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Titel
Les déserts de l’Occident. Genèse des lieux monastiques dans le sud-est de la Gaule (fin IVe - milieu VIe siècle)


Autor(en)
Ripart, Laurent
Reihe
Collection d’études médiévales de Nice
Erschienen
Turnhout 2021: Brepols Publishers
Anzahl Seiten
541 p.
von
Laurent Auberson

Voilà un ouvrage qui en impose très vite, tant par l’ampleur du matériau traité que par la clarté du propos et l’organisation du texte.

Ce que l’auteur, professeur à l’Université Savoie Mont-Blanc, propose ici, ce n’est rien de moins qu’un panorama exhaustif du monachisme occidental dans sa première phase, c’est-à-dire avant l’uniformisation apportée par la Règle de saint Benoît. Le cadre géographique fixé dans le titre ne doit pas se comprendre de manière trop stricte, car il intègre les origines italiennes dans l’environnement de Jérôme et d’Ambroise, mais aussi les prolongements jusque dans le Jura méridional et le bassin lémanique. De ce fait, les débuts de Romainmôtier et d’Agaune sont également examinés.

Le texte (450 pages auxquelles s’ajoutent 60 pages de bibliographie et un index) est très judicieusement structuré suivant les trois grandes aires géographiques qui sont aussi les étapes de la progression du mou- vement : les origines italiennes des déserts insulaires, les déserts insulaires provençaux et leurs prolongements rhodaniens, les nouveaux modèles monastiques (notamment les monastères jurassiens et Agaune). Dans chaque partie, une introduction situe la problématique et l’état le plus récent de la recherche, à la fois historique (principalement l’interprétation des sources littéraires) et archéologique. Elle est suivie de monographies détaillées sur l’origine des sites, qui rendent l’utilisation de l’ouvrage très commode si l’on s’intéresse à tel ou tel monastère en particulier. Une synthèse conclut chacun des chapitres. Malgré la complexité des questions étudiées, le texte est généralement d’une grande clarté (avec certes quelques exceptions ici ou là) qui rend la lecture agréable et facilite l’adhésion aux raisonnements, aux conclusions et aux hypothèses de l’auteur.

Parmi les grandes lignes maîtresses de l’ouvrage, évoquons d’abord le seuil chronologique des deux premières parties. Il nous rappelle un élément fondamental, qui est l’enracinement antique du monachisme occidental. La signification de cet enracinement se concrétise dans diverses réalités. Premièrement, le contexte politique de l’Empire romain du début du Ve siècle, avec les grandes invasions qui touchèrent Rome même (en 410), la Gaule du Nord et du Sud-Ouest, ainsi que l’Afrique, laissant la Provence largement intacte, comme un îlot de romanité préservée et donc terreau privilégié pour l’épanouissement du mouvement monastique. Pour le dire dans les termes de l’auteur : « Le monachisme latin ne s’est pas développé dans les ruines du monde romain, mais dans les foyers les plus flamboyants de la civilisation tardo-antique occidentale » (p. 105). Deuxièmement, cette romanité implique aussi une dimension sociale : dans ce monde chrétien antique occidental, le monachisme prit des formes très diverses — cette diversité étant d’ailleurs une de ses éminentes caractéristiques — et c’est ainsi que, outre les sites plus authentiquement retirés, des petites communautés apparurent dans le contexte de riches villae, lesquelles offraient, dans le sillage culturel de l’otium aristocratique romain, à la fois un isolement relatif et une base économique. Troisièmement enfin, cette romanité est aussi littéraire : les plus anciens témoignages écrits sur les moines d’Occident sont encore imprégnés de culture et de poésie antique.

Une autre ligne maîtresse qui sous-tend l’ouvrage est celle du rapport avec les modèles égyptiens (saint Antoine) et proche-orientaux, via la notion de désert. De façon tout à fait explicite, l’insularité des premiers monastères occidentaux (Hyères, Lérins, etc.) fait référence au désert en même temps qu’elle en est un substitut. À la lecture cependant, on peine parfois à s’orienter précisément entre d’une part la critique justifiée à l’encontre de l’idée d’une construction progressive qui à partir de l’anachorèse égyptienne aurait nécessairement abouti à l’organisation bénédictine, et d’autre part la réalité de la référence littéraire au désert (explicitement antonien ou non), très appuyée chez Jean Cassien, qui fut le relais par excellence.

Tout au long des interprétations de l’auteur, une notion encore est mise en évidence : celle de la sacralité des espaces monastiques, d’abord inspirée par le cadre naturel insulaire ou « désertique », puis matérialisée par la clôture au cours du processus d’institutionnalisation.

Les lecteurs de la RHV seront peut-être intéressés en particulier par les pages consacrées à Romainmôtier (pp. 322-325). Or ici, les raisonnements et les conclusions de l’auteur appellent quelques sérieuses réserves. Pour ce qui concerne l’état de la recherche archéologique, il est étonnant que la bibliographie n’inclue pas les deux volumes de synthèse de Peter Eggenberger, parus une année avant (voir notre recension ci-dessus). Les conclusions des deux auteurs divergent sensiblement, mais force est de constater quelques imprécisions chez Ripart, qui soulève la question : « Romainmôtier fut-il un monastère jurassien ? » (Entendons par-là dans la mouvance des Pères du Jura). S’il ne paraît définitivement plus possible de soutenir que Romainmôtier tire son nom de saint Romain (un des Pères du Jura), par un hypothétique Romanimonasterium, en revanche, à notre sens cela n’autorise pas à éliminer le monastère vaudois de l’aire d’influence des fondateurs de Condat (Saint-Claude). Concernant le terme romanus en lien avec Romainmôtier (le « monastère dit romain »), il faut rappeler — ce que Ripart ne fait pas — qu’il trouve sa première mention dans la Vie de saint Wandrille, rédigée vers 700. Le lien avec la personne de Romain n’est attesté formellement que tardivement, comme le dit justement l’auteur, qui se trompe toutefois lorsqu’il met en relation avec la Réforme (introduite une quinzaine d’années plus tard) et la suppression du couvent ce qui est en réalité une note de 1519 ajoutée au terrier établi par le commissaire Pollens. Quant à l’interprétation des vestiges archéologiques, l’auteur va trop loin en excluant formellement un établissement monastique antérieur au VIe siècle. De plus, il est regrettable qu’il ait totalement passé sous silence la question de l’ermitage de Pontius au Lieu (Vallée de Joux). La domus Poncii et Elupicini, bien qu’elle n’apparaisse que tardivement, sur une carte du XVI e siècle au demeurant légendée en français (voir la notice dans Helvetia Sacra), n’aurait pas dû échapper à une enquête par ailleurs aussi rigoureuse. Le nom n’est pas fortuit et l’idée d’un relais dans la progression du monachisme jurassien reste parfaitement défendable. De même que le caractère jurassien de Romainmôtier, et il semble que cette question pourrait être abordée plus sereinement si on ne la dirigeait pas exclusivement sur le toponyme, mais plus largement sur la réalité géohistorique et archéologique.

Ces quelques réserves mises à part, l’ouvrage de Laurent Ripart force l’admiration et ne laisse guère douter qu’il constituera pendant longtemps une référence majeure.

Zitierweise:
Auberson, Laurent: Rezension zu: Ripart, Laurent: Les déserts de l’Occident. Genèse des lieux monastiques dans le sud-est de la Gaule (fin IV e -milieu VIe siècle), Turnhout 2021. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 220-222.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 220-222.

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