C. Aufdermauer u.a.: Bundesrat Emil Welti 1825–1899

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Titel
Bundesrat Emil Welti 1825-1899.


Autor(en)
Aufdermauer, Claudia; Staehelin, Heinrich
Erschienen
Zürich 2020: hier + jetzt, Verlag für Kultur und Geschichte
Anzahl Seiten
336 S.
Preis
CHF 49.00
von
Olivier Meuwly

La littérature consacrée aux grands personnages de l’histoire suisse ne brille pas par son abondance. Longtemps plutôt méprisé, l’art biographique est certes revenu en grâce au sein de la corporation des historiens à partir des années 1980 mais, très sollicité en France, en Allemagne ou dans le monde anglo-saxon, il n’a frappé que marginalement la Suisse. Des progrès y ont été enregistrés, sans doute. Il n’empêche: les biographies des Conseillers fédéraux ou des principaux acteurs de l’État fédéral sont relativement rares et des fonds considérables dorment dans les archives publiques et privées. Par bonheur, le Bundesratslexikon de Urs Altermatt, publié pour la première fois en 1991/1993 et réédité en février 2019 avec de nombreux compléments, mais hélas seulement en langue allemande, offre au moins un tour d’horizon aussi synthétique que précieux des membres du gouvernement fédéral depuis 1848.

La publication d’une biographie de l’Argovien Emil Welti, l’une des figures clés de la seconde moitié du XIXe siècle helvétique, constitue donc un événement majeur et un indiscutable apport à une historiographie si pauvre en la matière. Sous la houlette du Verein «Projekt Biografie Emil Welti» fondé en 2006, mandat avait été donné à Heinrich Staehelin, fin connaisseur de l’histoire de son canton, auteur de travaux sur l’autre conseiller fédéral argovien du XIXe siècle Friedrich Frey-Herosé et rédacteur de la notice consacrée à Welti dans le Lexikon d’Altermatt, de confectionner la grande biographie de Welti qui attendait cet honneur depuis 1903, date de la parution du livre de son ami et juge fédéral Hans Weber. Utile par les nombreux textes et discours de Welti qui y sont reproduits, ce livre restait néanmoins sommaire. Hélas, la maladie, puis le décès de Heinrich Staehelin ralentirent, puis stoppèrent la réalisation de ce livre tant attendu.

L’association patronnant l’ouvrage a alors eu l’excellente idée de confier la poursuite et l’achèvement du travail à l’historienne Claudia Aufdermauer, versée dans cette période cruciale de notre histoire par sa thèse sur les «Barons du rail» et par son activité au sein de l’équipe dirigée par Joseph Jung en charge de l’édition de la correspondance d’Alfred Escher. Reprenant les chapitres de Staehelin dédiés aux jeunes années de Welti et à sa période de conseiller d’État, elle s’est concentrée sur l’action de l’Argovien comme conseiller aux États et conseiller fédéral. Le résultat est très convaincant et présente une image nuancée d’un homme qui fut longtemps la personnalité la plus marquante du Conseil fédéral, mais aussi accusée de pratiquer une forme d’autoritarisme qui lui valut le surnom de Bismarck suisse. Les deux auteurs dressent surtout le portrait d’un homme politique à la foi républicaine chevillée au corps, intransigeant sur les principes et d’une force de travail extraordinaire, heureux de croiser le fer dès que les valeurs auxquelles il croyait semblaient en danger.

Ardent patriote, aux côtés des radicaux les plus engagés de son canton mixte sur le plan confessionnel, célèbre pour ses combats pour l’instruction publique et la reconnaissance de l’égalité politique des Juifs dans son canton, Welti n’a jamais hésité à se positionner contre les tendances du temps s’il le jugeait utile. Ainsi se déclara-t-il profondément centralisateur notamment en matière d’organisation militaire, tant il voyait dans l’armée le creuset du sentiment national et la véritable école du citoyen. De sa vision de l’armée comme ferment identitaire, il déduisit la nécessité de généraliser l’enseignement de la gymnastique, idée dont il fut l’un des pionniers. Prompt à dénoncer les abus du fédéralisme, il osa aussi défendre, avec Escher, la démocratie représentative lors des débats constitutionnels de 1871–1874 contre les partisans de la démocratie semi-directe qui finirent par l’emporter.

L’analyse que Claudia Aufdermauer propose des relations entre Welti et Escher est assurément l’un des moments forts du livre. Avec pertinence, elle démontre que l’Argovien n’était en rien le simple exécutant des audaces eschériennes mais que, au contraire, Escher n’aurait pu devenir l’artisan du rail helvétique sans l’aide d’un conseiller fédéral totalement investi dans sa mission et prêt à surmonter les obstacles diplomatiques et économiques les plus perfides pour réaliser son grand-oeuvre: un réseau ferroviaire suisse performant, couronné par le tunnel du Gothard qui précipita la chute du grand Zurichois, alors que Welti trébucha lui aussi sur son ambition et démissionna après l’échec du rachat de la compagnie du Central-Suisse devant le peuple, en 1891. Welti n’a d’ailleurs pas été épargné par les rigueurs de la vie et Aufdermauer ausculte avec attention son rôle ambigu dans l’affaire qui défraya la chronique mondaine de l’époque: la rupture entre son fils et la fille d’Escher, tombée dans les bras d’un peintre bernois. Welti a peut-être abusé de sa position dans sa vindicte contre l’indélicat artiste, mais ne renia jamais son affection pour sa belle-fille.

Welti dispose ainsi, et enfin, d’une belle biographie. Ce compliment ne doit pas cacher deux légers regrets. Ses élans centralisateurs le rendirent particulièrement impopulaires chez les Romands et sa relation avec Ruchonnet, l’autre grande personnalité du Conseil fédéral dans les années 1880, fut complexe. Nous aurions aimé qu’Audermauer profite de sa connaissance intime de la correspondance de Welti pour approfondir ces questions. La vision du centralisme et du fédéralisme que propose l’Argovien en serait peut-être sortie enrichie. En outre, on sait que le radical Welti s’est peu à peu rapproché des conservateurs modérés et libéraux, amis d’Escher; on sait aussi que, lors du Kulturkampf, Welti, plus tolérant, rompit avec les plus fanatiques de ses collègues radicaux. Ce «voyage» idéologique aurait mérité d’être creusé: sans être ami avec Escher, a-t-il malgré tout fini par adhérer à sa vision du monde? Welti, si passionné d’histoire, a encore beaucoup de choses à nous dire.

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Aufdermauer, Claudia, Heinrich Staehelin, Bundesrat Emil Welti 1825–1899, Baden 2020. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (3), 2021, S. 534-536. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00093>.

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