N. Ginsburger u.a. (Hrsg.): Géographes français en Seconde Guerre mondiale

Cover
Titel
Géographes français en Seconde Guerre mondiale.


Herausgeber
Ginsburger, Nicolas; Robic, Marie-Claire; Tissier, Jean-Louis
Reihe
Territoires en mouvements
Erschienen
Paris 2021: Éditions de la Sorbonne
Anzahl Seiten
442 S.
von
Roland Carrupt

Cette publication riche en informations prolonge une aventure débutée il y a quelques décennies au sein de l’équipe de recherche EHGO (Épistémologie et histoire de la géographie) de l’UMR Géographies-cités à Paris. Elle constitue en quelque sorte la suite de deux autres publications qui avaient posé des bases importantes concernant l’histoire de la géographie française. La première1 d’entre elle brossait un panorama général ouvrant de multiples pistes de recherches, tandis que la deuxième2 permettait la découverte de géographes ayant poursuivi leurs activités scientifiques en dehors de l’université française.

Les dix-huit chapitres qui composent cet ouvrage nous restituent une histoire de la géographie française durant la période sombre de la Deuxième Guerre mondiale, au travers d’itinéraires personnels et collectifs qui permettent également de suivre l’évolution de cette science. Ils exploitent un nombre important et varié d’archives avec le souci d’en restituer les différents contenus. Ce livre entend principalement répondre au «soupçon de connivence entre la discipline et le régime de Vichy, une ombre de compromission et de faute parfois individuelle et surtout collective» (p. 6). Il s’articule en quatre parties. La première s’intitule «Géographier sous contrainte en zones libre et occupée» (p. 15–116). Elle est originale dans le sens où elle montre quelques exemples de géographes qui poursuivirent leurs travaux dans des conditions pas toutes identiques. Pour certains, leur activité scientifique est peu perturbée par la guerre, tandis que pour d’autres elle a quasiment cessé. Intitulée «Près de Vichy?», la seconde partie (p. 119–194) aborde la question délicate des géographes proches du régime, tandis que la troisième – «Hors des frontières: géographes à l’étranger et en exil» – s’intéresse aux géographes actifs hors du territoire français durant la guerre (p. 203–291). La dernière partie, «Figures de résistants et de victimes», fait écho à la seconde et met en exergue des figures de résistants dont certains le payèrent de leur vie (p. 296–365).

Puisqu’une présentation de l’intégralité des contributions serait trop longue et fastidieuse, nous en retiendrons plus particulièrement quatre, soit une par partie. Dans la première partie, le texte de Dylan Simon s’intéresse à Max Sorre (1880–1962).3 L’auteur nous offre un éclairage bienvenu sur cette personnalité centrale de la discipline et deux aspects méritent ici d’être soulignés. Le premier concerne l’itinéraire du géographe, entre son activité de recteur d’académie puis de haut fonctionnaire auprès du ministre de l’Éducation nationale Jean Zay (1900–1944). Le second aborde son apport scientifique original. Très tôt dans les années 1920, Sorre «développe surtout une écologie humaine originale et des travaux novateurs de géographie médicale. Sa réflexion se focalise ainsi sur les relations entre l’homme et son environnement» (p. 89).

Dans la deuxième partie du livre, la très courte contribution de Nicolas Ginsburger (p. 195–200) vaut néanmoins le détour puisqu’elle concerne Jean-François Gravier (1915–2005). Connu pour son livre fameux «Paris et le désert français» publié en 1947, ce géographe est une figure emblématique de l’aménagement du territoire dans la France de l’après-guerre. L’historien rappelle les liens – au demeurant peu connus – de Gravier avec Vichy. La promotion de cette idéologie par le géographe ne l’empêche pas de poursuivre une fort belle carrière après la guerre, sans jamais être inquiété pour ses idées. Quelques extraits de textes de Gravier sont ensuite proposés, sans pour autant justifier leur choix et les commenter véritablement. Nicolas Ginsburger a cependant le mérite d’avoir découvert et exploité un nombre important de fonds d’archives. Ce livre lui doit d’ailleurs beaucoup, comme le montrent les nombreux chapitres qu’il a assumés.

