D. Savoy : Les Lumières catholiques à Fribourg

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Titel
Les Lumières catholiques à Fribourg. Trajectoires et actions réformatrices des prêtres éclairés Charles-Aloyse Fontaine et Grégoire Girard


Autor(en)
Savoy, Damien
Erschienen
Neuchâtel 2022: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
486 S.
von
Jacques Rime

Dans le monde germanique, le terme d’Aufklärung n’a pas la saveur anticléricale que le mot Lumières revêt en français. Pour le monde francophone en revanche, Lumières et Église catholique semblent des expressions antithétiques, opposant les adeptes du progrès à une institution enfermée dans le dogmatisme. La thèse de doctorat de l’historien Damien Savoy casse le mythe et montre que la ville catholique de Fribourg, à la frontière des langues, s’est aussi ouverte à la pensée des Lumières. Il l’atteste en présentant le parcours de deux figures emblématiques, deux ecclésiastiques, un prêtre séculier, le chanoine Charles-Aloyse Fontaine (1754–1834), et son propre cousin, un religieux cordelier, le Père Grégoire Girard (1765–1850). Sans décrire tous les acteurs des Lumières à Fribourg, l’ouvrage n’est pas une simple biographie croisée de deux prêtres libéraux fribourgeois mais bien la description d’un réseau intellectuel avec ses multiples influences qui, quoique minoritaire, ne laisse pas Fribourg en dehors du mouvement général des idées. Il s’appuie sur la maîtrise des outils historiographiques, une riche bibliographie ainsi que l’exploitation d’un grand nombre d’archives en Suisse et à l’étranger.
Après une substantielle introduction et une présentation de la ville de Fribourg au XVIIIe siècle, l’auteur décrit un aspect, peu étudié semble-t-il et néanmoins capital pour comprendre les mutations idéologiques qu’a pu connaître le canton, la formation du clergé à l’extérieur du pays et les déplacements du clergé régulier: «La mobilité des prêtres et les réseaux de communication interconventuels semblent en effet avoir favorisé des échanges culturels entre Fribourg et son environnement extérieur» (p. 95). Comme il n’existe pas de séminaire diocésain à proprement parler, bon nombre de prêtres diocésains se forment en France, à Paris et, de manière plus inattendue, à Avignon. Une minorité s’en va au Collège helvétique de Milan puis, suite à l’incertitude liée à cette institution sous l’empereur Joseph II, au Collège germanique à Rome. Enfin, plusieurs fréquentent les universités d’Alle¬magne. Les ordres religieux eux-mêmes, pour la plupart, ne sont pas repliés sur les frontières nationales. Signalons l’orientation germanophone de trois communautés implantées à Fribourg, les jésuites, les cordeliers et les augustins.
Ce n’est pas un hasard si les deux prêtres réformateurs présentés par Damien Sa-voy ont fait leurs études en Allemagne. Ils vont être nourris de l’esprit nouveau qui y souffle. Charles-Aloyse Fontaine est novice et étudiant jésuite en Bavière, où il est condisciple du futur professeur Johann Michael Sailer. Plus tard, le chanoine écrira plusieurs traités s’inspirant des idées de ce théologien. Grégoire Girard se forme à Offenbourg, Überlingen et Wurtzbourg. Dans cette ville, il apprécie la manière éclairée dont le prince-évêque Franz Ludwig von Erthal administre son État. Bref, les deux prêtres fribourgeois sont au contact de l’Aufklärung catholique allemande, et vont importer dans leur patrie plusieurs de ses points d’attention. L’auteur accorde une grande importance à la notion de transferts culturels.
Pour Charles-Aloyse Fontaine, les étoiles sont bien alignées. Revenu dans sa patrie au moment de la suppression des jésuites, il est ordonné prêtre et devient chanoine de la collégiale Saint-Nicolas de Fribourg. Il suscite la bienveillance de son évêque Bernard-Emmanuel de Lenzbourg, qui l’associe à des travaux d’envergure, l’extension au diocèse du bréviaire utilisé à la collégiale de Fribourg et la rédaction d’un manuel de théologie pastorale. Avec l’édition du bréviaire, le chanoine Fontaine produit une nouvelle version du calendrier diocésain. Damien Savoy montre combien le chanoine a le souci de l’enrichir et de lui donner une dimension nationale, en intégrant plusieurs saints helvétiques, notamment le bienheureux Nicolas de Flue. Par diverses publications, le chanoine cherche à se faire un nom dans la République des lettres. Lui-même est un bibliophile averti et c’est un mérite de l’auteur d’avoir cherché à établir le plus exactement possible le contenu riche et éclectique de sa bibliothèque: «L’allemand (30,4%) y est deux fois plus représenté que le français (16,7%), mais reste derrière les langues anciennes (52,7%). Nouvelle marque de son ouverture à la culture protestante, il possède davantage d’ouvrages d’auteurs ré¬formés (50,6%) que catholiques (46,7%)» (p. 215).
La République helvétique mise en place en 1798 permet à Fontaine et Girard de se profiler. L’un et l’autre saluent le nouvel ordre politique et Grégoire Girard, resté discret jusqu’à présent, commence à faire parler de lui. Les deux prêtres sont nommés au Conseil d’éducation du canton, que le chanoine Fontaine va en fait animer. Le Père Girard s’en va à Lucerne, travailler au ministère de l’Éducation puis il est nommé curé de Berne où les autorités centrales se sont déplacées, poste hautement délicat, dans une ville entièrement protestante qui regarde le catholicisme selon des clichés préconçus. Par son irénisme, Girard est l’homme de la situation. L’engouement des deux prêtres pour la République helvétique va leur attirer des ennuis de la part de leurs confrères et de leur hiérarchie, soupçonneux du caractère anticlérical du régime. Charles-Aloyse Fontaine est attaqué parce qu’il prône la tolérance des cultes tandis que Grégoire Girard et les cordeliers de Fribourg sont soupçonnés de professer le kantisme.

