Prämonstratenser-Abtei Humilimont (Marsens). Edition und Einleitung, Münster 2022. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 74/1, 2024, S. 116-117. Online: <https://doi.org/10.24894/2296–6013.00142>.