N. Ulmi: Une vie électrique

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Titel
Une vie électrique.


Autor(en)
Ulmi, Nic
Erschienen
Lausanne 2019: Antipodes
Anzahl Seiten
288 S.
Rezensiert von
Dominique Dirlewanger

Publié dans le cadre du 90e anniversaire de l’Association cantonale vaudoise des installateurs-électriciens (ACVIE), le livre de Nic Ulmi refuse d’emblée l’ambition d’une synthèse originale de l’histoire de l’électricité en Suisse. Comme son auteur s’en justifie, l’ouvrage a été écrit dans des délais « très brefs, proches de ceux du journalisme plus que de ceux de la recherche historique » (p. 12). En s’appuyant sur le panorama défriché depuis plus de vingt-cinq ans par l’historiographie, l’auteur complète son projet d’étude du passé électrique à l’aide d’un survol de la presse vaudoise et genevoise, ainsi que de rares documents d’archives de l’ACVIE et une série d’entretiens mobilisés dans le dernier chapitre. Fort de son expérience journalistique, Nic Ulmi rassemble ce matériau hétéroclite pour illustrer les progrès de l’électrification et l’émergence de la profession d’électriciens. Le récit se déploie autour de cinq moments : 1. Des débuts spectaculaires ; 2. L’électrification ; 3. Constructeurs, exploitants, installateurs ; 4. Du nucléaire vert à la transition énergétique ; 5. Être électricien·ne entre deux siècles. Tout au long de ce parcours sinueux, l’auteur s’attache à décrire une « voie originale » pour la Suisse dont le territoire, comme l’identité nationale, est marqué par les installations électrotechniques des siècles passés. La question se pose dès les premières pages : La Suisse serait-elle « un pays hyperélectrique ? » (p. 38).

Au seuil de la première section, le développement technique de l’électricité est présenté à l’aide de ses multiples usages spectaculaires dès la fin du XVIIIe siècle. Depuis les domaines pseudo-scientifiques jusqu’aux expériences médicales et autres illuminations théâtrales, l’électricité acquiert progressivement une aura de modernité. Cette première approche descriptive n’est pas sans rappeler les travaux pionniers d’Alain Beltran et Patrice Carré sur les imaginaires historiques publiés dans l’ouvrage éponyme La vie électrique chez Belin (2016, édition originale 1991). Les succès de l’électricité s’enchaînent alors dans un récit haletant. La lampe à arc, la dynamo, le télégraphe, puis la lumière électrique ponctuent la légende d’un développement continu du progrès scientifique, sans fausse note. En 1878, l’Exposition universelle de Paris sonne l’heure de la rapide mise en œuvre de la lumière électrique, avant l’introduction des premiers moteurs. Le degré d’électrification du pays devient l’objet d’un renouveau patriotique avec l’illusion de l’autosuffisance énergétique, nourrie du fantasme des ressources illimitées en force motrice hydraulique. Ces pages consacrées au cas national peinent à s’émanciper des thèses de Serge Paquier sur l’exceptionnalité de la trajectoire helvétique, en particulier les passages sur les enjeux financiers du développement industriel de ce secteur ou les efforts de commercialisation de l’exportation électrotechnique.

Dans le second chapitre, les effets multiples du tourisme et de la modernité patriotique relancent le sujet à différentes échelles locales, municipales et cantonales. Le jeu des oppositions entre industrie du gaz et de l’électricité, comme les conflits entre intérêts privés et gestion collective des ressources énergétiques, permettent à l’auteur de décrire les premiers systèmes d’éclairage mis en service, le développement subventionné des raccordements électriques et le soutien apporté à la demande croissante en électricité. Nic Ulmi revendique une mise en lumière d’acteurs discrets, comme les installateurs et vendeurs privés d’équipements. Cependant, les grands noms des milieux économiques ou politiques sont quelque peu délaissés. Plusieurs ingénieurs de renom, Adrien Palaz notamment, passent inaperçus. L’analyse des annonces et publicités parues dans la presse quotidienne conduit à une lecture asymétrique des innovations pratiques de la « vie électrique » (sonnettes, petits appareillages, horloges), au détriment d’une approche internationale des révolutions technologiques à l’époque.

Sous la forme d’un rapide aperçu historique, les trois sections qui terminent l’ouvrage sont plus courtes. L’objectif se fixe tout d’abord sur les acteurs de l’électrification du pays : industrie des machines (pp. 151-159), compagnies en réseau (pp. 160-167) et sociétés financières (pp. 168-169). Ensuite, les facettes du métier des « électriciens » se présentent sous la forme d’un éventail d’études de cas à Genève en 1899 (p. 172), à Lausanne en 1906 (p. 175), et dans diverses organisations cantonales et fédérales (pp. 178-191). Enfin, à l’aide d’entretiens réalisés auprès de professionnels, l’ultime chapitre propose un bilan du travail des électriciens au cours des cent dernières années (transition vers l’énergie nucléaire, crise pétrolière, émergence de l’électronique, progrès de la numérisation, passage aux énergies renouvelables).

L’intention de départ de Nic Ulmi n’est que partiellement atteinte. Le style du récit et les références sommaires aux recherches historiques permettent une lecture rapide du développement de l’électricité au cours des siècles. Toutefois, le lecteur se perd entre les transitions abruptes des différentes parties de l’ouvrage. Grâce au format agréable de cette plaquette commémorative, les 65 illustrations reproduites en couleur offrent aux lecteurs un beau matériau historique. Malheureusement, cette riche iconographie ne fait l’objet que de trop peu de commentaires, et les références précises des images se trouvent en annexe, ce qui oblige à un incessant va-et-vient pour en situer le contexte. L’ambition d’un récit à hauteur humaine fait encore obstacle à une prise en considération des recherches récentes en histoire économique, voir en particulier la synthèse de David Gugerli dans L’histoire économique de la Suisse au XXe siècle (Alphil, 2021). L’absence d’un réel dialogue entre littérature secondaire, presse rétronumérisée et entretiens réalisés par l’auteur se ressent au gré des chapitres qui juxtaposent des citations sans une mise en perspective sous forme d’interrogations critiques. Le choix du corpus de sources est à ce titre problématique, en particulier sur les enjeux méthodologiques de la numérisation des archives. Par exemple, l’effacement de la Société des installateurs électriciens dans la presse vaudoise après 1908 (p. 179) cache peut-être un biais des moteurs de recherche. Sur ce point, il faut regretter le manque d’un dépouillement du Bulletin technique de la Suisse romande (disponible sur le site e-periodica), alors que le titre est mentionné à une reprise au moins (p. 130) et qu’il aurait permis de contextualiser la création de l’Association suisse des électriciens en 1897 (p. 154). Néanmoins, ce livre aura le mérite d’avoir signalé tout l’intérêt d’une recherche à mener sur les professions qui encadrent le développement du secteur électrique, ce que les membres de l’ACVIE pourraient initier pour leur centenaire à venir.

Zitierweise:
Dirlewanger, Dominique: Rezension zu: Ulmi, Nic: Une vie électrique, Lausanne 2019, https://www.infoclio.ch/de/rez?rid=140861. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 208-209.

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 208-209.

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