Le régime de la Médiation marque un terme dans l’implication nationale de Fontaine et Girard. Comme le note Damien Savoy, «les deux prêtres sont contraints de repenser et de recentrer leur action réformatrice dans un espace plus restreint – la ville et le canton de Fribourg – et dans un domaine plus spécifique – l’éducation» (p. 285). Ils dirigent partiellement le système éducatif fribourgeois, Fontaine dans le versant administratif et Girard dans le versant pédagogique. Ce dernier en effet est nommé préfet des écoles françaises pour les garçons de la ville en 1805. Il fait construire pour eux un bâtiment tout près de la collégiale Saint-Nicolas. À l’ombre de Pestalozzi et de Fellenberg, le Père Girard se fait un nom dans la pédagogie, surtout à partir de décembre 1815, où il découvre l’enseignement mutuel, dont les racines se trouvent dans le monde anglo-saxon. Les classes étant très nombreuses, l’enseignement mutuel est caractérisé par la présence d’élèves-moniteurs qui enseignent les branches à d’autres élèves, sous la supervision du maître. Durant quelques années Fribourg et plusieurs écoles du canton se mettent à cette méthode jusqu’au jour où les milieux conservateurs s’avisent de sa nocivité et réussissent en 1823 à la faire interdire par le Grand Conseil fribourgeois. Dans cette affaire, Damien Savoy montre le rôle pré¬pon¬dérant, méconnu jusqu’à présent, de l’ancien président de la Société économique de Fribourg, le général Nicolas de Gady.
L’activité réformatrice des deux prêtres éclairés se termine au début des années 1820. Candidat malheureux en 1822 à la prévôté de Saint-Nicolas, le chanoine Fontaine se retire de la vie publique et le Père Girard part bientôt à Lucerne, avant de revenir à Fribourg, mais sans plus occuper de poste pédagogique. Si le canton de Fribourg en sa grande majorité ne s’est pas rangé derrière leurs idées, ils laissent toutefois un petit cercle de disciples, patriciens libéraux puis radicaux de 1848, qui vont pérenniser leur mémoire.

Zitierweise:
Rime, Jacques: Rezension zu: Savoy, Damien : Les Lumières catholiques à Fribourg. Trajectoires et actions réformatrices des prêtres éclairés Charles-Aloyse Fontaine et Grégoire Girard, Neuchâtel 2022. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, Vol. 116, 2022, S. 467-468. Online: https://doi.org/10.24894/2673-3641.00127.

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