T. Zaugg: Bundesrat Philipp Etter (1891–1977)

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Titel
Bundesrat Philipp Etter (1891–1977).


Autor(en)
Zaugg, Thomas
Erschienen
Basel 2020: NZZ Libro
Anzahl Seiten
766 S.
Preis
CHF 58.00
von
Stéphanie Roulin, Histoire contemporaine, Université de Fribourg

Qu’une thèse de doctorat fasse autant parler d’elle est réjouissant, pour autant que le débat contribue à une avancée historiographique. C’est ce qu’on peut souhaiter pour cette biographie politique de l’un des conseillers fédéraux les plus controversés après Marcel Pilet-Golaz. À la différence de ce dernier, le conservateur catholique zougois Philipp Etter a résisté à l’épuration très atténuée qui a touché la Suisse au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Les attaques d’un P. Schmid-Ammann ou d’un A. Frey dès 1945 contre le catholicisme politique n’ont nullement perturbé la carrière de l’«Etternell» (un sobriquet mi-affectueux, mi-taquin en référence à son quart de siècle à la tête du Département fédéral de l’Intérieur, de 1934 à 1959). Thomas Zaugg évacue d’ailleurs promptement ces critiques d’après-guerre – elles étaient politiquement et confessionnellement motivées et ne s’appuyaient pas sur des sources. Parmi les études d’historiens qui ont suivi à partir des années 1970, toutes ne trouvent pas non plus grâce à ses yeux. Il s’emploie à les réviser, avec des arguments et peut-être aussi un ton qui expliquent la vivacité des réactions.

L’histoire procède par révisions, et ce chercheur qui a classé en primeur les treize mètres linéaires d’archives privées d’Etter en a tiré une vision renouvelée, à tout le moins nuancée. En sept parties allant des années de formation à la démission du Conseil fédéral en 1959, Zaugg développe une vue d’ensemble bien contextualisée de ce long parcours politique en n’esquivant pas les sujets désagréables. Au prix de certaines exonérations, il veut rendre compte d’une évolution pour rompre avec des «instantanés» voire des raccourcis qui ont laissé l’image d’un catholique intransigeant, antisémite, eugéniste, promoteur d’un État autoritaire et corporatiste, et enclin à l’accommodement à l’égard de l’Allemagne nazie.

Parmi ces thèmes, l’exposition du fédéralisme relativement modéré d’Etter et de sa conception assez floue du corporatisme est particulièrement convaincante. Bien que fluctuantes entre les années 1920 et 1930, les positions d’Etter sont sans comparaison avec les tentatives des ultra-fédéralistes romands d’implémenter le corporatisme au niveau de l’État. Pour lui, il s’agissait plutôt d’une formule censée s’appliquer spontanément, «organiquement». Elle devait avant tout délester l’État de ses tâches d’intervention dans l’organisation de l’économie (p. 711). Même si elle est aussi commandée par une bonne dose de pragmatisme, sa critique de l’autoritarisme des Fribourgeois (Python, Musy, Piller) fait ressortir par contraste un attachement à la démocratie. S’il a cajolé Gonzague de Reynold, c’était non seulement par admiration sincère pour l’essayiste, mais aussi par calcul, comme l’avait déjà montré Aram Mattioli. Dans ses ambitions fédérales, Etter avait tout intérêt à profiter de l’aura de Reynold auprès des jeunes-conservateurs portés au révisionnisme catholique. Il le considérait aussi comme une tête de pont vers la Suisse latine1. Mais à la différence de Reynold, Etter était dans l’exercice concret de la politique et contraint à un certain réalisme. Relevons au passage qu’on peut prêter bien des naïvetés à Reynold, mais pas celle d’avoir espéré une «restauration monarchiste» (p. 412). Ceci dit, toutes les propositions de l’aristocrate n’ont pas été prises au premier degré, et Zaugg relativise à raison son influence dans l’élaboration du fameux message de 1938 sur la Défense nationale spirituelle.

