M. Robert: «Que dorénavant chacun fuie paillardise, oisiveté, gourmandise…»

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Titel
«Que dorénavant chacun fuie paillardise, oisiveté, gourmandise…». Réforme et contrôle des moeurs: la justice consistoriale dans le Pays de Neuchâtel (1547-1848)


Autor(en)
Robert, Michèle
Erschienen
Neuchâtel 2016: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
465 S.
von
Rémy Scheurer

La réforme de l’Eglise fut accompagnée dans les pays protestants de la volonté de théologiens d’établir une discipline ecclésiastique et d’en conférer le contrôle ainsi que celui des mœurs à des organes dépendant du clergé, les consistoires. Dans notre région, René de Challant créa, sous l’influence de Berne, un consistoire à Valangin, dès 1539, mais il s’agit d’un consistoire seigneurial dans lequel les pasteurs étaient très minoritaires. D’autres consistoires seigneuriaux furent mis sur pied dans les seigneuries du Val-de-Travers, de Travers, de Gorgier et de Vaumarcus mais ils ne furent pas généralisés à l’ensemble du territoire. C’est à partir de la visite à Neuchâtel (en 1571) de Jacqueline de Rohan et de son fils Léonor, comte de Neuchâtel, que furent créés les consistoires paroissiaux, présidés par les pasteurs, mais ils avaient surtout un caractère admonitif et leur procédure était strictement orale, de sorte que c’est à partir des archives des consistoires seigneuriaux, principalement des registres de celui de Valangin, conservés de 1547 à la suppression de cette institution en 1848 que Michèle Robert répond aux questions posées en tête de sa thèse de doctorat « Quel modèle de vie religieuse et morale les ordonnances ecclésiastiques de la seigneurie de Valangin et du comté de Neuchâtel proposent-elles ? Dans quelle mesure les consistoires seigneuriaux parviennent-ils à les imposer ? comment les justiciables semblent-ils accepter, voire intégrer ces valeurs ? Quels changements peut-on observer au cours des trois siècles d’existence de ces cours dans le type des infractions poursuivies et dans les réponses et les sentences prononcées, quelles modifications des seuils de tolérances cela suggère-t-il ? Comment évoluent les rôles respectifs de l’Etat et de la Vénérable Classe dans la législation et l’exercice de la discipline ? » Michèle Robert se réfère aussi dans ses réponses à d’autres sources : les registres très inégalement conservés des autres consistoires, les archives de la Vénérable Classe, les manuels du Conseil d’Etat, des journaux de particuliers... Elle s’appuie dans ses interprétations sur une profonde connaissance des travaux touchant directement ou indirectement à l’histoire des consistoires.

Comme on n’entre pas de plain pied dans l’organisation politique, administrative et judiciaire du Pays de Neuchâtel sous l’Ancien Régime, d’autant moins que les institutions du comté de Neuchâtel et celles de la seigneurie de Valangin subsistent sous la principauté, Michèle Robert consacre le début de son livre aux rappels et aux explications nécessaires. Elle traite ensuite de l’organisation ecclésiastique mais la dépasse aussi puisqu’il y a des pages sur la nomination des pasteurs, leur formation, le contrôle de leur moralité et de leur orthodoxie et leurs conditions de vie. Il y a aussi des remarques sur les régents d’école qui sont des gens d’église, même si leur condition matérielle dépend des autorités communales, ainsi que sur les anciens d’église.

Après avoir successivement décrit la création des consistoires, leur composition et leur procédure, l’auteure examine leurs compétences en inventoriant et en analysant les différentes affaires jugées. Cet examen très attentivement mené conduit à trois groupes d’infractions : les atteintes à la morale sexuelle, les manquements à la discipline ecclésiastique, les comportements scandaleux. Ces groupes sont répartis en autant de thèmes qu’il y a d’infraction connues et jugées par les consistoires seigneuriaux au cours des siècles. Les peines dont elles sont passibles sont énumérées et parfois étudiées plus en détail, comme l’interdiction de participer à la Sainte Cène. Michèle Robert tire des conclusions à partir de l’évolution du nombre des cas et de la sévérité des condamnations. L’abandon de certaines peines physiquement douloureuses, l’assouplissement d’exigences, le renoncement officiel à la pénitence publique dès 1755 montrent qu’en fait de discipline et de mœurs on passe finalement de la notion de péché à celle de délit.

Deux chapitres sont consacrés plus spécifiquement à l’exploitation des analyses : l’un à propos de la sociologie des prévenus, l’autre à propos des rivalités de compétences entre la compagnie des pasteurs et les instances gouvernementales et judiciaires.

Le plan de l’ouvrage reflète la clarté de l’exposé, même si cela conduit à inclure la justice matrimoniale dans le chapitre sur les atteintes à la morale sexuelle. Il est regrettable que le titre du livre et la page de titre annoncent un ouvrage sur le seul contrôle des mœurs alors qu’une partie importante du livre traite de la justice matrimoniale, de la discipline ecclésiastique, des relations entre le pouvoir
ecclésiastique et le pouvoir civil.

Michèle Robert connaît trop bien la limite de ses sources (le silence des consistoires paroissiaux, le caractère aléatoire ou systématique de la dénonciation des infractions connues, etc.) pour tirer des conclusion affirmées. Cette prudence est l’une des qualités de son étude détaillée, approfondie et longuement murie de la justice consistoriale, une étude qui informe sur de nombreuses questions d’histoire sociale, sans jamais aller au-delà de ce qui est bien attesté ou fortement probable, et sur laquelle il sera possible de s’appuyer avec confiance pour d’autres recherches, par exemple en rapport avec celles actuellement en cours à l’Institut d’Histoire de la Réformation sur l’encadrement spirituel des fidèles dans l’espace réformé francophone et la question de la « direction des consciences » (1560-1660)

Zitierweise:
Rémy Scheurer: Rezension zu: Michèle Robert: « Que dorénavant chacun fuie paillardise, oisiveté, gourmandise... », Réforme et contrôle des mœurs : la justice consistoriale dans le Pays de Neuchâtel (1547-1848), Neuchâtel, éd. Alphil-Presses universitaires suisses, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 1-2, 2017, pages 272-274.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique neuchâteloise, Vol. 1-2, 2017, pages 272-274.

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