Dans la troisième partie du livre, Federico Ferretti étudie une source méconnue conservée dans les archives de l’École internationale de Genève. Il s’agit des textes de cours donnés aux élèves des classes secondaires par Paul Dupuy (1856–1848). Le géographe met en évidence deux éléments importants de ce corpus d’environ 220 pages tapuscrites. Tout d’abord, il pointe la désillusion du pacifiste Dupuy à l’égard de la Société des Nations à propos de laquelle il nourrissait l’espoir d’une paix durable à la suite de la Grande Guerre. Le deuxième aspect concerne «l’analyse géopolitique et géostratégique lucide de Dupuy sur la mondialisation de la guerre» (p. 206). Dupuy prend clairement position dans le conflit en souhaitant la victoire contre le nazisme et le fascisme. Ce pacifiste engagé évoque notamment la nécessaire et indispensable entrée en guerre des Etats-Unis, les faiblesses de l’empire britannique et les conséquences de la guerre sur l’évolution des empires coloniaux. Dans toutes ses observations, Dupuy promeut sans cesse la paix et une géographie qui servirait à la faire.

Dans la quatrième partie du livre, Marie-Claire Robic choisit de s’intéresser à Jules Blache (1893–1970). Auteur d’un livre au titre énigmatique («Le grand refus») publié à la fin de l’année 1945, Blache dispose d’une solide expérience de vie, lui qui fut successivement professeur à l’université de Nancy, résistant et préfet, puis recteur d’académie après la guerre. Si Marie-Claire Robic nous restitue une biographie du personnage, c’est pour mieux s’intéresser à son livre dont les caractéristiques principales méritent le détour. C’est d’abord un acte de résistance dont «l’écriture vise à préserver sa liberté intérieure, à se protéger du poison de la propagande, à maintenir son esprit critique …» (p. 341). La dénonciation du totalitarisme à laquelle se livre Blache s’appuie sur une solide culture historico-géographique, nourrie par un recours à d’autres sciences humaines comme l’ethnologie et l’économie. C’est aussi en géographe et par la mobilisation d’outils qui lui sont propres que Blache décode l’idéologie nazie. Ainsi, la pratique de l’excursion lui permet de vérifier des informations sur le terrain. Blache a très régulièrement recours à la carte comme moyen de communication et intègre les différents apports de la géographie humaine et économique. Il s’appuie également sur ses voyages effectués en Europe centrale et orientale, aux Etats-Unis et en Afrique du Nord. Par certains aspects, l’ouvrage de résistance de Blache n’est pas sans rappeler les écrits de Marc Bloch (1886–1944), analyste impitoyable d’une «étrange défaite» avec les outils de l’historien.4 Il cultive également une espèce de parenté avec l’oeuvre du philologue Victor Klemperer (1881–1960) qui décrypte le langage utilisé par les nazis.5

Finalement, ce livre richement documenté démonte ce soupçon de connivence avec Vichy. Sans éluder la proximité de certains géographes avec le régime de Pétain, il ne porte pas non plus aux nues ceux qui résistèrent. Cette finesse dans l’analyse est à mettre au crédit d’un collectif de contributeurs «d’horizons divers, historiens et géographes, Français et étrangers, chercheurs confirmés et jeunes docteurs» (p. 10) qui livrent un panorama de la corporation des géographes. Cette vue d’ensemble ouvre de nouvelles perspectives dans l’histoire de la géographie et devrait inspirer les historiens français dont les études demeurent encore trop axées sur les figures tutélaires de Lucien Febvre (1878–1956) et Marc Bloch.

Notes :
1 Marie-Claire Robic (coordinatrice), Couvrir le monde. Un grand XXe siècle de géographie française, Paris 2006.
2 Pascal Clerc et Marie-Claire Robic (dir.), Des géographes hors-les-murs? Itinéraires dans un Monde en mouvement (1900–1940), Paris 2015.
3 Pour des informations plus détaillées, voir sa thèse récemment publiée: Dylan Simon, Max Sorre. Une écologie humaine. Penser ma géographie comme une science de l’homme, Paris 2021.
4 Marc Bloch, L’étrange défaite. Témoignage écrit en 1940, Paris 1990.
5 Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris 2009.

Zitierweise:
Carrupt, Roland: Rezension zu: Ginsburger, Nicolas; Robic, Marie-Claire; Tissier, Jean-Louis (dir.): Géographes français en Seconde Guerre mondiale, Paris 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 72 (3), 2022, S. 486-488. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00114>.

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