Replacé dans la diversité du conservatisme catholique, Etter incarne une tendance propre à une Suisse centrale industrialisée. L’antilibéralisme et l’antimodernisme fonciers du Zougois ont été «tempérés» par la considération des forces économiques de son canton, face auxquelles il éprouvait un «malaise» souvent évoqué dans le livre. Cette ambivalence et ses dispositions naturelles l’ont engagé dans cette posture d’intermédiaire, d’homme conciliant et «brave confédéré». Il ne transige toutefois pas avec la centralisation et le spectre de l’étatisation, tenus en horreur. Cette détestation qui se vérifie par exemple dans le domaine de la culture n’empêche pas le soutien précoce à une politique familiale et à l’introduction de l’AVS. Les intéressantes notes en fin de volume sur la constante précarité financière de sa famille avec ses dix enfants auraient pu donner lieu à une réflexion sur son intérêt personnel à défendre cette assurance.

Parmi les démonstrations contestables figure la question de l’antisémitisme. Zaugg tend à dédouaner Etter en distinguant une judéophobie chrétienne «autorisée» de l’antisémitisme racial «condamnable». Comme l’a relevé Georg Kreis, le bénéfice du doute est souvent laissé à Etter2. S’il a encouragé une politique d’accueil restrictive, ce ne serait pas par antisémitisme, mais parce qu’il craignait les réactions hostiles de la population suisse (p. 566). C’est là un exemple parmi d’autres des distinctions casuistes qui sont reprochées au biographe depuis la sortie du livre.

Dans une conclusion par ailleurs plus nuancée que l’introduction, Etter est présenté comme un conservateur dont les vues se sont assouplies avec le temps ou plutôt dans «l’esprit du temps». Ainsi s’est-il «laissé convaincre» par le suffrage féminin après s’y être farouchement opposé. De même a-t-il bien accueilli l’aggiornamento de l’Église catholique après Vatican II (au contraire d’un Reynold engagé au sein du mouvement Una Voce Helvetica pour la défense de la messe en latin). En revanche, si Etter a «soutenu l’intégration des socialistes au sein du Conseil fédéral», c’était sur le mode passif dont il était coutumier. Il était lui-même sur le départ (fatigué, il aurait souhaité démissionner plus tôt), et l’artisan de cette politique pragmatique était le secrétaire du parti conservateur, Martin Rosenberg.

En dépit des limites et interrogations soulevées, cette biographie extrêmement fouillée restitue une personnalité dans sa complexité, son épaisseur temporelle et son intimité. Il s’en dégage l’image d’un véritable «animal politique», doué d’une capacité à s’adapter et à sentir le vent – une recette obligée pour durer au Conseil fédéral. Le recours à la correspondance croisée avec des témoignages parfois sévères (W. Stucki, W. Stämpfli, H. P. Tschudi) révèle un homme besogneux, doutant de lui-même et parfois mal outillé pour les tâches à accomplir («Ses analyses se lisaient souvent comme de la poésie politique sans véritables solutions», comme l’écrit joliment l’auteur). Anxieux d’éviter les excès et faux pas de ses collègues (Musy, Pilet-Golaz), il redoutait le jugement de l’histoire – apparemment à juste titre.

Anmekrung:
1 Aram Mattioli, Gonzague de Reynold. Idéologue d’une Suisse autoritaire, Fribourg 1997 (éd. all. 1994), p. 178.
2 Georg Kreis, Wandlungen eines autoritären Staatsmanns, www.nzz.ch/feuilleton/philipp-etterneues-zu-einem-umstrittenen-bundesrat-ld.1548211 (27. 3.2020).

Zitierweise:
Roulin, Stéphanie: Rezension zu: Zaugg, Thomas: Bundesrat Philipp Etter (1891–1977). Eine politische Biografie, Basel 2020. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (3), 2021, S. 549-551. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00093>.

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